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Titre : Voyage sur la côte orientale de la mer Rouge, dans le pays d'Adel et le royaume de Choa / par C.-E.-X. Rochet d'Héricourt,...
Auteur : Rochet d'Héricourt, Charles-Xavier (1801-1854). Auteur du texte
Éditeur : A. Bertrand (Paris)
Date d'édition : 1841
Sujet : Choa (Éthiopie) -- 19e siècle
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb31231319z
Type : monographie imprimée
Langue : français
Format : 1 vol. (XXIII-439 p.) : pl., carte ; in-8
Format : Nombre total de vues : 508
Description : Contient une table des matières
Description : Avec mode texte
Description : Récits de voyages
Droits : Consultable en ligne
Droits : Public domain
Identifiant : ark:/12148/bpt6k62076762
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-O2G-32
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/03/2012
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VOYAGE
DANS
LE ROYAUME DE CHOA.
©
Voyage en
         C~IcCU~ - JajliUH , IxtJL-De Clioo/.
VOYAGE sur la côte orientale de la mer Rouge,
DANS LE PAYS D'ADEL
ET LE
ROYAUME DE CHOA,
PAR
<!t.-Qt.-l. Rochet, d'Géricourt, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE PARIS, DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE FLORENCE ET MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DE MÉDECINE DE MARSEILLE.
PARIS, ARTHUS BERTRAND, LIBRAIRE-ÉDITEUR MMTEU& DES NOUVELLES ANNALES DES VOYAGES RUE HAUTEFEUILLE, 23.
1841
PRÉFACE.
C'est une des singularités les plus remarquables de l'histoire de la géographie , que , tandis qu'un demi-siècle après la découverte de l'Amérique , ce grand continent avait été exploré dans presque toute son étendue , que ses cotes immenses avaient été dessinées avec un soin surprenant,. et que ses régions les plus belles, les plus riches, les plus fertiles , rapidement conquises par quelques aventuriers, n'étaient déjà plus que de vastes provinces étroitement unies aux monarchies de l'Europe, 1 Afrique, au contraire, qui occupe dans notre hémisphère une place si considérable, et dont les cotes septentrionales ont été de tout temps familières aux Européens, leur soit demeurée inconnue jusqu'à ce jour sur la plus grande partie de sa surface. Si peu, néanmoins, que le voile épais qui nous les cache encore ait été soulevé, les contrées centrales de l'Afrique ont paru mériter, aux plus hauts titres , d'attirer Sur elles les préoccupations de la science , du
commerce et de la politique. La beauté de leur climat, la fécondité de leur sol, où se développent , sous leurs faces les plus brillantes, la puissance et la richesse de la végétation tropicale , l'importance et la combinaison des divers cours d'eau qui les traversent , l'état social assez avancé des populations qui les habitent , auraient dû , ce semble, exciter depuis longtemps les Européens à y former des colonies ou des établissements commerciaux ; mais , par une fatalité qu'il est réservé sans doute à notre siècle de vaincre, la nature a élevé entre elles et nous des barrières presque infranchissables. Le continent africain offre précisément , dans celles de ses parties par où les investigations doivent se faire jour, des obstacles assez nombreux et assez rudes pour épuiser les simples ressources de voyageurs isolés et détourner ainsi le courant de la curiosité ordinaire.
Depuis plusieurs années, la géographie lutte avec succès contre ces difficultés. L'Angleterre surtout a donné une vigoureuse impulsion aux
efforts qui se sont dirigés vers les explorations africaines. La société qu'elle vit se former, vers la fin du XVIIIc siècle, pour le progrès des découvertes dans l'intérieur de l'Afrique, a déployé dans la tâche qu'elle s'est assignée une active persévérance. Les expéditions hardies qu'elle a inspirées ou soutenues ne se sont souvent terminées que par la mort de ceux qui les avaient entreprises. Mais, tandis que ces martyrs de la science cherchaient, au prix de leur vie, à vérifier l'hypothèse chimérique et longtemps accréditée d'après laquelle le Niger et le Nil auraient communiqué ensemble, s'échappant, dans des directions opposées, d'un même lac intérieur, et, réunis par leur source commune, auraient formé, à travers la largeur de l'Afrique, une grande voie navigable, les négociants anglais, si prompts à saisir toutes les occasions d'étendre le cercle de leurs affaires, n'ont pas tardé à recueillir sur leurs traces des résultats positifs. Aujourd'hui enfin, voulant couronner l'œuvre des Mungo - Park , des ftenham, des Clapperton , des Lander, des
Tuckey, etc., l'association des découvertes africaines vient d'armer, avec le concours du gouvernement britannique , trois paquebots à vapeur qui doivent remonter le Niger pour donner de solides fondements aux relations permanentes que l'Angleterre veut lier avec les pays qu'il arrose.
Dans leurs tentatives pour pénétrer au cœur de l'Afrique, les Anglais n'ont pris , jusqu'à ce jour, leur point de départ que sur la côte o cci 1 occidentale de cette immense péninsule. Ce point de départ est-il le seul qui ouvre une voie à la connaissance de l'Afrique intérieure; les avantages qu'il offre doivent-ils lui assurer une préférence exclusive? Les voyages récemment accomplis dans les régions orientales, et principalement en Abyssinie, soulèvent natu-
rellement ces questions. On dirait qu'un sentiment instinctif, déterminant tout à coup, de la part de la France, une tendance opposée à celle de l'Angleterre, a conduit presque en même temps en Abyssinie plusieurs de nos compatriotes. Le voyage de MM. Combes et
Tamisier a récemment appelé l'attention sur cette contrée. Depuis, MM. Aubert , Dufey, d'Abbadie frères , Lefebvre , Petit, Dillong, Gallinier , Roger, Feret , Blondeau, en ont visité ou en parcourent encore les diverses parties. Sans doute, à beaucoup d'égards, l'Abyssinie présente en elle-même un grand intérêt ; mais il importerait aux Européens de s'en préoccuper sérieusement, lors même que, ne trouvant d'autre facilité pour se lier avec elle que la religion chrétienne professée par sa population , ils n'auraient à tirer profit d'une alliance fondée sur un point de contact moral aussi large que pour se frayer une route au centre de l'Afrique.
Lorsque je commençai le voyage dont je livre la relation au public , j'étais mû par ces idées. Mon intention était de chercher un passage à travers l'Afrique , dans une direction parallèle à l'équateur. Partant de l'un des ports du pays d'Adel, j'osais me promettre d'aller déboucher sur la côte de Gabon. L'importance de cette entreprise, l'intérêt scienti-
tique qu'elle devait soulever sont caractérisés
par cette seule considération qu'elle n'a jamais été ni conçue ni tentée sur le plan que je me proposais. Le point de départ de la côte orientale me paraissait avoir, sur celui que les Anglais ont pris par le littoral atlantique, l'immense avantage de présenter, au début, bien moins de difficultés à vaincre dans les dispositions morales des indigènes. Il me semblait per- mis d'espérer que, si je réussissais auprès des
premières populations auxquelles j'aurais affaire (j'avais chez les Abyssins de plus grandes chances de succès que partout ailleurs), elles me fourniraient les moyens de m'avancer plus avant dans l'intérieur, et que, passant ainsi des unes aux autres , protégé par l'appui et la bienveillance des dernières que j'aurais visitées, je pourrais arriver plus sûrement au but. Du reste, réduit à mes seules forces, ne possédant pas d'instruments astronomiques, j'étais loin de me dissimuler que mon voyage ne saurait offrir du premier coup tous les résultats désirables.
Je crus cependant que , si j'étais assez heureux
pour le mener à bonne fin, il serait suffisamment utile, ne fît-il que tracer la route aux investigations européennes et percer d'un rayon de lumière les ténèbres qui nous cachent l'Afrique centrale. La géographie devait y gagner beaucoup, à coup sûr, et j'espérais que mes connaissances en géologie n'y seraient pas sans protjt pour la magnifique science qui étudie la constitution et les révolutions du globe terrestre.
Mes premières intentions se sont modifiées, ou du moins j'ai cru devoir ajourner l'exécution complète de mon projet. J'ai descendu la mer Rouge dans toute sa longueur. Sorti du détroit de Bab-el-Mandel , j'ai abordé au pays d'Adel, que j'ai traversé du nord-est au sud-ouest; je suis entré ensuite dans le royaume de Choa. Le souverain de cette contrée m'ayant retenu huit mois auprès de lui, pour utiliser mes services, j'ai parcouru ses États en divers sens. Les observations que j'y ai recueillies, si incomplètes qu'elles soient, m'ont paru dignes d'appeler l'attention de l'Europe. Je n'ai pas
voulu les abandonner aux hasards d'une tentative sur l'issue de laquelle planaient de si nombreuses incertitudes. Je suis donc retourné en Europe, où d'ailleurs je n'étais pas fâché de venir rassembler de plus grandes lumières et des données plus précises pour remplir dignement la mission de découverte que je m'étais assignée dans l'intérieur de l'Afrique.
Ainsi les contrées sur lesquelles ce volume est destiné à fournir des renseignements sont le pays d'Adel et le royaume de Choa.
Il n'existe aucune relation antérieure à la mienne sur la partie du pays d'Adel que j'ai traversée. Je suis le premier à indiquer la topographie de ses déserts.
Le royaume de Choa était autrefois une annexe considérable de l'empire d'Abyssinie, qui commença à se dissoudre vers le milieu du xvie siècle. Il forme aujourd'hui un État indépendant qui a sa physionomie propre. J'espère que, d'après mon ouvrage, on pourra apprécier ses ressources et l'avenir qui lui est réservé.
Les plateaux septentrionaux de l'Abyssinie n'ont pas manqué de visiteurs qui les ont fait suffisamment connaître à l'Europe. On sait les circonstances qui y attirèrent les Portugais au commencement du xvie siècle. C'était l'époque où la passion des découvertes, vivement émue par les succès immortels de Vasco de Gama et de Christophe Colomb, emportait les imaginations vers les perspectives lointaines où le prisme de l'inconnu faisait briller de féeriques merveilles. Les Portugais s'efforçaient alors de s'assurer les routes de l'Inde.
Non contents d'avoir doublé le cap des Tempêtes ils faisaient croiser leurs vaisseaux dans la mer Rouge ; ils formaient aussi les projets les plus grandioses sur l'Afrique, et ils espéraient pouvoir en soumettre les zones supérieures qu'ils menaçaient à la fois à l'orient et à l'occident. Leur renommée parvint aux Abyssins, vaincus et à demi subjugués par les conquérants musulmans sortis du pays d'Adel.
Appelés à leur secours, les Portugais les aidèrent à repousser les envahisseurs. Leur influen-
ce, recommandée par un service aussi considérable, grandit bientôt en Abyssinie; elle y serait demeurée puissante et respectée, si les jésuites qu'ils avaient amenés avec eux n'avaient tout perdu par la fougue inconsidérée de leur propagande. L'expulsion des Portugais interrompit pour longtemps les rapports de l'Europe avec l'Abyssinie. Les voyages de deux Français, Poncet, en 1699, et du Roule, en 1704, n'eurent pas de conséquences. Après eux , de nombreuses années s'écoulèrent avant que Bruce ne vînt raviver un intérêt longtemps éteint. Mais l'illustre Écossais a donné le signal d'un mouvement qui dure encore ; ses traces ont été souvent suivies dans l'Abyssinie septentrionale. Sait, Valentia, Nathaniel Pearce et Coffin furent ses successeurs les plus rapprochés, et, de nos jours, il faut leur joindre, outre les noms des explorateurs français que j'ai déjà cités, ceux de plusieurs étrangers de mérite : MM. Samuel Gobât, Rùppel, Scbimper, le baron deKatb, Graphie, Isenberg, Kjlmayer et Welsted.
Moins favorisée , l'Abyssinie méridionale a été complètement délaissée par les Européens depuis deux siècles. Les seules relations que l'on ait sur le Choa , le Kambat, le Djindjiro et l'Anaria sont celles du père Fernandez, qui se rattachent à la période portugaise. J'ose donc espérer que la mienne contribuera à remplir une lacune importante.
Cependant je ne me flatte pas de présenter au public des résultats satisfaisants. Dans ma première excursion , j'étais privé des instruments de précision indispensables pour asseoir rigoureusement la carte des lieux que j'ai parcourus. Grâce au patronage élevé de l'Académie des sciences , qui m'a fait l'honneur de me les décerner, je serai plus heureux dans celle que je me prépare à essayer de nouveau. Je vais retourner dans le Choa , pour porter , au nom du gouvernement français, des cadeaux au roi de cette contrée, qui en avait adressé, par mon entremise , à S- M. Louis-Philippe. Je me propose spécialement aujourd'hui d'éclairer le cours de
l'Aouaclie , de visiter Harrar, au sud du pays d'Adel, le Djindjiro, le Kambat et l'Anaria, à l'ouest et au sud-ouest du royaume de Choa.
Ensuite je m'avancerai vers le centre de l'Afrique, aussi loin qu'il me sera possible.
Avant de partir pour cette expédition aventureuse , je saisis la première occasion qui m'est offerte de m'acquitter publiquement t d'une partie de la dette de reconnaissance que j'ai contractée envers les personnes qui ont travaillé à assurer, par leur bienveillant appui, l'accomplissement de mes projets.
Je ne saurais trop apprécier l'intérêt que l'Académie des sciences a daigné me tëmoi-
gner; je n'oublierai jamais l'indulgence avec * laquelle MM. Dufrénoy, Brongniart et Élie de Beaumont ont examiné mes observations géologiques sur le golfe Arabique et le pays d'Adel, et l'offre spontanée que m'a faite l'illustre secrétaire de l'Académie, M. Arago, de me former lui-même à l'usage des instruments de précision dont l'Académie 111'a gratifié.
MM. le duc de Dalmatie, Guizot,
Cunin Gridaine, le comte de Montalivet et le général baron Gourgaud ont bien voulu m'ac- corder leur puissante protection, et ont mis le plus noble empressement à faire préparer des cadeaux qui ne manqueront pas, j'en suis sûr, d'élever dans l'opinion du roi de Choa l'honneur du nom français.
Parmi les personnes qni m'ont été le plus utiles, je dois nommer en première ligne M. Alphonse Denis, député du Var. M. Denis, Pressentant, avec sa vive intelligence des
érêts du pays, les résultats que la France pourrait retirer de mes travaux, ma couvert partout du patronage le plus actif et le plus zélé. J'ai à me louer aussi de l'accueil flatteur que j'ai reçu auprès de la société de géographie, et de quatre de ses principaux membres surtout, M. dAvezac, Jomard, Eyriès et le colonel T.Marnier. Je ne terminerai passans payer aussi un tribut deremerciments à M. le baron Taylor, qui a obtenu trop de succès dans ses fécondes tournées artistiques pour ne pas s'intéresser aux Voyageurs, et qui a trop de générosité et de
noblesse dans l'âme pour ne pas témoigner son affectueuse sollicitude à ceux qui tentent des choses grandes et difficiles.
Je voudrais pouvoir reconnaître d'une façon toute particulière les services que m'a rendus M. Dauzats. Cet artiste distingué, auquel nous devons un brillant Voyage au mont Sinaï, in'a donné les plus vives preuves de son amitié à laquelle je n'avais d'autre titre que ma qualité de voyageur; il n'a pas dédaigné de me prêter le secours de son beau talent en traduisant avec son crayon quelques-unes de mes esquisses. Mes lecteurs lui sauront autant de gré que moi d'avoir donné à mes autres dessins d'aussi habiles interprètes que MM. Gué, P. Blanchard, Oscar Gué, A. Mathieu et P. Lassalle.
Le nombre restreint des planches n'a pas permis de répondre au zèle bienveillant et empressé d'une foule d'autres artistes : à leur grand regret, leur bonne volonté n'a pu être satisfaite, et je me croirais coupable au moins d'indifférence, si je ne leur en témoignais toute ma gratitude.
RAPPORT
SUR DES
Observations de M. Hochet, d'Héricourt, MEMBRE DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE FLORENCE ET MEMBRE CORRESPONDANT DE LA SOCIÉTÉ ROYALE DE MÉDECINE DE MARSEILLE,
Concernant la Géographie physique, la Météorologie et la Géologie de quelques parties des bords de la mer Rouge et de l'Abyssinie.
Commissaires, MM. Brongniart, Élie de Beaumont; Dufrénoy, rapporteur.
ides Comptes rendus des séances de r Académie des sciences, séance du 24 mai 1841.)
« M. Rochet, guidé par l'amour de la science, avait formé le projet d'explorer l'Abyssinie dans toute son étendue ; des circonstances ne lui ont pas permis de le réaliser dans son entier. Après avoir descendu la mer Rouge jusqu'au détroit de Bab-el-Mandel, M. Rochet est entré dans le royaume d'Adel, qu'il a traversé du N.-E. au S.-O., pour se rendre ensuite dans le royaume de Choa. Le souverain de cette contrée a ac-
cueilli notre compatriote avec beaucoup de bienveillance et lui a fourni les moyens matériels de remplir la mission qu'il s'était donnée; l'entretenant à ses frais dans sa capitale, il a mis à sa disposition de nombreuses escortes pour l'accompagner dans ses excursions.
Malheureusement pour la science , M. Rochet n'avait pour instruments qu'une simple boussole avec alidade et un thermomètre, circonstances qui l'ont empêché de donner à ses observations toute la précision désirable. Néanmoins son voyage fournira encore à la géographie des données précieuses en fixant approximativement la position d'un grand nombre de lieux jusqu'ici inconnus, ou placés d'une manière très-erronée sur les cartes de cette partie de l'Afrique ; la géologie y puisera également quelques renseignements utiles sur lesquels nous allons fixer spécialement l'attention de l'Académie.
« Les bords de l'océan indien, dans les environs de Toujourra, sont formés d'un terrain très-moderne, composé en partie d'une argile calcaire contenant un grand nombre de coquilles, et qui atteint jusqu'à 40 ou 50 mètres de hauteur. Malgré cette élévation, la présence de coquilles (1) toutes semblables à celles qui
(i) Coquilles trouvées à une demi-lieue au N.-O. du village de Toujourra, dans une roche calcaire en décomposition, élevée de 40 à 50 mètres au-dessus du niveau de la mer :
vivent actuellement dans les mers d'Afrique, ainsi que nous l'indiquons dans une note ci-jointe, nous fait penser que le tuf argilo-calcaire dont M. Rochet a reconnu l'existence sur 3 lieues d'étendue appartient à l'époque actuelle, et qu'il est le produit d'encroûtements analogues à ceux signalés depuis longtemps. sur
Solarium, perspectivum Lamk.. Coquille vivante dans l'océan indien.
Rostellaria curvirostris. Lamk. Coquille vivante dans l'océan des Moluques.
Strombua gibberulus. Lamk. Coquille vivante dans les mers de l'Inde et des Moluques.
Terebra flammea? Lamk. Coquille vivante dans les mers de l'Inde et fossile en Italie.
Conus Aldovrandi Brocchi. Fossile en Italie.
Conusvirginalis Brocchi. Idem.
Voluta coronata? Brocchi. Idem.
Ostrea imbricata Lamk. Coquille vivante dans l'océan des grandes Indes.
Tridacna squamosa Lamk. Idem.
Cardita intermedia Lamk. Coquille vivante dans les mers de la Nouvelle-Hollande et fossile en Italie.
Venm rugusa Gmel. Coquille vivante dans les mers de l'Inde et fossile en Italie.
Cardium rugusum Lamk. Coquille vivante dans les mers de l'Inde.
Arca diluvii Lamk. Coquille vivante dans la mer Rouge, fossile en Italie et dans le sud de la France.
Pectunculw N'a pu être assimilé à aucune espèce ni vivante ni fossile.
beaucoup de points de la Méditerranée et de la mer Rouge. A peine M. Rochet avait-Il quitté les bords de la mer, qu'il fut oblige de traverser une chaîne de eollinesassez élevéés, dont la couleur, la nature des roches et la disposition du sol lui rappelèrent tout d'abord les terrains volcaniques de l'Italie, qu'il avait visités à plusieurs reprises.
« Ces roches volcaniques recouvrent la surface de la plus grande partie du pays d'Adel que M. Rochet a parcourue. Il cite cependant dans plusieurs localités la présence du granit, du gneiss et de terrains tertiaires, de sorte qu'il paraîtrait que cette contrée, formée, comme l'Auvergne, de terrains anciens au milieu desquels il existerait quelques petits bassins tertiaires, aurait été traversée en tout sens par des éruptions volcaniques. Le manque absolu d'échantillons ne nous permet pas d'émettre une opinion certaine sur la nature de ces terrains volcaniques; toutefois plusieurs faits signalés par M. Rochet nous font présumer qu'il existe à la fois des terrains trachytiques et des volcans récents. L'existence de ces derniers est certaine, - la seule inspection des dessins exécutés sur les lieux par M. Rochet ne laisse aucuil doute à cet égard. Ils offrent des coulées semblables aux chères de l'Auvergne et du Vésuve.
« Près d^Alexitâne, on voit même s'élever plusieurs
petits cônes tronqués de 10 à 12 mètres de haut, enveloppés de tous côtés par une lave vitrifiée, hétérogène ; ces petits cônes sont la représentation fidèle des bouches qui s'ouvrent dans quelques éruptions sur les flancs des volcans brûlants et par lesquels la lave se déverse.
« Les principaux lieux du pays d'Adel, où M. Rochet signale ce genre de volcans, sont Alexitâne, Gagadé, Nehellé et Ségaddara. Près de ce dernier lieu, il existe un plateau volcanique qui domine le pays sur plus de 50 lieues de circonférence. La couleur sombre du sol, l'absence presque complète de végétation sur toute cette vaste étendue, montrent que tout ce pays a été en proie aux actions volcaniques.
« J'ai, dit M. Rochet, visité le Vésuve, Stromboli et l'Etna; la lave de tous ces volcans , réunie, ne peut servir de terme de comparaison pour celle qui était alors accumulée sous mes veux, dans la vallée de Dabita. » « Les terrains tertiaires sont fréquemment mélangés aux roches volcaniques; ces dernières, arrivées au jour à une époque postérieure au dépôt de ces terrains, les ont soulevés et portés quelquefois à des hauteurs assez considérables.
« M. Lecocq, qui, sur notre demande, a bien voulu se charger de la détermination du peu de fossiles que
M. Rochet a rapportés, regarde comme appartenant au terrain tertiaire inférieur le calcaire argilo-siliceux qui occupe une surface assez considérable à Gaubade, dans le désert des Adels, à 25 lieues au sud-sud-ouest de la baie de Toujourra. Le Cerithium subpunctatum, qui se trouve à Grignon et à Houdan, caractérise le calcaire de Gaubade , dans lequel il existe avec une profusion telle, que M. Rochet a pu en ramasser plusieurs poignées sans aucune recherche. Il est à regretter que nous ne puissions fonder ce rapprochement curieux que sur un seul fossile. Le terrain tertiaire inférieur, si puissant dans le terrain de Paris, n'est connu dans le midi de la France qu'aux environs de Bordeaux, et nous ne croyons pas qu'on ait encore cité cette formation dans aucun point du bassin de la Méditerranée.
« Les terrains volcaniques se prolongent jusqu'au royaume de Choa, mais ils sont exclusivement concentrés dans les provinces est de cet État, c'est-à-dire dans celles qui sont limitrophes d'Adel. M. Rochet Y signale, à 19 lieues à l'est d'Angobar, capitale de ce royaume, outre plusieurs volcans éteints, un. volcan en combustion nommé Dofâne.
« D'après les descriptions qu'il donne et que nous transcrivons, le Dofàne nous parait être plutôt tinel
soljatare analogue à celles de Pouzzoles qu'un volcan proprement dit.
« Il constitue une montagne isolée au bord d'une grande plaine formée de roches trachytiques décomposées en.partie par le feu. Ce volcan n'est percé à 1 intérieur que d'un seul cratère sur les parois duquel il se dépose des plaques de soufre qui offrent toutes les nuances depuis le jaune le plus clair jusqu'au rouge-brun. La bouche de ce volcan vomit constamment de la vapeur et de la fumée. »
« Le sol du royaume de Choa est particulièrement formé de roches granitiques ; les montagnes qui le circonscrivent presque de tous côtés tempèrent beaucoup la chaleur de ce climat africain; les pluies abondantes, qui reviennent périodiquement deux fois chaque année, permettent de faire par an deux moissons de céréales.
« M. Rochet a joint à son Mémoire plusieurs tableaux contenant des observations thermométriques faites avec soin; il a, en outre, donné la température d'un assez grand nombre de sources chaudes, lesquelles sont fort abondantes dans la partie est du royaume de Choa et dans le pays d'Adel : il en cite trois à Fine-Fini, situées à 20 lieues à l'ouest d'Angobar, dont l'eau, qui en jaillit à grands jets comme au Geyser, en Islande, possède une température de 80" Réaumur.
« L'ensemble des circonstances que nous venons de résumer nous parait indiquer que, dans la contrée explorée par M. Rochet, il existe un foyer volcanique encore en activité. De nouvelles observations montreront si ce foyer volcanique se rattache à celui déjà connu sur les côtes de l'Arabie.
« Il résulte, de cet exposé succinct, que, bien qu'incomplet, le voyage de M. Rochet présente un véritable intérêt, en ce qu'il nous fournit des documents sur une contrée où jusqu'ici aucun géologue n'avait pénétré. M. Caillaud n'avait pas dépassé le Sennar, et les observations si curieuses de M. Russignerse rapportent principalement à la partie de l'Afrique comprise entre le Darfour et l'Abyssinie.
« M. Rochet se propose de faire un second voyage dans l'Abyssinie; les relations qu'il y a établies lui en fournissent les facilités. Le séjour qu'il a fait en Europe lui a, en outre, permis de se livrer à quelques études qui rendront ce second voyage plus profitable aux sciences. Le zèle et le dévouement de ce jeune voyageur nous paraissent devoir être encouragés par l'Académie; il serait également très-heureux s'il pouvait emporter quelques instruments qui lui manquent et dont nous joignons la liste à la fin de ce rapport.
« Votre commission vous propose, en conséquence, « 1" De remercier M. Rochet d'Héricourt de la com-
munication intéressante qu'il vous a faite sur son voyage en Abyssinie; « 2° Qu'il soit donné, comme encouragement à ce jeune voyageur, les instruments suivants : « Une boussole à niveau; « Une boussole de voyage; « Deux baromètres de hauteur ; « Quatre thermomètres pour mesurer la température du sol; « Un sextant ; « Un horizon artificiel; « Et deux niveaux d'eau. » Les conclusions de ce rapport ont été adoptées.
ERRATA.
Page 17, ligne 15, au lieu de : en face Djedda, lisez: en face de Djedda.
Page 42, ligne de la note, au lieu de : Nommis sérirs, lisez : Nommés sérirs.
Page 43, ligne 16, au lieu de : Toujourra, Rahiéta et Gargori, villages situés, lisez : Toujourra, Rahiéta et Gargori, village situé.
Page 69, ligne 20, au lieu de : assez semblables, lisez : assez semblable.
Page 96, ligne 9 de la note, au lieu de : les tiges d'un arbuste, Usez : des tiges d'arbustes.
Page 100, ligne 13, au lieu de :je la plaçai, lisez : je la plaçais.
Page 133, ligne 21, au lieu de : celle des Gallas-Itou, lisez : celles des Gallas -Itou.
Page 179, ligne 12, au lieu de : déservent ce pieux établissement, lisez : desservent ce pieux établissement.
Page 197, ligne 22, au lieu de : et d'en extraire la plus grande quantité de suc, lisez : et d'en extraire une plus grande quantité de suc.
Page 204, ligne 5, au lieu de : saint Athanuse, lisez : saint Athanase.
Page 224, ligne 15, au lieu de : où sont déposés la majeure partie, lisez : où est déposée la majeure partie.
Page 239, ligne 3, au lieu de : conduit par des vues poliques, lisez : conduit par des vues politiques.
Page 326, ligne 24, Page 327, ligne 21, Page 328, ligne 6, Page 329, ligne 19,
au lieu de : Hasen-Méras, lisez : Hasen-Maras.
Page 336, ligne 7, au lieu de : partis le 5, lisez : partis le Ii.
COTE ORIENTALE DE LA MER ROUGE DEPUIS SUEZ JUSQU'A MOKA.
Route du Kaire à Suez. — Approvisionnement d'eau de cette ville. —
Sources de Kuerguedeh et d'El-Bir, fontaines de Moïse. — Nivellement du port de Suez. - Facilité de conserver cette ville. — Tableau de ses importations. — Explication naturelle du passage de la mer Rouge par les Hébreux. — Eltorra. — Importance de sa position. — Son avenir. ,
— Bain de Moïse. — Caractères géologiques des golfes de Suez et de Lakaba. - lies de Thérân, de Barkam et de Némân. — Mouillage de l'Ouièche. — Ile de Merouma. — Gebel-Hassenine. — Pêche des perles.
— Baridi. —Yambo. — Djedda, son commerce, sa navigation, revenus de la douane, son hôpital, M. Chédufau, tombeau d'Eve. - Ile de Camérân. — Origine du titre d'iman que prennent les gouverneurs de Sâna. -Hodeïda, son port, son commerce, revenus de la douane.Moka, son commerce. — Le capitaine Buston ; procédé employé par lui pour s'assurer de la qualité d'un chargement de café. - M. Chimper, voyageur bavarois. — Observations sur le commerce de la côte asiatique de la mer Rouge. —Tableau des exportations annuelles d'Hodeïda et de Moka et du prix ordinaire des marchandises dans ces deux villes, poids et mesures qui y sont employés. — Cause de la diminution des revenus des douanes. — Les négociants de la mer Rouge. — Sa navigation. — Importance politique de ses ports.
CHAPITRE PREMIER.
• • • /• Le 22 février 1839, je quittai le Kaire pour me rendre en Abyssinie, en passant par la mer Rouge. Deux routes, l'une dite route du haut, l'autre connue sous le nom de route du bas, conduisent du Kaire à Suez. La première est la plus fréquentée : les Anglais l'ont adoptée pour les communications régulières qu'ils ont organisées entre le Kaire et Suez; ils y ont formé cinq établissements qui servent de relais au transport de leurs voyageurs, et qui pourraient bien être les premiers jalons de l'occupation future de la route de l'Inde par l'Egypte.
Je fus peu curieux de suivre la voie ordinaire; je préférai la route du bas, parce qu'elle se conforme à la direction du terrain volcanique qui s'étend depuis la montagne Rouge, située à une demi-lieue à l'est du Kaire, jusqu'à Suez, et que, d'un autre côté, comme elle est beaucoup moins fréquentée que la première, elle est aussi moins connue ; je n'y observai rien qui méritât d'attirer la curiosité. De distance en distance, on Y voit de petits monticules de terrain de soulèvement, de productions volcaniques; à moitié chemin,
à peu près entre le Kaire et Suez, on remarque deux anciens volcans éteints : ce sont les seuls accidents de terrain qui m'aient paru dignes de quelque attention.
Longue d'une trentaine de lieues environ, dans toute son étendue, elle traverse un désert sablonneux, que parcourent quelquefois des caravanes de Bédouins qui vont porter au Kaire du charbon extrait du mont Sinaï, et des tribus d'Arabes nomades qui, cherchant leurs pâturages tantôt-en Syrie, tantôt en Egypte, passent alternativement de l'une de ces contrées dans l'autre, suivant les saisons. A l'époque où je m'y trouvai, si peu fréquentée qu'elle fût, le voyageur y était à l'abri de tout danger, protégé par la rigoureuse police que Méhémet-Ali avait établie dans les déserts soumis à sa domination; mais, aujourd'hui que l'autorité du vice-roi a été si profondément ébranlée et si sévèrement restreinte, je n'oserais promettre une complète sécurité au voyageur qui s'aventurerait dans la route du bas. A 6 lieues de Suez, les deux chemins se rejoignent : celui que les Anglais ont adopté n'a, sur l'autre, d'autre avantage que d'être un peu plus court et moins accidenté.
J'arrivai à Suez le 25, à deux heures du soir. Cette chétive bourgade, trop connue pour que j'en donne une description détaillée, n'offre rien de remarquable; c'est à peine si sa population, composée d'Arabes, de
Cophtes, de Grecs et de Turcs, s élève à 6 ou 800 âmes.
Elle ne renferme point d'eau douce dans son enceinte : on est forcé d'aller puiser celle dont on se sert pour la boisson à une source située à 3 lieues de la ville, sur la côte asiatique du golfe, au pied d'un coteau peu élevé. Cette source a 10 mètres de circonférence; elle est connue sous le nom de Kuerguedeh; son eau est légèrement saumàtre et se vend une piastre turque l'outre, équivalant à 25 ou 30 litres. La consommation journalière de Suez est de 300 outres, que transportent 25 chameaux, chargés de six outres chacun et fai- sant deux voyages par jour. La source de Kuerguedeh est si abondante, qu'elle pourrait fournir l'approvisionnement d'un nombre infini de navires. On consomme aussi à Suez 300 outres par jour d'une eau plus saumâtre provenant d'Eibir, lieu situé à environ trois quarts d'heure au nord de la ville; elle coûte une demi-piastre turque l'outre; elle sert à abreuver les animaux et à laver le linge.
A une demi-lieue à l'ouest de Kuerguedeh, on voit dans le sable, au niveau du sol, 15 sources d'eau saumatre, éloignées de quelques minutes les unes des autres : ce sont les fontaines de Moïse.
Le 1er mars, à midi sept minutes, je fis le nivellement du port : la mer, dans son flux, qui a lieu toutes les douze heures, s'élevait de 1 mètre 987 millimètres;
pleine lune, vent du sud frais. Le 2, à une heure vingtcinq minutes du matin, elle s'élevait de 1 m. 843 mill., vent du nord; le 4, à deux heures vingt minutes après midi, de 1 m. 285 millim., vent du nord plus fort que la veille; le 6, à deux heures vingt-sept minutes du matin, de 1 m. 257 millim., vent du nord-est; le 7, à deux heures vingt-cinq minutes après midi, de 1 m.
263 millim., même vent.
On sait que les navires ne peuvent pas entrer chargés dans le canal; le peu de profondeur des atterrages les oblige à s'arrêter en rade, à une lieue de la terre, exposés à l'impétuosité des vents, qui soufflent très-souvent avec une violence excessive, toujours en danger de chasser sur leurs ancres et d'aller se briser sur les nombreux récifs dont la rade est parsemée.
Il serait absolument impossible de garder Suez, si l'on n'était maître de l'Egypte et si l'on en avait le gouvernement pour ennemi; d'ailleurs, dans cette hypothèse, cette position, qui serait la tête d'une route sans aboutissant, n'aurait plus de valeur. Mais, au contraire, si l'on n'avait rien à craindre de l'Egypte, on pourrait la mettre bien aisément en sûreté contre les attaques des tribus bédouines, auxquelles elle pourrait être exposée : quelques redoutes, un petit fort à Kuerguedeh pour garder la source, et une garnison de quelques centaines d'hommes, dont une partie protégerait
les convois d'eau, suffiraient à rendre Suez inexpugnable aux Bédouins.
J'ai pu, pendant le séjour que j'ai fait à Suez, obtenir, du directeur de la douane turque et de plusieurs marchands particuliers, des renseignements commerciaux que j'ai résumés dans le tableau suivant, où j'indique en moyenne les valeurs des marchandises, provenant de l'Inde et du golfe Arabique, qui y sont importées annuellement.
Piastres turques. Francs Gomme arabique. 600,000 130,000 Encens 700,000 175,000 Poivre 400,000 100,000 Cocos 300,000 75,000 Curcuma. 60,000 15,000 Nacre de perle. 300,000 75,000 Fines perles. 50,000 12,500 Étain. 450,000 112,500 Ecaille 500,000 125,000 Plumes d'autruche 200,000 50,000 Cachemires. 700,000 175,000 Tombac. 300,000 75,000 Melava (étoffe de coton bleu dont se servent les femmes égyptiennes). 500,000 125,000 Héle (graine). 580,000 145,000 Piastres turques. 5,640,000 fr. 1,410,000 Talari. 382,000
Ces marchandises sont transportées et vendues au Kaire par le commerce privé: je n'ai pas compris parmi elles le café, dont le vice-roi d'Égypte s'est réservé le monopole.
C'est à 3 lieues environ au sud de Suez que l'Écriture sainte place l'endroit où les Hébreux passèrent la mer Rouge, à leur sortie d'Égypte. On peut croire à l'exactitude de cette indication, si l'on admet, pour cet événement fameux, l'action d'une volonté surnaturelle qui aurait miraculeusement interverti les lois physiques en faveur des Israélites : il est impossible, en effet, que la mer Rouge ait été guéable dans les lieux que la Bible désigne. Si l'on supposait même une élévation des eaux, hypothèse contredite par le gisement actuel du golfe, en calculant, depuis l'époque de Moïse jusqu'à la nôtre, leur empiétement progressif, on trou- verait une différence de distance trop marquée pour s'arrêter à cette opinion; si, au contraire, on rapproche de l'emplacement actuel de Suez le théâtre de ce grand fait, il est facile d'en donner une explication naturelle.
Il existe encore aujourd'hui, à 200 mètres environ au sud de la ville, un banc de sable qui prend naissance sur la rive asiatique et se prolonge jusqu'à la moitié du canal, où il se continue par des bas-fonds que recouvrent 1 mètre 27 centimètres d'eau, assez pour livrer passage à une grosse barque non chargée;
vis-à-vis, partant de la rive occidentale, s'avance une péninsule d'une lieue de longueur, à laquelle venait se joindre le banc de sable, aujourd'hui détruit dans cette partie par des causes qu'il serait très-aisé d'expliquer.
On conçoit que les Israélites aient pu traverser ce détroit à gué pendant la marée basse, et que l'armée égyptienne, qui s'était engagée à leur poursuite, ait été surprise, arrêtée ou submergée par le reflux.
J'aurais pu descendre la mer Rouge par le bateau à vapeur qui fait le service des Indes, si j'avais tenu à arriver rapidement au but de mon voyage : le steamer anglais m'aurait conduit à Moka en sept jours. Mais je préférai longer la côte de la mer Rouge; et la voie de transport par le cabotage, en me permettant d'explorer minutieusement le littoral de cette mer, offrit plus d'attraits à ma curiosité : aussi je pris passage, moyennant 20 talari, sur une petite barque, de la portée de 40 à 50 tonneaux et de douze hommes d'équipage, qui faisait voile pour Djedda.
Nous partîmes de Suez le 19 mars, et le 20 nous ancrâmes tout près d'Haman-el-Pharaon; le lendemain, dès sept heures du matin, nous nous mimes en route. Un vent impétueux s'était levé à onze heures; la mer devint très-grosse. Plusieurs fois les énormes lames qui déferlaient contre notre frêle embarcation la couvrirent, entièrement; comme elle n'était pas pon-
tée, ainsi que le sont le plus grand nombre des petits bâtiments qui naviguent sur la mer Rouge, toute la cargaison fut submergée, et nous ne parvînmes à mouiller à Eltorra, où nous entrâmes à deux heures du soir, qu'après avoir couru de grands dangers.
Eltorra n'est plus qu'un hameau de 17 à 20 maisons en ruines, habité par des Cophtes, des Grecs et des Arabes; les lieux où s'élèvent ces misérables masures furent, dans l'antiquité, l'un des entrepôts du commerce des Indes. Dans le xvie siècle, à l'époque où les Portugais cherchaient à s'assurer le monopole du commerce indien, vers lequel ils venaient de se frayer une route nouvelle, ils s'emparèrent d'Eltorra, sous la conduite de don Juan de Castro, et y élevèrent quelques fortifications, parmi lesquelles une petite citadelle en ruines est la seule qui soit encore debout. Il ne reste à Eltorra aucun vestige de son ancienne splendeur; des avantages naturels de sa position, son port, qui peut contenir de 15 à 20 bâtiments de la portée de 2 à 300 tonneaux, est l'un des plus remarquables. Ce hameau me paraît destiné à reprendre le rang qu'il a déjà occupé parmi les villes commerciales de la mer Rouge; sa situation est en effet de la plus grande importance : Eltorra sera toujours, sur le golfe Arabique, l'entrepôt naturel du transit du commerce de l'Inde avec l'Europe. Si le retour de ce commerce ramenait dans la mer
Rouge un mouvement maritime actif et considérable, le port d'Eltorra en serait le terme et le point de départ : là les navires viendraient apporter les produits de l'Inde; là ils viendraient chercher ceux de l'Europe : c'est à la complète sûreté de son mouillage qu'Eltorra devrait cet heureux privilège. Nous avons vu les dangers de la rade de Suez ; ceux de la navigation d'Eltorra à Suez ne sont pas moindres : ils sont redoutés des marins les plus expérimentés de la mer Rouge. Un commerce riche ne saurait s'y exposer; il choisirait donc Eltorra pour point d'arrêt. Le transport des marchandises pourrait se faire d'Eltorra à Suez, en cinq jours, par le moyen des chameaux, que l'on aurait par milliers, en aussi grand nombre que l'on voudrait. Un chameau portant un poids de 200 kilogrammes coûterait, d'Eltorra à Suez, 30 piastres turques (7 fr. 50 cent.), et de Suez au Kaire même prix.
De plus, Eltorra pourrait servir de port d'importation à la Syrie méridionale. Cette ville est entourée, sur un rayon a une demi-lieue, d'un terrain cultivable qui suffirait à nourrir de 1,500 à 2,000 âmes. On n'y voit aujourd'hui aucune trace de culture; quelques rares palmiers élèvent ça et là, sur sa plage déserte et triste, leurs troncs élancés et le panache arrondi de leurs frondes. Sa position serait très-aisée à conserver : un petit fort avec 2 ou 3 pièces de canon et 100 hommes
de garnison tiendrait en respect les Bédouins qui fréquentent les déserts environnants.
Il y a dans le voisinage d'Eltorra plusieurs puits dont l'eau est légèrement saumâtre. A trois quarts d'heure environ au nord d'Eltorra, se trouve le bain de Moïse : ce bassin est creusé au pied d'une colline de soulèvement; il est clos d'une muraille de maçonnerie grossière et recouvert de branches de palmier, au milieu desquelles est pratiquée une ouverture. A peine est-on à l'entrée du corridor par lequel on y pénètre, que l'on respire une forte odeur d'acide sulfureux. Le bain est un carré dont les angles sont arrondis; il est enfoncé de 4 pieds dans le sol; il a 39 mètres 67 centimètres de circonférence sur 4 mètres 57 centimètres de profondeur. Son lit est de gravier, l'eau en est limpide ; j'en essayai la température : au bout de six minutes, le thermomètre de Réaumur demeura stationnaire à 27 degrés un tiers. Les Arabes, amis du merveilleux, présentent comme l'une des propriétés surnaturelles du bain de Moïse l'augmentation de chaleur qu'ils prétendent que l'on y remarque au coucher et surtout au lever du soleil. Je ne puis contester ce fait, car le temps m'a manqué de le vérifier. La source qui alimente le bain coule au bas de l'angle situé au nord-est; elle a 38 centimètres de circonférence; elle descend à peu près perpendiculairement.
Il y a dans les environs du bain plusieurs sources, dont l'une, appelée également source de Moïse, fournit de l'eau douce très-potable.
Nous reprîmes la mer, le 22 , à huit heures du matin, et nous vînmes mouiller, le même jour, à RasMahamet, sur la pointe la plus avancée de l'Arabie Pétrée, qui sépare le golfe de Suez du golfe de Lakaba.
Le lendemain, nous entrâmes dans celui-ci et nous nmes notre station à Chéroum , port très-sûr, assez vaste et assez profond pour contenir une trentaine de navires de haut bord, à une demi-lieue au nord-est uquel est une source d'eau légèrement saumâtre.
Depuis Haman-el-Pharaon, les rives des deux golfes que nous avions côtoyées, en contournant l'angle de l'Arabie Pétrée, présentent un terrain de soulèvement de produits volcaniques : la révolution souterraine a été beaucoup plus grande sur le golfe de Lakaba que sur le golfe de Suez.
Le 24, à neuf heures du matin , nous mîmes à la voile; nous traversâmes le golfe de Lakaba , poussés par un vent frais et favorable qui nous conduisit à l'île de Thérân où nous jetâmes l'ancre. Cette île , montagne de soulèvement, haute de plus de 600 mètres, était autrefois couverte par la mer. La quantité prodigieuse de fossiles que l'on y trouve, du sommet à la base, permettrait de faire , en peu de jours , une
collection de plusieurs centaines de variétés de coquillages pétrifiés.
Le 26 , le 27 et le 28 , naviguant, comme à l'ordinaire , pendant le jour et faisant halte pendant la nuit, nous nous arrêtâmes successivement aux îles entièrement arides de Barkam, de Némân et au mouillage de l'Ouièche , petit hameau à une lieue à l'est duquel il y a de l'eau excellente que les habitants vendent une demi-piastre l'outre. Quoique les environs de l'Ouièche soient, comme les lieux où nous avions relâché jusqu'alors , affreusement stériles , une centaine de pauvres Arabes y vivent dans des cabanes adossées aux roches calcinées d'un coteau qui domine les sables brûlants du rivage. Cette chétive population, adonnée à la pêche, reçoit de Kosseyr des objets d'approvisionnement qu'elle brocante avec les Bédouins de l'intérieur. Les navires qui s'arrêtent à l'Ouièche peuvent y acheter de la farine, du pain frais, des poules, des moutons, des dattes , etc. Le port de l'Ouièche est très-sûr et suffirait à contenir de huit à dix bâtiments de 150 à 200 tonneaux. Nous en sortîmes le 29, à huit heures du matin ; à quatre heures du soir nous mouillâmes à l'île déserte de Merouma, d'où nous partîmes le 30. Le même jour, à trois heures du soir, nous arrivâmes à Gebel-Hassenine, où l'on pêche des perles.
Cette pêche se fait par le moyen des plongeurs ; les
Arabes qui l'exploitent louent l'emplacement au pacha et Payent de forts salaires aux hommes dont ils se servent. Il me semble qu'il leur serait avantageux de substituer la drague au mode très-coûteux qu'ils emploient aujourd'hui. Les formes globuleuses que présente 1 intérieur des coquilles me font supposer que l'on y trouverait des perles en les cassant; je présume que, si l'on essayait de vérifier ma conjecture , on aurait à se féliciter des résultats que l'on obtiendrait.
Nous allâmes, le 31 , passer la nuit à Baridi , et, le avril , à quatre heures du soir, nous atteignîmes le port d Yambo , ou nous devions demeurer quelques jours.
Yambo, petite ville qui peut avoir de 900 à 1000 ha- bitants, est bâtie au bord du golfe ; son emplacement est fort malsain : la mer, qui la baigne au sud et au nord, s'avance souvent sur les terres et y dépose, en se retirant, des algues , qui, échauffées par le soleil, exhalent, pendant le jour, des vapeurs infectes : aussi les fièvres régnent-elles constamment à Yambo. La ville est entourée d'une muraille crénelée, qui ne pourrait résister au canon. Son commerce est à peu près nul; il ne mérite pas d'attirer l'attention. L'eau , que ouest forcé d'acheter, comme une denrée de première nécessité , sur les côtes arides de la mer Rouge , où la nature avare ne la fournit pas gratuitement aux be-
soins de J'homme, y est à un prix très-élevé : à l'époque où je m'y trouvais , on vendait 20 piastres ( 5 fr. )
une outre d'eau douce, 10 piastres une eau un peu saumâtre, et 5 piastres de l'eau presque imbuvable : comme il n'avait point plu pendant l'année précédente, les citernes étaient presque épuisées; c'était aussi le moment du passage des pèlerins qui se rendaient à Médine. On peut évaluer à 15 ou 20,000 le nombre des musulmans qui abordent annuellement à Yambo pour faire ce pieux voyage.
Nous quittâmes Yambo le 8 avril ; nous ancrâmes à Djedda , le 13, à trois heures après midi, après avoir fait nos stations quotidiennes à Djar, Mastrue, Rabayh et Ras-katoba, lieux absolument incultes et dépeuplés. Depuis Lakaba jusqu'à Djedda , le littoral du golfe Arabique continue à présenter un terrain de soulèvement sur lequel on observe des traces de produits volcaniques.
Vue de la mer, Djedda offre un assez bel aspect ; on croirait avoir en face de soi une ville où régnent avec l'aisance l'ordre et la propreté ; mais à peine est-on débarqué que l'illusion disparait devant l'irrégularité, la malpropreté des rues et la misérable apparence de la plupart des maisons. La rade de Djedda est fermée par un long banc de rochers qui amortit la violence des vagues et derrière lequel les navires s'abritent en sûreté.
La ville est au fond de la rade; derrière elle, à ses côtés, s'étendent de vastes plaines absolument incultes.
Elle est enceinte , comme Yamho, d'une chemise flanquée de petites tourelles , qui ne pourraient offrir qu'une faible résistance : sa population, qui est de 1.5 à 18 mille âmes; la beauté et la sûreté de son port, sa position avantageuse qui lui donne le privilége d'approvisionner tout l'Hedjas, concourent à placer Djedda au premier rang des villes commerçantes du golfe.
L'eau y est excellente et très-abondante ; on la vendait, lors de mon passage, i de piastre l'outre. Les objets d'exportation que l'on y trouve au moment du pèlerinage sont la gomme arabique , le copal, l'encens, les plumes d'autruche, qui proviennent principalement du port de Souakim, situé en face Djedda, sur la rive occidentale de la mer Rouge; des cachemires, des tapis de Perse, des perles fines, des pierres précieuses, des turquoises, topazes, grenats orientaux, ainsi que des quartz-agates très-variés. Le café ne se montre sur ce marché quren très-petite quantité : on y trouve aussi des esclaves. Les importations sont la branche la plus considérable de son commerce ; elles consistent en riz, sucre, épiceries, tapis de Perse, cachemires, différentes étoffes de coton et soieries provenant des Indes, des objets de mercerie, des cristaux, de la porcelaine, de la e-outellerie, etde la verroterie grossière. Il vient par
an à Djedda environ 15 à 18 gros navires, de 4 à 500 tonneaux, équipés par les Banians, sujets in- dous de l'Angleterre. En 1838, la douane a rapporté 260,000 talari ; six ou sept ans auparavant, elle en produisait de 400 à 450,000. Cette diminution, d'après les renseignements que j'ai pris, ne doit pas être attribuée à un décroissementde commerce. Le chiffre de la recette des douanes , qui devrait être d'environ 500,000 talari (2,500,000 fr.), peut servir de base à une évaluation approximative du commerce de Djedda, en supposant que la moyenne des droits perçus soit de 10 0, la valeur de ce commerce s'élève à 25 millions de francs.
J'allai voir à Djedda M. Chédufau, chirurgien en chef des armées de l'Hedjas et du Yemen, au service du vice-roi d'Egypte : le zèle et le talent dont ce brave médecin a fait preuve dans l'exercice de ses fonctions et l'intérêt qu'il porte aux voyageurs lui ont acquis une réputation méritée. Il me reçut avec la plus grande cordialité; il me fit visiter un bel hôpital militaire qui a été construit sous sa direction, au nord de la ville, et où il n'a rien négligé pour assurer aux malades les soins et les ressources que son art peut leur procurer.
A cinq minutes à l'est de l'hôpital, les musulmans vont visiter un tombeau pour lequel ils professent le plus grand respect et qu'ils disent être celui d'Ève, sans réfléchir que, si le déluge a été universel comme l'enseigne
leur religion, il n'a pas dû avoir plus de ménagements pour la sépulture d'Ève que pour les autres constructions humaines dont il n'a pas laissé le moindre vestige.
Je fis marché avec le patron d'une baquela (brick arabe) qui se rendait à Moka; le prix de mon passage fut fixé à 9 talari. Je m'embarquai le 19, et nous mîmes à la voile le même jour à quatre heures du soir.
Nous allâmes mouiller le 22 dans une île située à une lieue à l'ouest de Confouda; nos marins y firent du bois. Le 23, à deux heures du matin, nous poursuivîmes notre voyage; le 27, à midi, nous ancrâmes à Camerân. Cette île renferme trois puits d'eau douce excellente; on y fait la pêche des perles de la même manière qu'à Gebel-Hassenine. A son extrémité orientale, on observe, auprès d'un village, un petit fort construit par Senen-Pacha, arnaoute (1) que Sélim le envoya, vers la fin du xv. siècle, à la conquête de 1 Hedjas et du Yemen. Il pénétra jusqu' àSàna, où il résida pendant plusieurs années; rappelé à Constantmople, il laissa pour gouverneur de cette ville son inian, prêtre de la religion musulmane, dont les foncions, comme son nom l'indique, consistaient primitivement à laver les morts; c'est depuis lors que les gouverneurs de cette province ont conservé le titré d'iman.
(1) Albanais.
Nous levâmes l'ancre le 28 à minuit; nous vînmes la jeter, le lendemain, à sept heures du matin, à Hodeïda.
Hodeïda est une petite ville de 3 à 4 mille âmes : de même que Djedda, elle est entourée de déserts, on y voit cependant un jardin qu'Ibrahim-Pacha, neveu de Méhémet-Ali, est parvenu à y établir. Elle se divise, à proprement parler, en deux villes, dont l'une, bâtie en pierre, est ceinte d'une muraille de briques délabrée, et l'autre, qui forme comme une banlieue, n'est composée que de chaumières. Sa rade pourrait contenir 50 navires de haut bord; elle est ouverte à l'ouest; les navires qui s'y arrêtent sont quelquefois obligés d'y demeurer plusieurs jours, retenus par les vents contraires qui en rendent fréquemment la sortie périlleuse. Hodeïda fait un commerce d'exportation assez important; les principales marchandises qui le composent sont le café qui se vend en sorte, la soude brute, le séné, le tamarin, l'encens, la garance, des esclaves, des peaux de bœuf, de chèvre et de mouion; en 1838, la douane d'Hodeïda a produit 80,000 talari; elle en rapportait, il y a six ans, de 120 à 140,000. Pas plus qu'à Djedda, cette diminution de revenu n'est la conséquence du dépérissement du commerce. Le mouvement commercial d'Hodeïda peut être évalué à 15 millions de francs.
Notre traversée, d'Hodeïda à Moka, dura vingt-trois
heures ; nous mouillâmes dans la rade de cette dernière ville le 30 avril à trois heures de relevée.
Après avoir côtoyé, pied par pied, le littoral de la mer Rouge, fatigué de l'aspect monotone de ces plages sablonneuses et brûlantes , de ces rochers tourmentés par l'action volcanique et torréfiés par les feux du soleil, de ces tristes lieux que n'animent jamais ni la végétation ni la présence de l'homme, il est permis de concevoir que l'on repose agréablement sa vue sur la ville et les environs de Moka. En entrant dans la rade, vos regards s'étendent sur une immense plaine parsemée de nombreux dattiers; ça et là quelques jardins cultivés dans le goût oriental montrent leurs massifs de verdure; puis, au bord de la mer, se déploie la ville à laquelle la blancheur des maisons, les terrasses qui les couronnent, les minarets dont les flèches aiguës les dominent, et le mouvement des affaires commerciales, donnent une riante physionomie.
1. Moka est la clef de la mer Rouge; sa rade, plus sure que celle d'Hodeïda, est une étape nécessaire de la navigation entre l'Inde et la partie supérieure du golfe Arabique ; elle peut contenir un grand nombre de navires : c'est par elle que les productions du Yemen Prennent leur débouché. C'est Moka qui fournit le commerce de détail de cette contrée des marchandises dont elle a besoin ; les navires qui sont forcés d'y l'e-
lâcher pour faire de l'eau en trouvent d'assez bonne que donnent une douzaine de puits, et qui se vend à très-bon compter). Si importante qu'elle soit, la position de Moka n'est pas sérieusement défendue par ces fortifications illusoires qui font mine de protéger les por(s du golfe Arabique. La première puissance européenne qui paraîtrait devant sa muraille d'enceinte crénelée, flanquée de ridicules tourelles et garnie au hasard de quelques canons inoffensifs, y entrerait presque sans coup férir; du reste, dès qu'elle en serait maîtresse, avec une garnison de 200 hommes au plus, elle pourrait défier les indigènes de l'en déloger. La population de Moka est d'environ 4 à 5,000 âmes, dont les deux tiers sont attaqués de la plaie du Yemen.
Cette cruelle maladie, qui sévit principalement sur la classe indigente, fait plus de ravages à Moka que dans le reste de l'Arabie.
Les marchandises que l'on exporte de Moka sont le café, la gomme arabique, la myrrhe, l'ivoire, les peaux de bœuf, de chèvre et de mouton; les objets que l'on y importe sont le riz, les épiceries, les dattes, du sucre, toutes sortes d'étoffes de coton, des soieries, des cachemires, des tapis de Perse, des objets de mercerie, de la. coutellerie très-ordinaire, des cristaux et
(1) On la payait, lors de mon passage , i roubies ou komasscs ; il Cil faut 500 pour un lalaro : cette monnaie vaut donc à peu près un centime.
de la verroterie grossièrement travaillée, du cuivre, du zinc et de l'étatn. La douane de Moka a rapporté, l'année dernière, 120,000 talari; il y a quelques années, elle en produisait 200,000; la valeur du commerce qui se fait annuellement à Moka est d'environ 16 millions de francs.
Je passai un mois à Moka. Je fus retenu aussi longtemps dans cette ville par l'heureuse rencontre que j'y fis d'un capitaine français de Bordeaux, M. Buston, commandant le brick la Mathilde, M. Buston était enu à Moka pour faire un chargement de café. Quoique ne connaissant point la langue du pays, il a su, par son activité, son adresse et sa vigilance, se procurer du café de premier choix à un prix moins élevé que le taux ordinaire. Je ne crois pas inutile, dans l'intérêt du commerce, de détailler ici le mode d'opération qu'il a suivi pour vérifier si le café qu'on lui livrait était réellement de première qualité, conformément au traité qu'il avait conclu avec le premier négociant de Moka, Cheik-Mahamet. Après avoir fait ouvrir toutes les balles, voici comment il s'y prit pour savoir si les grains qu'elles renfermaient intérieurement étaient semblables à ceux qui se trouvaient au-dessus : plusieurs hommes transvasaient le café des balles dans de Petits paniers; ils vidaient ensuite ceux-ci l'un aPr<:;s l'autre par-dessus la tête de M. Buslon, qui,
assis sur une chaise, tenait des deux mains une assiette sur laquelle tombait le café ; il l'examinait rapidement et le laissait glisser dans un panier placé entre ses jambes. Aussitôt que celui-ci était rempli, on le remplaçait par un autre et on allait en nettoyer le contenu. Ainsi le capitaine Buston a vu et reçu grain par grain toute sa cargaison, et il a obtenu un café bien supérieur à celui que peuvent avoir ordinairement des capitaines moins zélés que lui.
Je rencontrai aussi à Moka un botaniste wurtembergeois, M. Chimper; il voyageait aux frais d'une société scientifique et revenait d'Adoua, dans la province du Tigré. Les fièvres tropicales l'avaient saisi à Massoua. J'ai eu néanmoins la satisfaction de le voir assez bien rétabli pour pouvoir se rembarquer.
Avant de commencer le récit de mon voyage en Abyssinie, je demande la permission d'ajouter encore quelques mots sur le commerce de la mer Rouge.
Hodeïda etMoka sont, nous l'avons vu, les deux principaux marchés d'exportation et pourraient, sous ce rapport, se faire une concurrence dans laquelle l'avantage demeurerait probablement à Hodeïda ; déjà cette dernière ville fait plus d'affaires que Moka en perles, en garance, en soude et en séné. Les exportations de Djedda sont de peu d Importance, l'on y trouverait annuellement, outre des tapis, des cachemires, etc., 7 à
800 balles de gomme, autant d'encens, 150 à 200 balles decopal.
Les poids et mesures employés sur ces marchés sont les suivants : à Hodeïda, le café se vend par bahars; le bahar se divise en 40 farassels. Le farassel d'Hodeïda équivaut à 18 livres de 16 onces ou à 7 kil. 20 cent.
Le bahar vaut donc 288 kilogr. Dans la même ville, le séné se vend par zanbile, équivalant à 6 farassels.
A Moka, on vend le café par balles du poids de 305 livres anglaises, formant 9 farassels et demi, plus une livre. Le farassel de Moka vaut donc 16 kilogr.
En prenant le café par balle de 305 livres anglaises au lieu de le prendre par farassel, l'acheteur gagne une livre par balle. Les peaux se vendent par hoche, c'est-à-dire par vingtaine.
Voici l'énumération des marchandises que l'on peut trouver annuellement à Hodeïda et à Moka, avec la désignation de leurs quantités respectives et de leur prix.
Liste des marchandises que l'on trouve annuellement sur le marché d'Hodeïda, avec la désignation de leurs quantités et de leurs prix respectifs.
lre qù 90 talari le babar. fr. i 30lekil.
Café. 1600 balles éq* à 2800 q" mét. 2e 85 — 1 20 id.
3e 78 — I 10 id.
Séné. 3600 6000 2 1/2 le zanbile. 0 25 id.
Gomme arabique.. 1000 1600 î 1/2 lefarassel. o 80 id.
Garance » 9000 2 à-3 — 1 15 à 1 fr. 7 2 id.
Encens. » 600 3 à 4 — 1 72 à 2 fr. 30 id.
Tamarin » 18000 î les 8 farassels. 7 22 les J 00. kit Soude brute » 40000 i 1/2 le bahar. 2 22 id.
Perles fines » »
Peaux de bœufs.. 1500 » Oiekocbe. 2 22 id.
— de chèvres. 8000 « i id. 0 32 id.
— de moutons. 1200 » o 1/2 id. 0 12 id.
Liste des marchandises que l'on trouve annuellement sur le marché de Moka, avec la désignation : , de leurs quantités et de leurs prix respectifs.
0' 1.,.. 1 -e ql-é 4 piastr. f- le fa ras. fr. l 30 le kil.
Café. 2000 balles éqt à 3200 qx met. 2: 3 112 id. 1 10 id.
j 3" 3 0 id. 0 95 id.
Gomme arabique.. 600 1000 2 à 3 112 talari id. de 60 à 90 cent. le k.
Myrrlie 300 500 6 id. 1 90 id.
Encens. , j » 170 4 à 4 1/2 id. i 27 à I 43 id.
Ivoire » 200 30 id. 9 18 id.
Tamarin. ,, 20000 2id.!es8farasse!s. 7 65 les 100 kil.
o Peaux de boeufs. 2000 » 9id.lekoche. 2 22 la peau.
— de chèvres J ioooo » 1 114 id.. 0 32 id.
— de moutons.1 15000 Jo o 172 id. 0 12 id.
Les deuxième et troisième qualités de café passent en Égypte, en Perse et aux Indes.
A Moka, les marchandises vendues aux prix que j'ai marqués sont franches de droit de sortie. Il n'en est pas de même à Hodeïda; dans cette dernière ville, les droits sont de 5 talari par bahar sur le café (8 fr' 70 c. les 100 kil.), 4/4 de talaro par zanbile sur le séné (2 fr. 90 c. les 100 kil.), 3 piastres turques par bahar sur la soude, 3 piastres turques par 8 farassels sur le tamarin.
A Moka et à Hodeïda, à l'importation, les négociant qui trafiquent sous le pavillon européen payent un droit de 3 pour 100 sur la valeur des marchandises.
Les négociants musulmans payent le 10 pour 100 sui les mêmes marchandises. A Djedda, les droits-sont de 10 pour 100 pour tout le monde.
On a déjà vu que les revenus des douanes de la mer Rouge ont singulièrement diminué depuis quelques années ; la cause en doit être attribuée aux concussions des administrateurs turcs et non à la décadence du commerce. Ces employés volent impunément, chacun suivant la position qu'il occupe; ils n'ont pas de peine à s'accorder entre eux et à s'entendre avec les négociants du pays : au lieu de leur faire payer intégralement les droits voulus sur les marchandises qu'ils reçoivent ou qu'ils font sortir, ils transigent avec eux
pour la moitié, s'adjugent à leur profit le quart et plus quelquefois, et le reste demeure à l'avantage des transigcurs; ensuite, pour sanver leur responsabilité envers Méhémet-Ali, ils imputent à la diminution du mouvement commercial le déficit des revenus. Il est certain qu'une administration scrupuleuse retrouverait les produits que les douanes rapportaient autrefois, et peut-être même les retrouverait augmentés, car il vient aujourd'hui dans la mer Rouge beaucoup plus de navires chargés que l'on n'en voyait il y a quelques années.
Les négociants de Djedda, Confoudat Holeïa, Hodeïda, Moka, ainsi que tous les marchands indigènes du golfe Arabique sont de la plus insigne mauvaise foi; il n'y a sorte d'astuces qu'ils n'inventent pour tromper et voler leurs acheteurs : non contents d'altérer les qualités des produits qu'ils livrent, ils fraudent sur leur poids. Il ne sert à rien, ou du moins qu'à fort peu de chose, de passer des contrats avec eux ; la crainte seule peut agir sur leurs consciences et les redresser : aussi les Anglais, qui promènent sans cesse des vaisseaux de guerre sur les côtes de la mer Rouge, sont-ils les seuls Européens qui en exploitent le commerce. Les Banians, sujets indous établis en Arabie, îeçoivent de Baroche, de Bombay, du Bengale et du Malabar toutes sortes d'étoffes de coton, des soieries,
du riz, des épiceries qu'ils vendent dans le pays et qu'ils échangent contre d'assez fortes sommes en talari; ils ont le commerce des perles qu'ils se sont approprié en faisant aux pêcheurs des avances en argent.
Le commerce de l'ivoire, du musc et de la poudre d'or qui viennent du nord de l'Abyssinie est aussi entre leurs mains. L'Égypte fournit à l'Hedjas les comestibles : blé, orge, dourah, fèves, lentilles, beurre, etc.
Méhémet-Ali-Pacha lui envoie également les chaussures, les tarbouches et plusieurs autres produits de ses manufactures. Maintenant qu'il a abandonné l'Hedjas et le Yemen, je ne sais si les Anglais ne le supplanteront pas en partie ou en totalité dans ses rapports commerciaux avec le littoral du golfe Arabique.
La navigation de cabotage de cette mer est faite par 3 à 400 barques de 50 à 250 tonneaux ; elles sont commandées par des patrons arabes qui en sont les pilotes.
Une barque est montée ordinairement par 9 à 12 hom" mes : la plupart de ces matelots sont des esclaves achetés par les patrons; ils manœuvrent avec une habileté surprenante à travers les innombrables et dangereux rochers de la mer Rouge; souvent même ils prennent leurs mouillages sur les écueils avec une audace et une intrépidité inouïes : leurs patrons n'ont aucune connaissance de la boussole, ils ne se dirigent que-d'après la connaissance exacte qu'ils ont de tous
les points des côtes qu'ils longent. Les marins indigènes formeraient d'excellents équipages sous le commandement de capitaines européens. Les voyageurs chrétiens doivent user de grands ménagements avec eux, savoir se faire respecter sans recourir aux bravades et s'abstenir de relever les insinuations inju- rieuses dont leur religion pourrait être le prétexte; autrement, livrés à la merci de ces fanatiques, leur sort serait bientôt fait. Plus d'une fois, lorsque la mer • était mauvaise, les matelots de ma barque me maudissaient en imputant à ce chien de chrétien les périls qui les menaçaient ; si je n'eusse feint de ne pas les entendre, ils m'auraient peut-être jeté à la mer, pour calmer la colère d'Allah par le sacrifice d'un infidèle.
Les barques arabes vont rarement de Suez à Moka d'une seule traite; on les nolise pour l'aller et le retour de Suez à Djedda, ou de Djedda à Moka. Le nolis revient, en moyenne, à 25 francs par matelot. Les caboteurs mettraient 2 mois et demi et même 3 à descendre la mer Rouge dans sa longueur; des navires européens feraient ce trajet en 25 jours.
11 résulte, de ce que j'ai dit jusqu'à présent, que, au point de vue politique et commercial, le littoral arabique présente cinq points principaux : Suez, Eltorra, Djedda, Hodeïda et Moka, qui sont les étapes natuielles que devraient prendre des communications
fréquentes et régulières entre l'Inde et 1 Europe par la mer Rouge. L'importance de ces positions serait nulle si l'on ne possédait, soit par une occupation réelle, soit par une influence solidement établie, la tête de la route, le Kaire et Alexandrie. Mais le jour où de l'une ou l'autre de ces manières une puissance européenne dominerait en Egypte, elle aurait la côte de la mer Rouge lorsqu'elle le voudrait, elle la conserverait à très-peu de frais et personne ne pourrait lui en disputer sérieusement l'occupation. Du reste, il sera toujours avantageux, pour assurer son influence sur 1 Egypte même, de prendre pied successivement à Moka, Hodelda et Djedda. Cela est devenu très-facile depuis que Méhémet-Ali a évacué ces villes. Leurs gouverneurs, qui ne seront plus sous l'autorité vigilante d'un pacha redouté, ne manqueront pas, sans doute, de frapper sur le commerce des tentatives arbitraires, et de fournir ainsi aux Anglais des prétextes de querelles; aussi, pour qui connaît le golfe Arabique, il est devenu évident, depuis les derniers succès de la politique britannique en Égypte, que la mer Rouge est, dès à présent, un golfe anglais. -
TOUJOURRA.
Traversée de Moka à Toujourra. — Aspect de ce village et de ses environs; sa rade, ses chaumières et sa population. — Occupations de ses habitants, leurs mœurs. — Gouvernement de Toujourra et du pays d'Adel. — Le sultan de Toujourra.- Une noce à Toujourra. — Singulière manière dont un voleur est puni. — La vendetta chez les Danakiles. - Description géologique des environs de Toujourra, leur végétation; arbre empoisonneur; animaux que l'on y rencontre.
— Montagne Débenet. — Observations thermométriques recueillies à Toujourra.
CHAPITRE II.
Je cherchai, pendant mon séjour à Moka, à me procurer tous les renseignements possibles sur la route que je devais prendre pour pénétrer directement dans le sud de l'Abyssinie : celle de Toujourra à EfatArgouba, la première province du royaume de Choa que l'on rencontre en y arrivant de l'est, me fut universellement représentée comme la plus dangereuse, mais aussi la plus courte ; elle n'avait été parcourue encore par aucun voyageur européen qui eût laissé des résultats, et, dans l'intérêt de la science, je crus devoir me décider à la suivre. Je sortis donc de Moka le 1 er juin à onze heures du matin et j'allai prendre passage sur un petit bâtiment de Toujourra, qui mettait à la voile pour ce port. Nous traversâmes le golfe à peu près à mi-chemin entre Moka et Bab-Elmandel ; à dix heures du soir, nous touchions à la côte africaine et nous abordions dans un petit port à 2 lieues duquel se trouve Rahiéta, village de 160 à 180 chaumières et de 3 à 400 habitants. C'est la résidence d'un sultan danakile, appelé Mahamet-Borhan sous la suprématie duquel sont la plupart des Bédouins de la
kabile (1) Ad-Hali, dont le nom, légèrement modifié, a été appliqué, par les Portugais, au royaume d'Adel.
Le :3, au matin, nous reprîmes notre route, et le 4, à à cinq heures du soir, j'arrivai à Toujourra.
Il est triste de rencontrer, au commencement d'un voyage aventureux, une contrée aussi désolée que celle où Toujourra est située; je ne sais rien de plus morne que l'aspect de ce hameau et des lieux qui l'entourent : sur le bord de la mer, une grève blanchâtre et ardente où sont jetées, adossées les unes aux autres, les huttes mesquines qui forment le misérable village de Toujourra ; au fond, se dressant à une hauteur considérable , des montagnes rocailleuses de productions volcaniques , qui s'étendent du sud-est au nord-ouest sur la même ligne et élèvent de l'est à l'ouest leurs gradins dépouillés : voilà le paysage uniforme qui se déroule devant vous lorsque vous abordez à Toujourra.
Quelques arbustes rabougris , vainqueurs de la stérilité de cette terre, sont les seules traces de végétation qu'y rencontre la vue attristée : il semble que toute vie se soit retirée de là ; et il y a dans cette aridité monotone un emblème de mort qui dessèche l'âme et l'espérance. Il est impossible au voyageur, aux premiers pas d'une expédition dont toutes les circon-
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stances sont encore couvertes d'un voile mystérieux, de fermer son âme aux pensées de doute et de décou ragement qui lui font voir dans un tel début de sinistres présages.
Lorsqu'un étranger arrive à Toujourra , on le conduit sur-le-champ auprès du sultan : je lui fus donc amené dès que j'eus mis pied à terre. Je trouvai cet important personnage accroupi, dans une attitude assez peu majestueuse , devant sa chaumière , pauvre masure qui n'est pas faite pour donner une haute idée de la richesse de son propriétaire. Je m'assis sans façon devant lui, et bientôt presque toute la population de Toujourra , pour laquelle l'arrivée d'un étranger de ma couleur et de ma nation était un grand événement., vint se presser en cercle autour de nous. En digne musulman , le sultan fit., avant toutes choses , apporter le café, et la conversation ne tarda pas à s'engager. Ce petit chef, dont la puissance est bien loin de répondre au titre pompeux qu'il affecte de prendre , m'accabla de questions sur le but de mon voyage : il me dit qu'il me serait impossible de le continuer avant le retour des pluies; que personne , pour le moment, ne s'exposerait à m'accompagner, vu qu'il n'y aurait point d eau sur la route, et que l'on périrait infailliblement de soif si l'on se basai dait prématurément à se mettre tn maiehe. Je ne me contentai point de son avertisse-
ment, je pris d'autres informations; mais, comme elles furent unanimes à le confirmer , je me résignai à attendre la venue des pluies , non sans murmurer contre la fatalité qui me forçait de prolonger sur cette côte abandonnée un séjour si peu attrayant.
Toujourra n'a point de port ; il est situé au fond d'une baie longue de 32 à 34 lieues et large de 6 à 7.
L'entrée de ce vaste canal est défendue ou plutôt obstruée par une infinité de petits îlots; il se trouve parsemé, dans toute son étendue, de récifs qui sont à 2, 3, 5 et même 7 pieds sous l'eau , ce qui doit nécessairement en rendre le mouillage difficile et d'autant plus dangereux, que les navires de la portée de 4 à 500 tonneaux sont obligés d'ancrer à 20 minutes du rivage , exposés aux vents d'ouest, quart-sud-ouest et du nordquart-nord-ouest qui y soufflent avec impétuosité. Il y a peu de temps, un brick anglais de Maurice, nommé VEuphrasia, commandé par M. le capitaine Blondeau, qui venait chercher dans ces parages un chargement de mules, faillit se briser sur les écueils ; néanmoins le fond de la rade est un sable solide qui empêche les navires de chasser sur leurs ancres.
Le village de Toujourra est situé sur la rive droite de cette baie ; les trois cents cabanes qui le composent, groupées sur la plage au bord de la mer, sont construites en forme cylindrique , avec des pieux en bois
enfoncés dans le sable : leurs toitures, palissadées de branches, sont couvertes d'herbes desséchées et s'arrondissent en dôme; juxtaposées les unes aux autres , elles forment de petites rues irrégulières. Une population de 5 à 600 âmes s'abrite sous ces huttes chétives.
Les habitants de Toujourra sont musulmans et musulmans très-orthodoxes ; le mobile commercial est le seul qui les ait réunis et les retienne sur cette plage.
Ils sont les intermédiaires du petit commerce qui se fait entre l'Abyssinie méridionale et l'Arabie ; leur unique occupation est d'aller en Abyssinie acheter des esclaves et quelques autres objets de très-peu de valeur.
Ils vendent ces esclaves à Moka et à Hodeïda, où ils achètent des toiles bleues, du vieux cuivre , du zinc , de mauvais ciseaux, des couteaux et des rasoirs , ainsi que des pièces de soieries qui sont les objets d'échange avec l'Abyssinie. Sans cesse en voyage, ils né- gligent toute espèce de culture et d'industrie ; aussi reçorvent-ils du dehors leur approvisionnement en comestibles , et les denrées de première nécessité sontelles fort chères parmi eux ; le blé, le dourah leur viennent de l'Abyssinie ou d'Aoussa (1) ; le riz, les dattes, le café et le tabac sont importés de Moka.
Cette petite population de Toujourra , par les rela-
0 La principale ville du royaume d'Adel.
lions qu'elle entretient avec l'Abyssinie méridionale, par la connaissance qu'elle a des mœurs , des goûts et des besoins des habitants de ce pays , pourra , je pense, être très-utile aux Européens , le jour où ils voudront se mettre en contact avec lui ; les habitants de Toujourra rempliront alors entre nous et les Abyssins méridionaux l'office de courtiers. Nous trouverons chez eux des guides et des interprètes ; peut-être donc n'est-il pas sans intérêt d'esquisser ici les principaux traits de leurs mœurs et de leur caractère, Les naturels de Toujourra portent l'empreinte de leurs habitudes de négoce ; ils les contractent de bonne heure : enfants, ils vont à l'école dès l'âge de trois ans; il est rare qu'à dix ans ils ne sachent pas lire et écrire l'arabe. A cette époque, ils commencent à suivre leurs pères dans les caravanes ou sur mer et à les seconder dans leurs occupations mercantiles. Hommes, on les voit appliqués à leurs affaires. Ils ne sont pas guerriers ; ils ne sont rien moins qu'ardents à se lancer, comme les Bédouins, dans les hasards d'une lutte , attirés par le seul attrait du combat; au contraire, ils sont, doux, prudents, rangés; peut-être même faudrait-il leur reprocher un peu de timidité. Quoique aimant le gain, ils ne sont pas voleurs, et, lorsqu'on vient. d'Égypte, où les fellahs sont menteurs à un degré peu commun , on ( prouve, en retrouvant la vérité dan*
lahouchedes habitants de Toujourra, une surprise aussi agréable qu'inattendue. Leur sobriélé est extrême ; une poignée de biscuit de dourah suffit à leur nourriture pendant une journée de voyage ; la plupart du temps même le laitage est leur seul aliment. Ils ne fument pas, ils chiquent et ils prisent, et, dans cette dernière habitude , leur esprit parcimonieux se révèle souvent d'une manière assez comique ; ils tiennent leur tabac enfermé au fond d'une petite bourse de boyaux qu'ils ont bien soin de rouler sur elle-même pour que la poudre précieuse ne puisse pas s'échapper.
S'ils prisent en société, après en avoir déplié les tours avec une minutieuse précaution , ils plongent dans l'ouverture le pouce et l'index, les retirent possesseurs une mince pincée qu'ils présentent aux personnes de leur compagnie, leur offrant, chose peu facile, d'en îsir quelques grains entre leurs doigts serrés ; et, lorsqu'ils ont rempli cette formule de généreuse politesse , ils respirent, avec la satisfaction de gens qui connaissent tout le prix du plaisir qu'ils savourent , les grains qu'ils ont su se conserver. Pauvres comme ils le sont, et sous la brûlante latitude qu'ils habitent, on pense bien que leur costume ne doit être ni riche ni compliqué ; il se borne à un manteau de coton dans lequel ils se drapent et à une petite pièce de même étoffe qu'ils retiennent à leur ceinture par la courroie
à laquelle leur couteau-poignard est attaché et qui s'arrête au genou. Ils ne couvrent jamais leur tête et laissent croître leur abondante chevelure , naturellement frisée. Les femmes portent une espèce de blouse; leurs longs cheveux , tressés en un grand nombre de nattes qui descendent jusqu'à la chute des reins, sont leur plus belle parure. Quoique musulmanes, elles jouissent de la même liberté que les hommes et n'ont pas le visage voilé. A l'intérieur, les demeures des habitants de Toujourra sont aussi simples et aussi pauvres que leurs vêtements : une grossière cloison les divise ordinairement en deux parties ; des pliants en osier ou, plus souvent, en courroies de cuir (1), quelques vases pour recevoir le lait de leurs chèvres et de leurs brebis en forment tout l'ameublement. Plusieurs de ces cabanes sont tapissées, à l'intérieur, de nattes en feuilles de palmier , diversement colorées en noir, rouge et jaune, que les femmes tressent avec habileté et qui ne manquent pas d'une certaine élégance.
Le bouclier et la lance sont la principale décoration de la chaumière ; ce sont les seules armes qu'ils emploient; ils les portent toujours avec eux lorsqu'ils sortent, et ne font littéralement pas un pas sans elles. Ils connaissent les armes à feu, mais ils en font très-rarement
(1) Nommis serir.
usage. Toujourra a même de l'artillerie; elle consiste en un canon de 12 , pièce allongée en fer.
Un sultan, un vizir, un cadi et un maître d'école sont les imposantes autorités qui président à notre hameau : on dirait, toute proportion gardée, le maire, l'adjoint, le juge de paix et le maître d'école du plus pauvre de nos villages. A la mort du sultan, le vizir lui succède, et le fils aîné du sultan décédé devient vizir, en attendant d'occuper à son tour la place de son père.
De même que ses revenus, les pouvoirs du sultan sont très-bornés: toutes les affaires se débattent et se décident en conseil, à la majorité des voix; chaque habitant a le droit d'assister au conseil, et participe, en conséquence, à la décision commune.
Toujourra, Rahiéta et Gargori, villages situés à 7 lieues à l'ouest d'Aoussa, sont les résidences de trois sultans qui se partagent la suzeraineté nominale du royaume d'Adel. Ils sont indépendants les uns des autres et, d'ailleurs, n'ont guère d'influence hors des hameaux qu'ils habitent. En effet, la contrée improprement appelée royaume d'Adel, puisqu'elle n'est point soumise à un pouvoir monarchique, est occupée par diverses tribus qui se régissent chacune à sa guise, sans reconnaître d'autorité supérieure à celle de leurs 1as : tel est le nom qu'elles donnent à leurs chefs. La forme générale de leur gouvernement est très-élémen-
taire et rappelle les temps primitifs; il est tout à la foi» républicain et aristocratique : républicain , parce que rien ne s'y fait sans que tous les membres de la tribu aient été appelés à délibérer, et que la majorité ail rendu sa décision. Ce sont ces assemblées qui projettent la guerre ou arrêtent la paix, qui déterminent les travaux à entreprendre, qui fixent l'époque où l'on quittera un lieu, les pâturages où l'on ira camper, etc- Certaines prérogatives, fondées sur d'antiques usages, sur l'influence morale dont jouissent les familles des ras et des sultans, et attachées aux richesses dont elleS disposent, annoncent parmi ces peuples l'existence du principe aristocratique. Les ras ne sont soumis en a11 cune manière aux sultans; ils ne se reconnaissent nid" lernent leurs vassaux : c'est au point que, si, par exem- pie, une des caravanes de Toujourra, qui traversent l'Adel pour se rendre à Efat-Argouba, ne faisait quelques petits cadeaux aux ras qui se trouvent sur la route, le passage lui serait interdit, 011 du moins elle courrait risque d'être attaquée et dépouillée.
Le sultan actuel de Toujourra s'appelle Mahamet' Mahamet : c'est un assez brave homme, qui peut avoir cinquante ans à peu près; il est chargé d'une nombreuse famille, et de beaucoup s'en faut qu'il soit riche. Un droit d'un demi-talaro, qu'il prélève sur les esclaves qui passent par Toujourra, et une espèce de
tribu en bétail, chameaux, chèvres, moutons, que quelques Bédouins de l'intérieur lui portent au commencement de l'année, composent ses minces revenus.
Je logeai dans une chaumière qui lui appartenait; il a fait payer, pour mon séjour et le droit de passage, 8 talari (1) : ce fut du moins ce que je consentis à lui donner après de longs débats, car il commença par en exiger 300 (2). Je dois conseiller aux voyageurs qui pourront me suivre dans la route de Toujourra de ne pas se plier à ses prétentions, de ne pas se laisser intimider par ses menaces, mais cependant d'agir toujours envers lui avec prudence, et de se garder de faire paraître de l'emportement; car, livrés à sa merci, ils payeraient cher leur colère irréfléchie.
Pendant le temps que je demeurai chez lui, le sultan maria son lils aîné et sa fille; il me fit l'honneur de m inviter à la fête qu'il donna à cette occasion, et le hasard me rendit ainsi témoin des cérémonies et des réjouissances nuptiales en usage à Toujourra.
Les jeunes gens sont d'abord fiancés par un conseil de famille, deux jours avant l'accomplissement du mariage ; c'est alors que le père donne à sa fille la dot, ou plutôt-le trousseau, qui consiste en une blouse de soie et en plusieurs mouchoirs de même étoffe, dont
(0 Un peu plus de 40 francs.
1 Environ imo francs.
la valeur ne dépasse point une douzaine de talari. Le lils, en se mettant en ménage, reçoit également de son père un présent en bétail et en étoffes : Mahamet-Mahamet donna au sien 6 chameaux, 2 vaches, 50 chèvres, quelques moutons et diverses pièces d'étoffes.
Après la réunion du conseil de famille, la jeune fille sort à la dérobée de la demeure paternelle et va passer les deux jours d'attente chez des parents ou des amis de sa famille, étroitement renfermée et cachée à tous les yeux : le jeune homme fait de même. Le jour de la célébration du mariage, le sultan, en sa qualité de père de l'épousée, donna le repas de noces, auquel furent invités la majeure partie des habitants et un grand nombre de Bédouins du voisinage. Avant et après le banquet, où l'on servit 10 ou 12 plats de viandes diversement apprêtées, les jeunes gens, réunis en troupe parcoururent le village, précédés de plusieurs tam" bours qui, frappés avec un certain rhythme, mesuraient tous leurs mouvements et servaient d'accompagnement à leurs chants de fête. Les jeunes filles, parées de leurs plus beaux costumes, les nombreuses nattes de leur brune chevelure artistement tressées et décorées de charmants coquillages de la famille des porcelaines, formaient, elles aussi,, leur gaie phalange et enton" naient de vives, mais peu mélodieuses chansons. De temps en temps, ces groupes joyeux s'arrêtaient pour
exécuter leurs danses originales : alors les jeunes gens s arrangeaient en cercle autour de leur grossière musique; ils tiraient de la main droite leurs couteaux-poignards, et, les brandissant au-dessus de leur tête, exécutaient un mouvement circulaire en frappant la terre de leurs pieds avec une sorte de cadence. Quelques jeunes filles se mêlaient à cette ronde; chacune d'elles choisissait un cavalier, sur l'épaule duquel elle s'appuyait en tournant. Tandis que ces plaisirs absorbaient es jeunes gens, des amis des fiancés leur construisaient à la haie, à 50 pas du village, deux chaumières où evait s'accomplir la consommation du mariage.
En effet, le second jour, à dix heures du soir, on les introduisit secrètement dans ces nouvelles demeures, oui s furent poursuivis et fêtés à onze heures par les acclamations et la joie bruyante de la population en- tière. A minuit, la foule (foule de Toujourra!) eut ordre de se retirer, et les nouveaux mariés, délivrés de ses cris importuns, purent goûter en paix les premiers plaisirs de leur union; ils passèrent huit jours sans sortir de leurs chaumières. Pendant ce temps, leurs parents avaient soin de leurs festins nuptiaux. La jeunesse du village assistait à ces splendides banquets.
Cet hymen coûta la vie à un assez grand nombre de bœufs, de chameaux, de chèvres et de moutons.
Durant les premiers jours que je passai à Toujourra,
l'avidité de ses habitants ne me laissa ni trêve ni repos; tous vinrent me voir, et il semblait que je fusse redevable à chacun de la misérable hospitalité que je recevais sur leur triste pays. Si j'eusse cédé aux exigences de leur convoitise, je n'aurais pas tardé à être com" plétement dépouillé. Je m'étais muni, à Moka, d'une assez grande quantité d'objets de quincaillerie grossière, que je leur distribuai peu à peu et avec précaution. Mais ce fut surtout en qualité de médecin que j'eus à subir de continuelles importunités; j'avais avec moi le bagage médical indispensable à tout voyageur: ma réputation de médecin devint bientôt colossale Comme je prêtais mes services gratis, tout le monde fut malade : je guéris plusieurs fièvres tierces; je cicatrisai une morsure de requin; j'opérai plusieurs saignées, qui furent suivies de bons effets. L'un de mes clients avait depuis longtemps une plaie à la jambe; j'essayai de la fermer, à condition qu'il voulût être mon guide jusqu'au royaume de Choa : il y consentit, et je réussis à le délivrer de sa plaie. La plupart de ceux qui venaient me consulter se plaignaient de maux de tête 00 de douleurs vagues dans diverses parties du corps. Au* maladies imaginaires de ceux-là, des remèdes imagi' naires suffisaient. Ils me demandaient des talismans ; je leur écrivais quelques mots sur un morceau de pa'" pier et ils s'en allaient contents et guéris. Mais bientôt
les demandes de talismans cessèrent; je m'aperçus que je faisais concurrence au maître d'école,qui a le monopole de ce facile trafic : craignant de perdre le bénéfice qu'il prélève sur la crédulité de ses compatriotes, il leur fit comprendre que, comme j'étais infidèle, il devait y avoir dans mes talismans quelque secret et funeste maléfice.
Je fus témoin, peu de temps avant mon départ, d une scène assez singulière, qui me révéla une particularité des mœurs des Danakiles. Un voleur ayant voulu, pendant la nuit, dévaliser un de mes voisins, en mettant le feu à sa maison, celui-ci se réveilla au bruit que fit le malfaiteur, parvint à le saisir, le garrotta, lui administra une bonne correction de coups de bâton, et, après avoir pris cet à-compte sur sa légitime vengeance, alla se coucher tranquillement comme si de rien n était. J'entendis bien assener les coups et le bruit , de plusieurs voix qui parlaient de voleur ; mais, croyant que mon voisin corrigeait un de ses domestiques, je ne me dérangeai pas. J'allai chez lui le lendemain, dès le point du jour; je le vis tenant l'individu qu'il avait lié.
— Ah! Rochet, s'écria-t il lorsqu'il m'aperçut, si je ne m'étais levé à temps cette nuit, toi et moi ainsi que ma famille nous aurions eu un chaud réveil ce matin : Ce drôle s'était mis en train de nous rôtir vi-
vants ; accompagne-moi et tu verras le châtiment qu'il va subir.
Je le suivis. Il conduisit le coupable sur le rivage où quelques personnes faisaient leurs ablutions : arrivé sur le bord de la mer, il l'y plongea à plusieurs reprises jusqu'à ce qu'il eût perdu connaissance ; puis, comme pour lui faire rendre l'eau qu'il avait absorbée, il parcourut son corps n coups de bâton depuis le dos jusqu'à la plante des pieds.
Révolté de ce cruel supplice, plusieurs fois j'essayai de modérer la fureur de cet homme et de lui demander la grâce de la victime, qui, dès le commencement avait subi sa peine avec cette muelte résignation, iw passible jusqu'à la stupidité, qu'inspire le fatalisme musulman ; mais je fus toujours retenu par les aU'" tres spectateurs. Lorsque mon voisin eut trouvé la punition proportionnée au crime, je m'approchai de lui : — N'aurais-tu pas mieux fait, lui dis-je, de tue' chez toi ce misérable d'un seul coup au lieu de venir ici le faire succomber sous des tortures affreuses et de prendre tout le monde à témoin de ta barbarie.
— Il n'est point mort, me répondit-il; je me gai" derais bien de le tuer, car ses parents me tueraient aussi : quoiqu'il fût venu chez moi pour me voler el qu'il eût essayé de me brûler vif moi et ma famille, sl
je l'avais fait périr, je n'aurais jamais pu me soustraire a la vengeance des siens.
J appris, à cette occasion, que, chez les Danakiles, une loi antique ordonne que tout homme tué, n'importe pour quel motif, soit vengé par la mort de son meurtrier ; les plus proches parents du mort doivent accomplir cette vengeance sacrée : leur considération y est tellement engagée, que, s'ils négligent de prendre leur talion, ils sont déshonorés aux yeux de tous les Danakiles. Ces haines, ces vendetta se lèguent en héritage et ne se terminent que par l'extinction de l'une des deux familles ennemies, à moins qu'elles ne s'accordent par le sacrifice du cotipable ou, comme cela avait lieu chez les Germains, par le rachat du sang, pour un prix convenu en toile, en bétail ou en argent.
Pendant les ennuyeux loisirs de mon séjour, je m'occupai à reconnaître le terrain des environs de Toujourra. Dans la direction est-nord-est, à dix minutes du village, il y a un vallon d'argile brunâtre que les habitants pourraient, s'ils le voulaient, mettre en culture; à l'extrémité nord-est du vallon, s'ouvre une gorge qui conduit à la montagne Débenet située à quinze lieues au nord. Les côtés est et ouest de cette gorge sont composés de quartz jaspeux, brunâtres, verdâtres et rouges, qui* sont agglomérés par blocs sphériqnes de différentes grosseurs et liés par un ci-
ment argilo-siliceux, formant à l'entrée de la gorge une couche de 35 pieds d'épaisseur, sur laquelle repo" sent confusément un sable graveleux, quelques blocs de roches trachytiques, ainsi que des fragments de trachyte brun qui composent la couche supérieure du plateau. En remontant la gorge dans la direction nord-quart-nord-ouest, on rencontre des roches tra" chytiques, à vingt minutes de distance de l'entrée; ces roches ont une couleur sombre et une structure granitoïde ; elles sont semi-vitreuses, très-celluleuses et d'une aspérité excessive; elles représentent une matière qui a subi l'action d'un feu violent : les cellule sont recouvertes, intérieurement, d'une scorie vitreuse, d'un gris argentin; la marne siliceuse qui sépare leS couches des roches est vitrifiée. Elles forment, à l'ouest, une élévation perpendiculaire de 530 pieds et décri" vent un angle de 35 degrés; elles s'élèvent, à l'est, 11 une hauteur de 350 pieds. Dix minutes plus loin, l'on voit des roches de carbonate de chaux formées de co" raux en décomposition. A une lieue de là, si l'on continue à remonter la gorge, on rencontre des rocheS trachytiques alternant avec la lave qui a coulé sur le revers de la montagne ; arrivé au milieu de celle-ci, 011 observe une roche de calcaire coquillier, ce qui prouve qu'autrefois ces montagnes étaient baignées en partit' par la mer. Tout près du sommet, on voit un ancien
volcan éteint ; en allant du volcan au sommet, on passe alternativement sur des roches trachytiques, basaltiques, de gneiss, de granit-gneiss et de siénites porphyriques, les roches granitiques et siénitiques sont pleines de cellules et, toutes fendillées.
A une demi-lieue au nord-ouest de Toujourra, il y a une roche de calcaire coquillier dans laquelle sont renfermés une infinité de fossiles de différentes espèces et où l'on pourrait faire une assez belle collection en ce genre.
Je mis deux jours en bien marchant pour aller de Toujourra au sommet de la montagne Débenet, qui est très-élevée, de produit volcanique et dont la cime est formée de roches primitives. Je regrette de n'avoir pas eu avec moi un baromètre pour en déterminer la hauteur. Malgré tous mes efforts, je n'ai pu, en partant d'Égypte, me procurer ce précieux instrument.
Ces montagnes renferment des panthères d'une trèsgrande espèce, deux variétés de renards, dont l'une est semblable au renard d'Europe et l'autre est noire avec l'extrémité de la queue blanche ; deux variétés de gazelles : les unes, grandes, sont les mêmes que l'on voit en Egypte ; les autres sont très-petites, elles ont sur le crâne une touffe de poils qui s'élève comme un Pompon, et leurs cornes sont très-peu développées Cette espèce habite la plaine, elle se trouve près do
Toujourra. On rencontre également dans les mêmes lieux une grande quantité de pintades, perdrix, rolliers, veuves du cap, tourterelles, etc.
La majeure partie des rares arbrisseaux qui s'élèvent dans cette région montagneuse sont des gommifères rabougris, dont le sommet, au lieu de s'élever, se termine en éventail. Des produits de celte pauvre végétation, le plus remarquable est l'arbre empoisonneur appelé soumrni par les indigènes, il est comparable pour la grosseur à nos chênes d'Europe : son écorce est raboteuse et rougeâtre, ses feuilles sont elliptiques et assez semblables, pour la forme, à celles du laurierrose, mais moins épaisses et d'un vert plus léger; si un chameau en mange, ce qui arrive quelquefois, il meurt dix minutes après dans d'horribles convulsions, sans qu'aucun remède puisse le sauver. Cet arbre terrible fournit aux Bédouins le poison de leurs flèches; voici la manière dont ils le préparent : ils prennent de petites racines de soummi, les pilent et les font cuire avec de l'eau dans un pot en terre, pendant plusieurs heures ; lorsqu'ils ont réduit leur mélange à l'état d'extrait, pour s'assurer que le poison jouit des propriétés malfaisantes jugées convenables, ils se font une incision à la jambe, laissent couler le sang jusqu'à la cheville, et interposent un couteau du côté du tranchant entre la blessure et la partie inférieure de la ri-
gole de sang dont ils touchent l'extrémité avec le poison : si celui-ci possède toute l'énergie de son venin, le sang que son contact a empoisonné change subitement de couleur et remonte soudainement gagner la plaie; ils le repoussent alors avec le couteau. Après avoir ainsi essayé la force du poison, ils le placent derrière le dard de la flèche; l'homme ou l'animal que frappe cette arme meurt au bout de quelques minutes.
Il y avait déjà près de deux mois que je périssais d'ennui à Toujourra et que j'attendais, chaque jour, avec plus d'impatience le moment propice du départ, lorsque, le premier août, un Bédouin de l'intérieur vint annoncer la nouvelle que j'appelais si ardemment de mes vœux. Le temps était à la pluie; deux orages avaient rempli en partie les réservoirs de la route d'Efat-Argouba; on pouvait enfin partir sans courir le danger de manquer d'eau. Je me rendis aussitôt chez mon guide, ainsi que chez un Bédouin qui m'avait promis de venir avec moi dans le Choa : ils m'assurèrent que nous partirions sans faute dans la journée du 3. Je renais à mon guide 20 talari pour le louage de deux chameaux qu'il s'était engagé à me fournir de Toujourra à l'Éfat-Argouba, et j'apprêtai tout pour mon départ.
Observations thermométriques faites à l'ombre dans la chaumière que j'habitais, située à l'est-nord-est du village de l'oujourra.
Le thermomètre de Réaumur marquait,
à 9 h. du matin : de midi à 3 h. : 8 juin. 21 degr. i/3 30degr. 2/3. VeutduN.frais.
9. 21 — 2/3 31 — 0.
1 0 21 — 0 31 — 1/3.
11 22 — 1/3 32 — 2/3.
1 3 22 — 0 32 — 1/3.
1 4 23 — 0 33 — 0.
1 5 23 — 0 33 — 1/3. Vent du N.-E.
18. 24 — 1/3 35 — 0.
19. 24 — 2/3 - - - 36 — 1/3.
20. 24 — 0 36 — 0.
21. 25 — 1/3 37 — O. Vent du S.-O.
22. 25 — 213 38 — 0.
24. 25 — 0 37 — 0.
25. 25 — 2i3 38 — 1/3.
27. 26 — 113 39 — 0. Vent du S.
28. 27 — 0 40 — 0.
4 juillet 28 — 113. 41 — 0. Vent du S.-O.
5. 28 — 0 41 — 2/3.
6. 29 — 0 43 — 0.
7. 30 — 113. 44 — 1/3. Vent du S.
8. 28 — 0 35 — 0. Ventd'E.-S.-E.
9. 27 — 113 35 — 0.
1 1 30 — 213 46 — 0. Vent du S.-O.
12. 31 — 0 46 — 1/3.
1 4 32 — o 46 — 0. Vent du S.
15 32 — 113. 46 — 2/3.
16. 29 — 0 43 — 1/3. Ventd'E.-S.-E.
17. 30 — 1/3 45 — 0.
à 9 h. du malin de midi a 3h.
19 juillet 32 degr. 0 47 degr. o. VentduS.-O.
20. 27 — o 35 — 113. Vent d'E.
21 33 — 1/3 48 — o. Vent du S.-O.
22. 33 — 0 48 — 1/3.
23. 29 — 113. 42 — 0.
24. 24 — 213 33 — 0. Vent d'E.
27. 23 — 1/3 31 — 0. VentduS.-O.
28. 21 — 0 28 — 1/3 29. 26 — 0 37 — 0. VentduS.
3 0 26 — 1/3 37 — 213.
31 24 — 213 33 — O. Vent du S.-O.
1er août. 22 — 0 28 — 113.
2. 20 — 113. 27 — 0.
3. 20 — 0 27 — 113.
Moyenne de 26 — 2°1100. 33 — 27J100Réaumur.
32,75 centigrades. 41,59 centigrades.
Depuis le 8 juin jusqu'au 3 août 1839, d'après les quarante-trois observations thermométriques qui précédent, la température moyenne s'éleva à 33 degrés 27/100 dans la chaumière que j'habitais à l'est-nordest du village de Toujourra; elle atteignit quelquefois jusqu'à 48 degrés.
Une pareille chaleur surprendra au premier abord ; mais on cessera de s'en étonner, lorsqu'on connaîtra les circonstances particulières au milieu desquelles je l'ai observée. La chaumière que j'habitais était , comme la plupart de celles de Toujourra ; de forme ovale, et n'avait pour toute toiture qu'une natte en
palmier d'un tissu très-lâche, qui tamisait les rayons du soleil ; cependant mon thermomètre a constamment été à l'abri de ceux-ci. J'ajouterai que Toujourra est adossé à une montagne aride qui, une fois imprégnée de chaleur, la répercute sur le village ; de plus, dans les rues et dans les huttes le sol est couvert de petits cailloux qui s'échauffent considérablement pendant le gros du jour : on concevra aisément qu'une chaleur ainsi entretenue et réfractée doive atteindre à une élévation peu commune.
LE PAYS D'ADEL.
Physionomie générale du pays. — Ambabo. — Douloulle. — Socti. — Description géologique de la route. — Gabtima. — Boullala. — Daffaré. — Orages quotidiens. —Alexitane. —Laves.— Lac Salé.
Gongonta. — Allouli. — Vallon de Gagadé.-Aoussa; sa population , son agriculture et son commerce. — Source d'eau chaude de Néhellé. — Mine de cuivre de Ségadarra. — Marhâ. — Abaytou.
Le ras Mahamet-Loéta, de la kabile Débenet. — Pâturages d'Arabedoura. — Les Danakiles et les Saumalis. — Vallée de Sagaguédâne. - Sources d'eau chaude de Hâoulle.— Amadou.—Léopards.
Plaine de Baroudâda. — Le ras lbraim- Amadou. — Les loups-tigres du cap. — Les Bédouins; manière dont ils font du feu. — Rivière de Kilalou. — Source d'eau chaude d'Oiram-Mellé. — Ouais-Agaïo, ras de la kabile Débenel-Buéma. — Hasen-Déra. — Craintes et délibérations de ma caravane. — Danses des Bédouins. — Quodhoté. — — Motta. — Le ras Bidar. — Commi. — Montagne et sources d'eau chaude d'Amoïssa.- Plaine fertile de Moullou.- Omar-Bata, ras de la kabile Takaïde. — Férocilé des Hasen-Maras ou Modeïto.
— Terreur que les armes à feu inspirent aux Bédouins de l'intérieur du pays d'Adel. — Laves qui se trouvent entre Aroiéta et Dabita.— Je tue trois loups-tigres.— L'Aouache; ses rives.—Rugissements des lions. — Passage de l'Aouache par notre caravane. — L'Haoudhé, rivière. — J'arrive à Tiannou, premier village de la province d'Éfat-Argouba. — Observations générales sur la population du pays d'Adel.— Énumération des Kabiles qui la composent. — Les habitants de Toujourra. —Caractères physiques et mœurs des Ad-Hali et des Asouba, des Débenet, des Achemali, des Débenet-Buéma, des Takaïdes, des Saumalis , des Hasen-Maras ou Modeïto. — Costume et armes des Danakiles. -Leurs femmes.-Leur origine.- Rapports des diverses Kabiles entre elles.- Elles craignent le roi de Choa et ont une haute idée du sultan de Constantinople. —Enumération des stations de caravanes entre Toujourra et Tiannou, avec l'indication de leurs distances de l'une à l'autre.
CHAPITRE III.
Ce fut donc avec un habitant de Toujourra pour guide , avec un Bédouin Danakile pour escorte, c'està-dire en compagnie de deux barbares dont le caractère privé m'était inconnu, dont les mœurs nationales étaient si éloignées de celles qu'un Européen affectionne et auxquelles il a le droit de se confier avec sécurité, que je m'aventurai dans une contrée déserte, suivant, à la merci de mes guides, une route sur laquelle je n'avais aucune donnée exacte , dont les dangers, dont les ressources , dont les accidents n'avaient encore été indiqués par aucun voyageur européen , et que, le premier ( cette pensée, il est vrai, me donnait courage «t orgueil) , j'allais explorer dans l'intérêt de la science et peut-être aussi au profit de ma patrie et de la civilisation.
Le pays dans lequel je m'engageai, en sortant de Toujourra, ne possède aucune de ces merveilleuses beautés que la nature a répandues en d'autres lieux aVec magnificence , spectacles délicieux ou grandioses qui nourrissent de poésie l'âme du voyageur et le dédommagent , en quelque sorte , des privations qu'il
s'impose et des périls qu'il brave. Il n'y a rien de semblable dans la partie du royaume d'Adel que j'ai traversée jusqu'à l'Éfat-Argouba. C'est une contrée montagneuse que le travail volcanique a tourmentée et qu'il a condamnée à une éternelle aridité. Quelques chétifs arbustes s'élèvent, comme pour mieux constater sa stérile impuissance , sur cette terre que les feux souterrains ont torréfiée et dont aucune eau fécondante ne parcourt les brûlants replis ; on ne trouve même pas dans la structure et dans le groupement des collines qui en couvrent la surface quelques-uns de ces aspects singuliers ou effrayants , majestueux ou bizarres , mais empreints d'un caractère d'imposante grandeur ou d'originalité pittoresque, que l'on rencontre ordinairement dans les régions montagneuses.
Là , c'est une médiocrité uniforme ; aucun pic ne détache sa crête aiguë de la ligne onduleuse de ces petites montagnes aux chaînes prolongées , aux pentes généralement peu abruptes. Ajoutez l'effet de la couleur rougeâtre et sombre que leur donnent leur constitution géologique et les feux que le soleil tropical darde sur leurs flancs et leurs sommets dénudés. Sous ce ciel embrasé, les moindres objets se dessinent avec une netteté que l'on ne peut s'imaginer dans nos horizons brumeux et vagues du nord de l'Europe; éclairés, rougis , enflammés par les torrents de lumière que ré-
pand sur eux la fournaise solaire, tous les détails du paysage y frappent et brûlent les yeux et en accusent avec une inflexible rigueur l'âpre aridité.
Je ne prétends point conduire pas à pas le lecteur à travers cette triste contrée , en l'y attirant par l'appât des descriptions. L'imagination se dessèche, la plume ne peut trouver de couleurs variées devant une telle stérilité et une pareille monotonie. Cependant je crois devoir donner ici la transcription de mon journal de voyage ; je pense qu'elle ne sera pas sans intérêt pour la géographie et la géologie , puisqu'il détermine pour la première fois la route de Toujourra au royaume de Choa , et qu'il indique la constitution d'une région qu'aucun géologue n'a pu encore étudier et faire connaître.
De Toujourra au royaume de Choa, la direction générale est sud-sud-ouest. Je partis le 3 août, à cinq heures du soir, et je pris la direction est-sud-est, à travers une vallée sablonneuse, bornée au nord par une chaîne de montagnes arides et rocailleuses, qui offrent toutes des traces de produits volcaniques, et au sud par la mer. Elle est couverte de cassiers-gommiers, de séné et d'agaves filamenteuses avec lesquels les naturels font de très-bonnes cordes, et peuplée de deux variétés de renards, de deux espèces de gazelles, de sangliers, de pintades, gelinottes, perdrix, et d'une
multitude d'oiseaux de passage, tels que veuves du cap, oiseaux-mouches (colibris), rolliers africains. Après quatre heures de marche au pas de chameau, j'arrivai à Ambabo, village plus petit que Toujourra, situé au bord du rivage, et habité par des Bédouins de la kabile Azouba.
Je continuai mon voyage le 6, à sept heures du matin, en tenant la même direction, et en suivant la même vallée, qui, au bout de deux heures de marche, devient rocailleuse et présente un terrain de soulèvement sur lequel on observe une assez grande quantité de fragments de roches trachytiques, des blocs de roches basaltiques, ainsi que des morceaux diversementgros de grès brun-rougeatre (psammite). A une heure et demie, je passai par un lieu nommé Douloulle, où il y a trois puits d'eau un peu saumâtre ; les caravanes s'v arrêtent quelquefois. Comme il était de bonne heure encore, je poussai à une demi-lieue plus loin, sur Socti, point situé à l'extrémité ouest de la baie; on y trouve également plusieurs puits d'eau saumâtre qui ne tarissent pas et où les caravanes s'approvisionnent.
Le 8, à six heures du matin, je pris la direction estsud-est-quart-sud-est; deux heures après, je me détournai dans la direction nord-est-quart-cst-nordest, et je quittai la mer pour me diriger sur l'extrémité méridionale de la chaîne de montagnes dont j'ai parle
tout à l'heure. A neuf heures, je passai sur une colline de roches trachytiquesgranitoïdes, celluleuses; la cellulosité n'est qu'à la superficie des roches, car j'ai observé, après en avoir cassé plusieurs fragments, qu'à l'intérieur la pâte est compacte et n'a point subi d'altération sensible. L'argile siliceuse qui divise les couches des roches est vitrifiée. Immédiatement après avoir traversé la colline, je suivis la direction est-nordest; j'observai, dans les ravins que l'on trouve sur le passage, et dans beaucoup d'autres, situés en sens divers, la lave qui a coulé et formé des couches superposées, dont l'épaisseur est, en moyenne, de 1 à 5 pieds, et, dans certaines localités, va même jusqu'à 43 et 45 pieds. Quelques gommifères rabougris et des plantes d'aloès y attestent la stérilité du sol. A deux heures du soir, je m'arrêtai pour la nuit dans un lieu appelé Gabtima.
Le 9, à huit heures du matin, je me remis en route dans la direction nord-nord-ouest. Après avoir passé plusieurs ravins, j'arrivai, à dix heures, au sommet d'une gorge basaltique, dont l'entrée est si étroite et si dangereuse, qu'elle livre à peine passage à un chameau.
Là les roches présentent des couches irrégulières et une hauteur de 320 à 330 pieds. Je pris la direction sud.
Après beaucoup d'efforts et de fatigues et avoir fait deux lieues en quatre heures, j'arrivai, à deux heures
du soir, au bas de la gorge qui débouche dans un petit vallon nommé Boullata, entouré de roches trachytiques porphyroïdes, et au pied duquel la baie de Toujourra se termine. Je pris alors la direction est-sudest sur un coteau trachytique qui se développe horizontalement comme un plateau, sur une longueur d'une lieue environ, et une largeur à peu près égale : il est entièrement couvert d'une lave tuberculeuse.
De distance à autre, on y remarque de petits cônes de 2 à 3 pieds de hauteur, formés de la même lave; à trois heures et demie après midi, je m'arrêtai dans un lieu nommé Daffaré.
La pluie qui se mit à tomber par torrents, pendant deux jours, me força de demeurer à Dafjaré aussi longtemps. Je regrettai bien alors, et j'eus occasion de le regretter plus souvent encore durant mon voyage, de ne m'être point muni d'une petite tente où j'eusse cherché un abri contre ces furieuses ondées. Dans cette saison, des orages quotidiens éclatent tous les soirs, de sept à neuf heures ; ne pouvant m'en garantir moimême, lorsqu'ils allaient commencer, je me déshabillais pour préserver au moins mes vêtements, puis je choisissais des blocs de roches assez hauts que j'espaçais de manière que leurs intervalles pussent livrer passage à l'écoulement des eaux torrentuelles : c'était ma couche pour la nuit, que je disposais ainsi; je la
couvrais d'une peau de bœuf que je m'étais procurée à Toujourra; je m'étendais sur ce lit improvisé, qui, pour être moins chaud que celui de Montézuma, n'était pas non plus, on le pense bien, un lit de roses. Je plaçais également sur moi une peau qui ne tardait pas à être imbibée d'eau. Dans cette peu voluptueuse posture, je recevais sur le corps les flots impétueux que m'envoyait le ciel, tandis qu'au-dessous de moi de petits torrents se brisaient sur mon lit de pierre et s'enfuyaient en grondant : j'avais là ordinairement une heure de supplice entre deux eaux. A neuf heures, j'étais délivré : alors disparaissaient toutes ces nuées épaisses et sombres, qui depuis plus d'une heure surplombaient l'horizon, roulant avec rapidité sur les plateaux
leurs flocons pressés ou les déchirant aux crêtes dentelées des collines ; le ciel du tropique se montrait, audessus de nos têtes, aussi riche, aussi beau, pendant la nuit, qu'il est affreux et impitoyable pendant les ardeurs de la journée. Son azur était d'une limpidité admirable; les innombrables étoiles qui le paillètent, éclatantes de blancheur, semblaient, dans leurs scintillements rapides, faire petiller des feux argentés; l'air était rafraîchi et purifié, et sur la terre, où l'obscurité dissimulait la misérable sécheresse des détails, les sévères effets d'ombres des masses rocheuses s'har-
monisaient, par contraste, à la sereine majesté du dôme céleste.
Daffaré a un réservoir formé naturellement par la lave; il se remplit pendant la saison des pluies et contient de l'eau pour 5 ou 6 mois. A 2 lieues, à l'ouest, on aperçoit un lac qui autrefois faisait partie de la baie, et s'en trouve aujourd'hui séparé par une vallée de 4 à 7 lieues de longueur sur 9 de largeur.
Ma caravane s'était accrue de deux Bédouins qui allaient, avec quatre chameaux , charger du sel pour le porter à Éfat-Argouba. Je me mis en route le 42 , à quatre heures du matin ; je tins la direction est-sud-est et traversai l'espace qui sépare le lac de la mer ; il est couvert de lave , au milieu de laquelle on observe quelques tufs de calcaire crayeux soulevés de leur plan primordial ; ce calcaire est presque décomposé. On y voit aussi des amas de chaux hydratée contournés par la lave, des coquilles pétrifiées, de l'espèce turrilithe, qui ont à peu près conservé leur couleur naturelle. On observe également des coraux en décomposition. De temps à autre je traversai de petits coteaux qui, de l'est à l'ouest, coupent le terrain dont je parle dans toute sa longueur. Après neuf heures de marche je m'arrêtai pour passer la nuit, non loin du lac, dans un endroit appelé Alexitâne. Il s'y trouve, comme à
Dajfaréun réservoir basaltique formé de la même manière; il contient de l'eau pour trois mois. D'immenses couches de lave y couvrent également le sol.
Il est impossible à qui n'a pas visité cette contrée de se faire une idée exacte de la profusion avec laquelle cette matière volcanique y est répandue. Les coulages ont eu lieu sur divers points et ont produit quatre variétés bien distinctes. Dans certains endroits la lave a formé des couches de 3 à 4 pieds d'épaisseur, d'une substance lisse et compacte, renfermant de petits cristaux de feldspath de différentes couleurs ; dans d'autres, les coulages ont eu lieu par ondulation et ont produit une lave raboteuse , vitreuse, boursouflée, enveloppant de gros cristaux de feldspath blancs et luisants, ce qui lui donne un aspect siénitique. Certaines localités offrent une lave grise pleine de cavités , renfermant de petits cristaux de fer titane ; ailleurs enfin l'on observe des cônes tronqués relevés de 30 à 40 pieds au-dessus du sol , enveloppés d'une lave vitrifiée, hétérogène, assez semblables aux scories qui se trouvent parfois dans les fours à chaux , et formant une couche inégale de 8 à 10 pouces d'épaisseur sur un terrain ferrugineux.
Je partis d'Alexitane le 13 , à quatre heures du matin, et, me dirigeant vers le sud-ouest, j'arrivai à sept heures sur les bords du lac : il peut avoir de 18 à 20 lieues de circonférence. Je fus frappé, au premier
aspect, des particularités remarquables qu'il présente dans toute l'étendue de son circuit ; les roches qui le bordent sont couvertes, jusqu'à environ 50 pieds audessus de la surface, d'une grande bande blanchâtre formée par une forte empreinte de muriate de soude.
La ligne supérieure de cette empreinte marque sans doute la hauteur qu'atteignirent primitivement les eaux du lac. Tout indique qu'il a été formé par une révolution volcanique qui l'a séparé de la mer en soulevant les terrains qui l'environnent. Depuis que les communications avec la mer ont été coupées, l'évaporation a produit, je pense, la dépression de son niveau.
Ses eaux sont saturées de muriate de soude. Une croûte de sel s'est formée autour de ses bords ; elle est si épaisse que les chameaux chargés peuvent la parcourir jusqu'à plus d'un quart de lieue du rivage. Aux extrémités de cette croûte adhèrent de grandes plaques, de 9 à 12 pieds de circonférence sur 2 à 3 pouces d'épaisseur , ayant la forme de dodécaèdres rhomboïdaux. Ce sel est la richesse des habitants du pays d'Adel : tous, indistinctement, viennent y recueillir leur approvisionnement : ils le transportent à dos de chameau sur divers points de l'Abyssinie et l'échangent contre des esclaves des deux sexes, du café, des dents d'éléphant, du musc de civette, des toiles de coton fabriquées en Abyssinie , etc.
Je fus obligé de m'arrêter deux jours sur le lac pour donner le temps aux Bédouins de ma caravane de faire leur provision de sel. J'employai ce délai à observer les montagnes dont le lac est entouré; elles sont généralement composées de roches trachytiques semi-vitreuses, de couleur brunâtre. Ces roches, à l'extérieur, se trouvent réduites en fragments plus ou moins volumineux; elles reposent sur un terrain de soulèvement qui ne présente aucune trace de végétation.
Je poursuivis mon voyage le 15, à midi, en tenant la direction sud-sud-ouest ; j'arrivai à deux heures dans un lieu nommé Gongonta, où je passai la nuit; on y trouve une source d'eau saumâtre qui suffit pour approvisionner, durant toute l'année, les caravanes de passage. Gongonta est situé à l'entrée d'une gorge resserrée entre des montagnes renversées de leur plan primitif. Toutes les couches des roches qui font partie de ces montagnes sont placées obliquement : leur base est une roche de granit-gneiss, toute perforée et fendillée , qui peut avoir de 80 à 100 pieds de hauteur perpendiculaire ; sur celle-ci repose une couche de diorite schisteuse de vingt à vingt-cinq pieds d'épaisseur; la couche supérieure, qui est assez élevée, est formée de trachyte vitreux, brunâtre, brisé en morceaux de diverses grosseurs.
Le 16, à sept heures du matin, je repris , en m'en-
gageant dans la gorge , la direction que j'avais suivie la veille. Après avoir marché dix minutes, je vis la lave - former des couches de 130 à 140 pieds de haut, sans interruption aucune. Un peu plus loin on retrouve le trachyte brisé en blocs, au milieu desquels on remarque des blocs de quartz jaspeux brunâtre, dont la composition est due sans -doute au produit des couchés arénacées, marneuses ou silicéo-calcaires auxquelles le basalte a fait subir, par son contact -, cette mutation.
On voit de temps à autre des veines de jaspe rouge renfermant des calcédoines, ensuite vient une roche de
granit gris à feldspath blanc-, elle alterne avec4e basalte ; puis une roche de siénite porphyrique à feldspath rouge, incarnat de la plus grande beauté , sur laquelle repose , située horizontalement, une couche de jaspe rouge réduite en menus morceaux; plus avant, - à la .sortie -de -la gorge, reparaît le trachyte semivitreux , brun , uni à des fragments déroches basaltiques, ainsi que des morceaux de quartz jaspeux jau-
nâtre.
Les détours que l'on est obligé de faire dans cette partie de la route firent tellement vaTier la direction de notre marche, qu'il me,serait difficile-de la préciser. J'arrivai à trois heures du soir à un endroit appelé Allouli, où commence le territoire de la kabile Débe, net, commandée par un ras, nommé Mahamet-Loéta.
Il y a dans ce lieu une source d'eau saumâtre qui ne tarit point. Quelques rares palmiers, de l'espèce cuciJerathebaïca, sont les seuls arbres qu'y tolère la nature du sol ; les Bédouins en tirent une liqueur spiritueuse qu'ils se procurent en faisant plusieurs incisions dans l'écorce , sur diverses lignes , disposées de manière que la séve qui en découle vienne se réunir en un seul point ; ils fixent à ce point où se joignent les rigoles une feuille concave, à l'extrémité de laquelle se trouve un récipient tressé en écorce de palmier et d'un tissu assez serré pour retenir la liqueur. Ce fut avec un vif plaisir que je trouvai dans ce désert une boisson qui, claire et petillante comme le Champagne, me rappela le délicieux souvenir de l'un des vins les plus aimés de l'Europe.
Le 17, je partis à trois heures du matin, et, suivant toujours la direction sud-sud-ouest, j'arrivai, après une heure et demie de marche, dans un vallon qui peut avoir 20 à 25 lieues de circonférence et dont la surface est tellement égale et unie qu'on la dirait nivelée. Ce vallon porte le nom de Gagadé; sa partie septentrionale, qui en comprend à peu près la moitié, est formée d'une argile noirâtre où n'est mêlée aucune pierre et où il n'y a point de trace de végétation : sa partie méridionale est sablonneuse et pierreuse; on Y trouve, de distance en distance, les mêmes coquilles
pétrifiées qu'aux environs du lac, et l'on y voit quelques cassiers, des palmiers, des genêts, des plantes saponifères ainsi que plusieurs espèces de gramens, nourriture des ânes sauvages, des chamois, des daims, des gazelles, des lièvres qui peuplent en grand nombre ce vallon. Je m'arrêtai à deux heures du soir et je passai la nuit dans un lieu appelé Karabtou.
Je continuai, le 18, à sept heures du matin, à suivre la même direction; je traversai des montagnes rocailleuses, stériles, composées, en général, de roches trachytiques vitreuses et où l'on observe, par intervalles, des couches de jaspe rouge de 3 à 5 pieds d'épaisseur, la plupart placées horizontalement et divisées en menus fragments. A neuf heures, j'arrivai à la jonction des chemins d'Aoussa et de Choa; celui d'Aoussa se dirige nord-quart-nord-ouest, je n'étais alors qu'à quatorze lieues de cette ville.
D'après les renseignements que j'ai obtenus des naturels du pays, Aoussa est une agglomération de 1400 à 1500 chaumières, dont la population peut s'évaluer à 5 ou 6000 habitants, tous cultivateurs et marchands, qui appartiennent à la kabyle des Hasen-Maras ou Modeïto. Le sol des environs d'Aoussa est très-fertile et susceptible de toute sorte de productions ; il fournit du dourah à la majeure partie du royaume d'Adel ; il y a auprès d'Aoussa un grand lac qui se remplit pen-
dant la saison des pluies en Abyssinie; ses eaux débordent chaque année, comme celles du Nil en Egypte, elles déposent un limon bienfaisant qui donne aux terres leur fécondité. A l'extrémité de ce lac, les naturels ont construit une écluse pour retenir les eaux, ils la ferment jusqu'à ce que les terres soient complètement imbibées; lorsque ce résultat est obtenu, ils ouvrent l'écluse et les eaux surabondantes vont se déverser dans un lac Natron, situé plus bas, à 3 lieues au nord-est, au milieu de montagnes trachytiques.
Après la récolte, qui se fait ordinairement en janvier, le terrain devient sec et brûlant.
A l'embranchement des deux routes, je pris la direction sud-sud-est, et à neuf heures et demie je m'arrêtai dans un lieu appelé Néhellé, où le mauvais temps qui survint m'obligea de coucher; il y a à Néhellé une source d'eau chaude, placée au niveau du sol; elle marque 55 degrés et un tiers au thermomètre de Réaumur ; elle a 9 à 10 pouces de profondeur sur 4 pieds environ de circonférence ; hors de cet espace, l'eau est froide et l'on est obligé de chercher, en tâtonnant avec les pieds, pour trouver l'eau chaude.
Le 19, à six heures du matin, je poursuivis mon voyage en tenant la direction sud-sud-ouest; je suivis une colline sablonneuse, resserrée entre des coteaux trachytiques de hauteur parallèle, parmi lesquels on
observait des filons de quartz jaspeux bruns et rougeàtrès; la vallée était couverte en partie de cassiers, de palmiers etd'agaves filamenteuses, et peuplée de gazelles de la petite espèce, de perdrix ainsi que de tourterelles ; à onze heures, je m'arrêtai quelques instants à un endroit appelé Ségadarra : il y a là une source d'eau douce excellente; elle sort du pied d'une roche basaltique, fournit de l'eau en abondance et forme un réservoir dans lequel tous les chameaux des caravanes qui passent viennent s'abreuver : cent pas environ avant d'arriver à la source, il y a une mine de cuivre carbonaté, qui se trouve placée dans une couche d'argile ferrugineuse; des roches trachytiques, colorées en vert par l'oxyde de cuivre, reposent sur elle. A une heure, je repartis et vins faire ma station nocturne à Marhâ; durant la journée, la direction avait varié de l'est-sud-est au sud-sud-ouest; il fit, pendant toute la nuit, un temps épouvantable, et je fus forcé de passer lajournée du 20 à Marhâ: presque en toute saison l'on y trouve de l'eau assez bonne, située à 2, 3, 4 pieds au-dessous du sol ; pour se la procurer, on est obligé de faire, dans le sable, des trous qu'elle remplit bientôt.
Le 21, à huit heures du matin, je me remis en route dans la direction sud-quart-sud-sud-ouest qui varia, dans le courant du jour, au sud-sud-est; à neuf heures,
j'arrivai sur un plateau qui présente un terrain de soulèvement, composé de fragments de roches irachytiques semi-vitreuses, parmi lesquelles se trouvent quelques morceaux de quartz hyalin d'un très-beau noir; ce plateau domine les montagnes circonvoisines.
Autour de lui se déroule un espace de 48 à 50 lieues de circonférence, sur lequel, de l'est à l'ouest et du nord au sud, la vue n'aperçoit partout qu'un terrain volcanique) où l'observateur, sondant de sa pensée les mystères de l'histoire du globe, peut contempler à son aise, dans ses sombres effets, le long travail des feux souterrains. Je m'arrêtai, à cinq heures du soir, à un endroit appelé Abaytou : on y trouve, presque en toute saison, de l'eau qui, de même que celle de Marhâ, est située à 2 ou 3 pieds au-dessous du sol. Les chameaux étaient épuisés de fatigue et de faim; pour les laisser -U, remettre un peu, je passai là les journées du 22 N du 23.
Le 24, à onze heures du matin, je repris mon voyage, tenant la direction sud-sud-ouest-quart-sud.
A midi, j'arrivai sur un vallon sablonneux de 7 à 8 lieues de circonférence; il était couvert d'herbe graIniniforme. A deux heures, je m'arrêtai à Abi-Jousouj, où je passai la nuit ; là, je reçus la visite du ras de la kabile Débenet, Mahamel-Loéla. Il me fit cadeau .d'un très-beau bouc et de plusieurs vases remplis de
laitage et de beurre; il me dit qu'il était entièrement à ma disposition, que ma caravane se trouvait sous sa protection immédiate, qu'aucun événement fâcheux ne m'arriverait sur le territoire qu'il commandait. Je le remerciai et lui donnai à mon tour quatre pièces d'étoffe de coton blanc, un couteau-poignard, deux paires de rasoirs et un miroir : il m'avoua qu'il n'avait jamais reçu de cadeau pareil et me témoigna vivement sa satisfaction. Cet homme peut rendre de très-grands services ; sa puissance et son courage le font respecter des tribus voisines ; sa protection est sans contredit la meilleure sauvegarde qu'une caravane puisse avoir; aussi le priai-je de vouloir bien m'accompagner pendant quelques jours : il me répondit qu'à deux journées du lieu où nous étions il y avait quelque danger, et qu'il ne me laisserait point partir seul. Avant d'arriver à Abi- Jousouf, j'avais traversé plusieurs torrents qui étaient alors à gué, mais qui, au moment des pluies, grossissent tellement que les caravanes sont souvent obligées de s'arrêter plusieurs heures devant eux, pour donner aux eaux le temps de s'écouler.
Le 25, à huit heures du matin, je me mis en route dans la direction sud, en compagnie du ras. A midi, j'arrivai à un torrent qui pouvait avoir 100 mètres de largeur sur 40 centimètres de profondeur : le courant était très-rapide, il coulait de l'est-nord-est à
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l'ouest-nord-ouest; immédiatement après l'avoir traversé, j'observai une couche d'argile siliceuse, de six pieds d'épaisseur, placée au-dessus du sol : elle se prolonge de l'est-nord-est à l'ouest-quart-nord-ouest et renferme une quantité prodigieuse de coquilles pétrifiées de l'espèce turrilithe, qui ont conservé leur couleur naturelle. A dix minutes de là, je m'arrêtai pour passer la nuit à un endroit appelé Gaubâde, où l'on trouve de l'eau en toute saison.
Le 26, à neuf heures du matin, je pris la direction sud-est-quart-sud; à dix heures, j'arrivai sur un plateau rocailleux et stérile. A trois heures, je m'arrêtai et passai la nuit sur un lieu nommé Arabedoura, plateau de produits volcaniques d'une grande étendue ; les herbes qui le recouvrent servent de pâture aux troupeaux des Bédouins, qui viennent s'y fixer dans la saison des pluies : à l'époque où j'y passai, j'y trouvai des Bédouins Saumalis, qui campaient dans ses pâturages de compagnie avec les Danakiles. Le territoire des Saumalis, situé à trois lieues au sud d'Arabedoura, forme la frontière méridionale du royaume d'Adel.
Les saisons des pluies n'arrivant pas à la même époque dans ces deux territoires, par une convention réciproque les Saumalis viennent nourrir leurs troupeaux chez les Danakiles au moment où les pluies y Multiplient la végétation, de même que les Danakiles
conduisent leurs bestiaux chez les Saumalis lorsque, leurs propres pâturages s'étant desséchés, ceux de leurs voisins, que les pluies commencent alors à arroser; offrent aux animaux une subsistance abondante.
Ce besoin réciproque maintient ordinairement la bonne harmonie entre ces deux grandes tribus ; il est probable que, s'il n'existait pas, l'union serait bientôt rompue, sans doute au profit des Saumalis, plus belliqueux, plus courageux que les Danakiles, et qui ont sur eux une supériorité réelle par la dextérité surprenante avec laquelle ils se servent de l'arc pour lancer leurs flèches.
Le 27, à neuf heures du matin, je pris la direction sud-sud-ouest. A onze heures, je m'arrêtai à Sagaguédâne, lieu situé à l'entrée d'une vallée qui a une demi-lieue de largeur sur 11 lieues de longueur, bornée à l'est et à l'ouest par des coteaux trachytiques porphyroïdes et granitoïdes semi-vitreux, de hauteur parallèle, qui la suivent sans interruption dans toute sa longueur : la pâte de ces roches est une matière compacte remplie de cristaux de feldspath vitreux. Le quart de la vallée, au sud, est en totalité couvert de lave et de blocs de trachyte celluleux ; la partie nord est argileuse et tellement unie et horizontale qu'elle présente un plan parfait sans mélange de pierres ni trace de végétation.
Le 28, à sept heures, je longeai la vallée dans la direction nord; à midi et demi, je m'arrêtai à un endroit appelé Davoreléka, limite du territoire de la kabile Achemali, gouvernée par le ras Ibraim-Amadou : on y trouve deux puits d'eau un peu saumâtre qui ne tarissent point. Je rencontrai, pendant cette journée, sept autruches, cinq ânes sauvages, beaucoup de daims, de chamois et plusieurs gazelles de la grande espèce qui parcouraient la vallée.
Le 29, à quatre heures du matin, je poursuivis ma route dans la même direction que la veille; à neuf heures, j'arrivai à un endroit nommé Omargoulouf.
Comme, dans cette journée, la caravane n'allait pas plus loin, j'allai visiter, avec le ras, des sources d'eau chaude un peu sulfureuses, situées à trois lieues à l'ouest du lieu où nous nous étions arrêtés, dans un lieu appelé Hâoulle : ces sources, au nombre de quatorze, sont placées au pied d'une colline composée de roches de granit-gneiss, de roches trachytiques et basaltiques qui alternent ensemble : dans quatre d'entre ehes, l'eau bout à grands jets, le thermomètre y monte a 80 degrés de Réaumur; les Bédouins y cuisent leurs ahments au bain-marie en plaçant dans l'eau le vase qui renferme les objets qu'ils désirent préparer; dans les autres, le thermomètre varie de 53 à 75 degrés. Les naturels attribuent aussi à ces sources une grande effi-
cacitésous le rapport médical; ils les croient propres à guérir toutes les maladies. Celui que tourmentent des douleurs rhumatismales, et celui qui est attaqué d'une maladie de la peau, la gale, par exemple, viennent avec une confiance égale y chercher leur guérison; ils attachent un tel prix aux propriétés merveilleuses de ces eaux thermales, qu'après s'y être baignés, quels qu'en soient les effets réels, ils se vantent d'être entièrement rétablis. Le ras Mahamet-Loéta m'affirmait avec une conviction absolue leur vertu infaillible.
La plus grande de ces sources a 1G7 pieds de circonfé- rence sur 3 à 4 de profondeur. A dix heures du soir, je fus de retour; je trouvai dans une épouvante peu facile à dépeindre les gens de la caravane, eifrayés des feux follets qui couvraient, la partie nord de la vallée: en leur donnant quelques explications sur la nature de ces feux, je parvins néanmoins à les rassurer.
Le 30, à sept heures du matin, je repris la même direction; à huit heures, je passai sur des roches de trachyte vitreux et brunâtre. La pâte de ces roches est très-serrée; leur cassure est d'un éclat seqni-vitreux ; elles se trouvent réduites en fragments de diverses grosseurs, qui couvrent l'extrémité de la vallée et qui ont été produits par l'action subite de l'air sur les roches. Je n'étais alors qu'à 4 lieues sud-ouest d'Aoussa.
A dix heures, je tins la direction sud-sud-est et j'arri-
vai à une heure après midi dans un lieu nommé Amadou. Il tomba, pendant une grande partie de la nuit, une pluie mêlée de grêle et accompagnée de terribles coups de tonnerre qui retentissaient au loin dans les montagnes; ce fut pendant cette affreuse nuit d'orage que j'entendis pour la première fois, vers trois heures du matin, les rugissements d'un léopard et les cris de plusieurs animaux qui m'étaient inconnus. Tous les Bédouins de la caravane m'assurèrent que c'étaient des hyènes, qu'ils appellent dans leur langue iangoula : je me refusai à les croire; car souvent en Egypte, lorsque je demeurais au vieux Kaire, j'avais entendu les cris des hyènes, et je ne leur trouvais aucune analogie avec les hurlements qui frappaient alors mes oreilles. Je cherchai en vain, pendant près de deux heures, à tirer un coup de fusil sur quelques-uns de ces animaux, que je voyais rôder confusément non loin de moi; mais, comme de nombreux nuages obscurcissaient la clarté de la lune,, la nuit était trop sombre pour que je pusse les ajuster. Je passai la journée du 31 à Amadou; j'y remarquai un réservoir basaltique qui contient de l'eau pour trois mois.
Le 1er septembre, à cinq heures du matin, nous prîmes; la direction ouest-nord-ouest; à six heures, nous tournâmes au sud-est. Les vallons que nous traversâmes d'abord, et les coteaux qui les entourent,
étaient tapissés de hautes herbes et peuplés de chamois, de gazelles et de pintades; mais, plus tard, le terrain devint aride et difficile à pratiquer : nous avions à franchir des collines composées de roches trachytiques unies quelquefois au gneiss et au basalte, qui souvent y alternent ensemble, et sur le sommet desquelles gisaient pêle-mêle de nombreux fragments de ces roches. Je m'arrêtai à quatre heures du soir à Baroudâda, lieu situé à l'entrée d'une plaine graveleuse qui otfre une étendue de 3 lieues environ sur ses deux dimensions : on y observe des traces de produits volcaniques. Le ras Ibraim-Amadou y campait; il vint me voir dès que j'arrivai. A peine l'avide Bédouin m'eut-il complimenté sur ma bienvenue, qu'il me demanda si je ne lui apportais rien ; je lui répondis que j'avais entendu dire beaucoup de bien de lui et que, pour ce seul motif, je lui offrais et le priais d'accepter deux pièces d'étoffe de coton : il envoya chercher aussitôt du lait et du beurre pour toute la caravane.
Les chameaux, exténués de fatigue, ne pouvaient aller plus loin : je fus obligé, pour leur donner du repos, de faire halte pendant les journées des 2, 3 et 4. Je ne pus presque pas fermer l'œil durant toutes les nuits que je passai à Baroudâda : les animaux dont j'avais entendu-les cris à Amadou ne cessaient de hurler autour des chameaux; ils s'en approchaient à de très-petites
distances, sans oser cependant les attaquer. Dans la nuit du 3 au 4, je parvins enfin à en tuer un. Il n'avait aucune ressemblance avec l'hyène bâtonnée : il était plus gros qu'elle ne l'est en général; il avait également la tête plus large et le museau moins allongé: le poil de sa peau, d'un jaune fauve, était parsemé de taches rondes d'une nuance un peu plus foncée; il exhalait une forte odeur de musc. En réunissant à ces caractères le son de ses rugissements à peu près semblables à ceux du lion, je reconnus qu'il appartenait à l'espèce des loups-tigres du Cap ou hyènes tachetées.
Pendant les trois jours de repos que prit ma caravane, les Bédouins qui campaient dans les environs de Baroudâda, attirés parla nouvelle de mon arrivée, vinrent me visiter en assez grand nombre. La blancheurdema peau, qu'ils regardaient comme un phénomène miraculeux, piquait surtout leur curiosité; ils s accroupissaient autour de moi, me considéraient avec ébahissement et me faisaient une foule de questions naïves. Ce qui les étonnait le plus dans mon costume, c était le chapeau à larges bords dont je m'étais muni pour protéger mon visage contre la violence du soleil. A l'inverse de don Quichotte, qui voyait dans le plat de cuivre d'un barbier de village le fameux armet de Mambrin, ils prenaient mon couvre-chef monstrueux pour un bouclier; niais ils étaient tout surpris de me voir porter sur la
tête mon armure défensive. Je leur fis comprendre que, lorsque je n'avais pas à me garantir contre d'autre attaque, je le plaçais sur ma tête pour me parer du soleil; et je leur laissai croire qu'au moment du combat, de même qu'eux, je le passais au bras pour couvrir ma poitrine. Ils demeuraient en extase chaque fois que je battais le briquet : surpris, à mon tour, de leur grand étonnement, je les priai de me montrer le moyen à l'aide duquel ils se procuraient du feu; ils satisfirent à l'instant ma curiosité. L'un d'eux prit une baguette de bois de mimosa sec, la coupa en deux parties : l'une, de 8 pouces environ, au milieu de laquelle il pratiqua, avec son couteau-poignard, une petite concavité; l'autre, de 15 à 20 pouces, dont il termina l'extrémité en pointe arrondie. La première fut placée horizontalement sur le sol ; on introduisit dans la concavité la pointe de l'autre, à laquelle deux Bédouins agenouillés imprimèrent un mouvement circulaire rapide et continué sans interruption jusqu'à ce qu'ils obtinssent du feu. Alors ils grattèrent avec le bois allumé un crottin sec de cheval, de mule ou de baudet, qu'ils avaient divisé en deux parties; ils rapprochèrent celles-ci, soufflèrent légèrement dessus, et le crottin s'enflamma.
Le 5, après avoir pris congé de Mahamet-Loéta, je me mis en route à travers la plaine, dans la direction sud-sud-ouest ; j'arrivai à neuf heures à son extrémité
orientale. Elle est sablonneuse; on y retrouve les mêmes coquilles que celles que j'ai vues et désignées ailleurs: j'y observai également deux roches de calcaire coquillier placées à la superficie du sol. Je suivis ensuite la direction nord-quart-nord est, et j'arrivai à une heure après midi à Kilalou : c'est le nom d'une rivière qui prend sa source à l'endroit même où s'arrêtent les caravanes. Dans la saison des pluies, elle a environ 60 pieds de largeur sur 5 à 6 de profondeur : son eau est potable; son courant est rapide et placé entre deux coteaux trachytiques de hauteur égale : après un cours de 12 à 15 lieues, du sud au nord-est, elle va se jeter dans le lac Natron, dont j'ai déjà parlé, qui est situé à 3 lieues au nord-est d'Aoussa. A une lieue nord-ouest de Kilalou, il y a, dans Un lieu nommé Oiram-Mellé, une source d'eau chaude, dont j'essayai la température en y plaçant le thermomètre de Réaumur : après six minutes, il demeura stationnaire à 75 degrés 1/3. Il me fut impossible de dormir pendant les deux nuits que je passai à Kilalou : les loups-tigres africains, qui y séjournent en très-grand nombre, ne cessèrent de rôder autour des chameaux, en poussant d'affreux rugisse-
ments. Le coup de fusil ne les effraye pas; ils vinrent enlever une outre pleine de beurre sous la tête même d'un Bédouin endormi, auquel elle servait d'oreiller : heureusement pour lui, leur gourmandise l'emporta
sur leur voracité, et ils ne lui firent aucun mal. Mais les Bédouins m'ont assuré plusieurs fois que ces animaux cherchent à les surprendre pendant leur sommeil pour les dévorer.
Le 7, à huit heures du matin, je pris la direction sud-ouest-quart-sud-sud-ouest en traversant plusieurs coteaux et plusieurs vallées, tous également tourmentés par l'action volcanique. On ne saurait se faire une idée de la difficulté que l'on éprouve à marcher sur un sol pareil ; on n'y trouve aucun chemin frayé , aucun sentier tracé , et l'on est sans' cesse obligé de sauter d'une pierre à l'autre, en évitant avec précaution celles dont les aspérités menacent de déchirer le pied. Je vis pendant cette journée une multitude de pintades, plusieurs daims et chamois, des gazelles de la grande espèce, deux antilopes et trois autruches. Je m'arrêtai à trois heures du soir sur un lieu nommé Addoéta, dans le territoire de la kabile Débenet-Buéma, dirigée par le ras Oucds-Agaïo.
Le 8, à sept heures , je continuai ma route dans la direction de la veille, en longeant une vallée couverte d'herbe; je m'arrêtai à midi à Hasen-Dtra. Le ras résidait non loin de là : il m'envoya un de ses parents pour me faire des reproches de ce que je n'étais pas allé descendre chez lui ; il m'envoyait dire aussi qu'il savait que j'avais donné des cadeaux aux ras sur le
territoire desquels j'avais passé. Je répondis à son messager que je n'avais point fait de présents, sans songer aussi au ras Agaïo, et que je le priais d'accepter deux pièces de coton qui pussent me rappeler à son souvenir lorsqu'il les porterait. Je reçus de sa part, dès la nuit, deux chameaux chargés de lait et de beurre. Il vint lui-même le lendemain matin me rendre visite; il me questionna beaucoup sur les mœurs et les usages des Européens : l'entretien roula sur notre couleur, nos connaissances , nos armes., notre industrie; chacune de mes paroles le jetait dans l'étonnement ou provoquait son admiration. Après une conversation assez longue, il me dit que je ne pourrais continuer mon voyage sans prendre une escorte de vingt-cinq à trente hommes ; qu'en effet je devais passer par des lieux où je ne manquerais pas d'èrre attaqué par les Gallas-Itou ou les Hasen-Maras qui viendraient m'arrêter au nombre de 2 à 300. Je lui répondis que, moi seul, avec mes armes, je pouvais opposer une plus vive résistance que trente de ses hommes; que si les Gallas ou les Hasen-Maras venaient, comme il le disait, nous attaquer au nombre de 300 , nos trente hommes d'escorte penseraient à leur propre sûreté avant de songer à défendre la nôtre, et n'auraient rien de plus pressé que de s'enfuir ; que j'étais décidé, par consé- qUent, à continuer mon'voyage sans le secours d'au-
curie escorte. Ce langage rassura une partie des gens de ma caravane, que n'avaient pas médiocrement effrayés les menaçantes prévisions du ras. Cependant, comme il y allait pour eux de la vie , ils n'osaient se compromettre sur la hardiesse de mes paroles ; mais ils reculaient, d'un autre côté, devant les frais de l'escorte, qu'ils auraient bien voulu , qu'ils avaient espéré mettre entièrement à ma charge. Ce combat entre leurs craintes et leur avarice dura deux jours, qui se passèrent en longues et sérieuses délibérations : il était curieux de les voir débattre en conseil cette grande affaire. Ils se réunissaient en cercle , accroupis, tenant le bouclier d'une main et de l'autre la lance dressée. Le premier qui donnait son avis expliquait sa pensée à son voisin dé droite ; celui-ci, s'adressant au suivant, lui communiquait ses observations sur l'opinion qui était émise : la parole faisait ainsi le tour de l'assemblée, et l'avis qui dominait était placé sous la sanction d'une prière du Koran, qu'ils murmuraient ensemble à voix basse.
Enfin, le troisième jour, après avoir épuisé la délibération , convaincus que ma résolution était inébranlable, ils chargèrent mon guide de me dire que, si je consentais à ce qu'on louât une escorte , les frais seraient également répartis sur chacun , à raison de tant par tête de chameau, c'est-à-dire qu'un individu
qui aurait trois chameaux payerait trois fois autant que celui qui n'en avait qu'un. Je lui répondis que j'adhérais volontiers à ces conditions ci que l'on pouvait prendre le nombre d'hommes que l'on jugerait convenable.
Les Bédouins consacrèrent à des réjouissances publiques la plus grande partie des nuits que nous passâmes à Hasen-Déra; notre présence en avait attiré plusieurs centaines. Leurs fêtes nocturnes , animées par une folle gaîté , semblaient donner la vie à ces tristes lieux.
Les Danakiles aiment la danse avec passion ; c'est le plaisir qui a pour eux le plus de prix , mais il n'est permis qu'aux hommes de s'y livrer. Du reste , rien de plus simple que leur manière de danser : ils se forcent en cercle ; l'un d'eux entonne une chanson que les autres répètent en chœur : alors, se serrant l'un contre l'autre , ils piétinent avec un trépignement rapide, battent des mains et s'excitent mutuellement par leurs cris. Chacun sort tour à tour de la ronde et va se placer au centre , pour y mériter , par l'agilité de ses poses et la souplesse de son corps , l'approbation des femmes et des jeunes filles. Les spectatrices de cette gymnastique témoignent silencieusement le plaisir qu'elle leur fait éprouver en étendant les bras , en ouvrant et en fermant les mains.
.le me remis en route le , a sept heures du ma-
tin. Nous étions accompagnés de trente hommes d'escorte; dix Bédouins et huit femmes, avec quinze chameaux et sept baudets, avaient aussi accru notre caravane. Je tins la direction sud-sud-ouest et je longeai une vallée rocailleuse couverte d'herbe , d'une étendue très-considérable, encaissée à l'est et à l'ouest par des coteaux trachytiques granitoïdes semi-vitreux; j'y rencontrai plusieurs bandes de chamois et de chevreuils. Je fis halte à deux heures du soir h OdarDoura.
Le 14 , à sept heures du matin , je traversai, dans la direction sud , un coteau rocailleux, aride , de formation trachytique granitoïde, semi-vitreux, à cassure lisse. Je passai à onze heures au pied d'un monticule ayant la forme d'un cône écrasé, couvert de lave du sommet jusqu'à la base; à trois heures du soir je m'arrêtai à Quodhoté.
Quodhoté est à trois lieues d'Héraire, étape qui se trouve sur la route suivie ordinairement par les caravanes qui partent <¥Hasen-Déra, après la saison des pluies. Comme, au moment oùje voyageais, cette saison durait encore et qu'il y avait de l'eau partout, mon guide m'avait fait suivre une route plus courte. Il y a à Héraire un petit ruisseau qui prend sa source dans les montagnes des Gallas-Ilou, situées au sud, el coule de l'est à l'ouest.
Le mauvais temps m'obligea à séjourner le 15 à Çuod/ioté : j'en partis le lendemain à six heures du matin ; je pris la direction sud-sud-ouest, à travers une plaine argileuse bornée au sud par les montagnes des Gallas-Itou et dépourvue en partie de végétation : je passai à midi au pied de deux petits volcans éteints qui s'élèvent au milieu de la plaine sous forme de cônes tronqués; de leur sommet à leur base on voit la lave que leurs cratères ont vomie et qui a formé à leur pied une couche d'une assez grande étendue. A deux lieues au nord-ouest, se montrent des montagnes de même forme détachées les unes des autres : ces montagnes, ainsi que d'autres beaucoup plus hautes et plus considérables, également volcaniques, qui se succèdent du sud au nord, appartiennent à la kabile des HasenMaras ou Modeïto. A midi et demi, je m'arrêtai à Mena, lieu qui appartient au ras Bidar, dont la kabile se compose de Bédouins Asouba, Débenet et Modeïto.
Le ras vint au-devant de moi : il m'amena un gros bouc et un chameau chargé de lait et de beurre; je lui fis présent, à mon tour, d'une livre de café, de trois pièces d'étoffe de coton et d'un miroir : ce cadeau parut lui faire le plus grand plaisir, car il vint luiInême, le lendemain matin, pour m'accompagner.
Le 17, à huit heures, je me mis en marche dans la
direction sud-ouest ; à neuf heures, je descendis dans une vallée resserrée entre deux coteaux trachytiques réduits en fragments diversement volumineux; je longeai la partie méridionale de cette vallée : à une heure après midi, je m'arrêtai à Coummi, résidence d'un nommé Somboul-Aboukeri, gendre du ras Bidar, auquel on est en quelque sorte obligé de payer le tribut de passage comme s'il était ras lui-même.
Coummi se trouve en face des montagnes dont j'ai parlé tout à l'heure ; parmi cinq volcans éteints que l'on aperçoit de ce lieu, il en est un qui, par sa hauteur et sa forme, rappelle le Vésuve. Le mauvais temps me fit passer à Coummi les journées du 18 et du 19; le 20, dès quatre heures du matin, je continuai ma route, en suivant la vallée qui va s'élargissant au sudouest : j'arrivai a onze heures au pied d'une montagne appelèeAmoïssa, composée de granit-gneiss, de siénites porphyriques et de trachytes porphyroïdes, dont les roches sont celluleuses et qui est volcanisée en partie; je la gravis et je parvins, au bout de deux heures, à son sommet, où s'ouvre un petit vallon bordé de roches porphyriques et granitiques. Il y a dans ce vallon sept sources d'eau chaude dont j'essayai la température.
Au bout de 6 minutes, le thermomètre demeura stationnaire dans l'une des sources à 47 degrés 1Z3 : la deuxième donna 65 degrés; la troisième, 59 degrés 1/3;
la quatrième, 71 degrés 1/3; la cinquième, 60 degrés; la sixième, 63 degrés; la septième, 72 degrés 1/3.
Ces différentes sources sont à peu près de même grandeur; leur profondeur varie de deux à quatre pieds.
A deux heures, je descendis dans une plaine immense qui offrait à mes yeux le spectacle d'une riche végétation, spectacle bien nouveau pour moi et bien inattendu au milieu de la contrée stérile où j'errais depuis plus de cinquante jours : à la vue du gazon épais qui la couvrait, des mille petits arbustes qui y dressaient leurs tiges gracieuses, des arbres nombreux qui s'élevaient sur ce vaste fond de verdure, il me semblait avoir devant moi les magnifiques prairies de la Lombardie. Elle s'étend sur une circonférence d'au moins 60 à 80 lieues. Son terrain argilo-siliceux est susceptible de toutes sortes de productions ; l'indigo fera hirsutay croit spontanément et y prend un trèsgrand développement : le café, le coton, les cannes à sucre y viendraient aussi à merveille; mais telles sont l'indolente paresse et la négligence des Bédouins, qu'il l'y a pas un pouce de cette terre admirable qui soit en culture. La plaine est bornée au nord par des montagnes qu'habitent les Hasen-Maras ou Modeïto et, au midi, par celles des Gallas-Ilou-Tchier-Tchier, chez lesquels il y a beaucoup de plantations de café dont il&
vont porter les produits dans le royaume de Choa et à Harrar. Je vis ce jour-là dans la plaine onze éléphants d'une belle taille : ces animaux paissaient tranquille ment ; ils s'enfuirent à notre approche. Je fus étonné de la vitesse avec laquelle ils couraient : je crois que des chevaux n'auraient pas pu les atteindre. Rien n'est surprenant comme de voir ces masses énormes se mouvoir avec une si grande rapidité. Les traces qu'ils laissent après eux sur le sol présentent une particularité singulière ; elles s'étendent sur une seule ligne invariablement droite : ce sont des trous ronds de 2 pieds et demi à 3 de circonférence, et de 5 à 6 pouces de profondeur, que l'on dirait creusés par un cultivateur pour recevoir les tiges d'un arbuste; ils sont séparés de 1 pied environ de distance les uns des autres. Je remarquai aussi des endroits où ils s'étaient couchés; le terrain y avait fléchi sous leur poids, et son affaissement marquait la place où leur masse avait couvert le sol. J'aperçus également trois zèbres, beaucoup d'ânes sauvages,un grand nombrede sangliers, deschamois, des daims, des gazelles et des lièvres,, cinq autruches, des troupeaux de pintades, francolins, pigeons vertsd'Abyssinie, plusieurs rolliers africains à longue queue, des veuves du Cap, des cardinaux de plusieurs variétés, des percnoptères africains différents de ceux qui sont en Egypte et plusieurs oiseaux d'une espèce qui m'é-
tait inconnue. A six heures du soir, je m'arrêtai pour y passer la nuit, dans un lieu appelé Moullou, qui donne son nom à la plaine : on y trouve de l'eau excellente avec laquelle on pourrait arroser les terres environnantes au moyen de sakies, puits à chapelets dont on se sert en Égypte pour déverser sur les terres l'eau nécessaire à leur culture.
Le 21, à six heures du matin, je partis de Moullou, après avoir congédié le ras Bidar; je pris la direction nord-ouest : sur tous les points, la plaine présente les mêmes caractères d'exubérante fertilité. Je rencontrai dans ma route une antilope, des bandes de daims, de chamois, de gazelles et les mêmes oiseaux que la veille, en immense quantité; je m'arrêtai à midi à Bordouda, à l'extrémité occidentale de la plaine; j'y rencontrai le ras de la kabile Takahide, Omar-Bata. La renommée des présents que j'avais distribués le long de ma route avait devancé mon arrivée en ces lieux : aussi Omar-Bata, surpassant les autres ras ses collègues en prévenances et en courtoisie, vint au-devant de moi et m'amena ce que peut donner un Danakile, un chameau chargé de lait et de beurre auquel il ajouta l'offre d'un bœufque J acceptai avec empressement, car ma caravane renfermait assez de consommateurs pour qu'une pièce comme celle-là ne fût pas à dédaigner. Omar envoya
ehercher son bœuf sur-le-champ. Je voulus, de mon   
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côté payer sa générosité de retour; et, comme j'avais plus à me louer de ses procédés que de ceux des chefs danakiles avec lesquels j'avais été en rapport jusqu'à ce jour, je lui fis aussi un cadeau plus brillant : je lui donnai quatre pièces de coton, un couteau-poignard garni en argent, deux rasoirs, deux paires de ciseaux et un miroir. Il reçut ces objets avec joie, alla les montrer à sa famille et, dans ie naïf transport de sa reconnaissance, revint me remercier avec sa femme, belle et gracieuse bédouine, et tous ses enfants. Mes compagnons de voyage n'étaient pas moins contents que lui de leur lot; en dépit du mauvais temps, ils passèrent une bonne partie de la nuit à dépecer le bœuf, à le faire rôtir et, bien entendu, à le manger : je les aidai de bon cœur dans cette dernière opération.
Il y avaità Bordouda, lorsque j'y arrivai, une petite caravane composée de 21 personnes, hommes et femmes, 15 chameaux, six mules et 8 baudets : elle se réunit à la mienne. Le 22 et le 23, nous eûmes à essuyer deux orages épouvantables, qui inondèrent la plaine et la rendirent impraticable aux chameaux: je fus obligé de la quiiter pour suivre un chemin qui n'est pas frayé ordinairement par les caravanes.
Le 24, à cinq heures du matin , je pris la direction est-nord-est, que je changeai deux heures après pour la direction est-sud-ouest-quart-sud : jet raversaialors un
terrain volcanique, couvert d'arbustes et de plantes d'espèces diverses, parmi lesquelles on rema rque l'aloès soccotrin, l'agave filamenteuse et surtout plusieurs variétés de gtevia, arbrisseau dont les fruits jaunes et rouges, de la grosseur d'un pois, sont attachés par quatre, en forme de croix, au pédoncule commun et contiennent un miel végétal excellent. ,\ f-4 Ce terrain appartient aux Modeïtos. Féroces et avides de butin, les Bédouins de cette kabile se font redouter des tribus voisines par leurs brigandages effrénés.
Trois jours avant mon arrivée sur leur territoire, ils avaient massacré une caravane danakile, composée de 43 personnes et de 60 chameaux. Je suis persuadé que, si la caravane dont je faisais partie fut à l'abri de leur cruelle cupidité, nous dûmes notre salut commun à la réputation gigantesque que m'avaient faite mes armes à feu, réputation qui me précédait au loin dans ces déserts. On ne saurait s'imaginer, en effet, la terreur que l'explosion d'une arme à feu jette dans l'âme des Bédouins de l'intérieur du royaume d'Adel. Plus d'une fois je me suis joué de leur effroi ridicule à ce sujet, et j'ai fait servir la panique que je leur inspirais à établir sur eux mon ascendant. Un pistolet à la main, je Maîtrisais du regard, du geste un cercle nombreux de Danakiles : chacun de ceux qui m'entouraient, croyant voir- planer la mort sur.sa tête, me regardait comme
l'arbitre de sa vie; et, lorsqu'au milieu de l'assemblée qui, muette et suspendant son haleine, épiait en tremblant le moindre mouvement de mon corps, ie moindre signe de mon visage, je lâchai le coup, sur-lechamp tous se précipitaient la face contre terre , persuadés que la balle pouvait les atteindre successivement, et attendaient la mort, immobiles dans cette posture, jusqu'à ce qu'il me plût de les rassurer, en leur disant que je consentais à ne faire périr personne.
J'avais reporté aussi sur ma lunette d'approche une partie de la terreur que leur inspiraient mes pistolets et mes fusils; je la plàçai sur un monceau de pierres et la leur montrant : « Ceci, leur disais-je, c'est le canon; malheur à qui le touche , sa détonation est bien plus terrible encore que celle de mes autres armes. » Ces paroles suffisaient. Tous les Bédouins qui m'avaient entendu se tenaient éloignés de ma lunette, et s'il arrivait quelqu'un de leurs compatriotes qui en ignorât là puissance mortelle, aussitôt on l'en instruisait, en lui recommandant de se bien garder d'en approcher.
Je vis, à onze heures, deux antilopes; j'en tuai une comparable, pour les dimensions, à un beau cerf d'Europe. Cet heureux coup de fusil transporta de joie la caravane; il était providentiel : depuis cinq jours, toutes mes provisions, biscuits, riz, farine, étaient
épuisées, et mes compagnons et moi nous étions réduits à vivre de laitage, encore ne pouvait-on s'en procurer pour tout le monde. La nécessité a habitué les Bédouins à ce genre de nourriture, que je trouvais par trop pythagoricien. Le dourah est pour eux une denrée de luxe que l'on peut se procurer fort rarement dans leurs déserts. A trois heures et demie, j'arrivai dans une vallée que je traversai dans la direction est.
A quatre heures, je m'arrêtai, pour ma station nocturne, dans un lieu nommé Aroiéta.
Dès que nous eûmes fait halte, nous nous mîmes en devoir de satisfaire, avec mon antilope, notre appétit aiguisé par une longue privation; nous l'avions respectée depuis que je l'avais tuée, parce que, dans ce voyage du désert, on ne fait de repas qu'à la halte du soir et le matin avant de se mettre en route. Plusieurs de nos hommes dépecèrent ce magnifique gibier; d'autres élevèrent un bûcher que l'on chargea de petites pierres trachytiques : les intervalles laissés entre le bois et les pierres, facilitaient le passage de la flamme; elle eut bientôt chauffé suffisamment ce gril improvisé, pour le mettre en état de cuire peu à peu les viandes qu'on lui confia. Les biftecks d'antilope que je mangeai, ainsi préparés, étaient succulents; ils trouvèrent en moi, il est vrai, une faim vorace, assaisonnement (lui rend indulgents les plus gourmets et fait passer
pour excellents des mets qui leur sont bien inférieurs : au surplus, les mœurs pacifiques de l'antilope me permettaient de me rassasier en toute sûreté de conscience. Je n'avais pas à redouter la complicité d'anthropophagie encourue par l'écrivain qui a rendu célèbre le bifteck d'ours.
A peine la nuit commençait-elle à paraître, que les loups-tigres africains, attirés par l'odeur de sang qu'exhalaient les pierres encore chaudes sur lesquelles on avait fait rôtir l'antilope, accoururent pour en ronger les ossements dispersés autour de nous : j'en tuai un dans cette soirée ; il me confirma dans l'opinion que je m'étais faite. On ne peut confondre cet animal avec l'hyène bâtonnée; depuis Toujourra jusqu'au point où j'étais parvenu, je n'en avais pas entendu une seule.
Je partis d'Aroiéta le 27, à sept heures du matin , en prenant la direction ouest-nord-ouest, que je changeai, à huit heures, pour la direction sud-sud-ouest.
Je traversai d'abord un coteau trachytique granitoïde, après lequel je suivis une petite vallée et ensuite un coteau basaltique, au delà duquel je suivis une vallée rocailleuse et de production volcanique, large d'environ 4 lieues; à onze heures, je passai au pied d'un volcan éteint; de onze heures jusqu'à trois, je traversai quatre autres coteaux et passai au pied de trois volcans
éteints : les cinq coteaux se développent dans toute la longueur de la vallée , ils sont éloignés l'un de l'autre de demi-heure à trois quarts d'heure et disposés en gradins; deux sont formés d'une lave écailleuse, poreuse, vitrifiée, alternant avec des couches de pumite grumeleuse, rougeâtre, friable, tassées à la manière des brèches calcaires ; deux autres sont composés en partie de trachyte vitreux, de lave ferrifère à laquelle adhère une pumite brunâtre, dure, assez semblable à l'obsidienne: il paraîtrait que cette ponce a conlé avec là lave, ou du moins qu'elle a été jetée sur le sol avant son refroidissement.
A trois heures et demie , j'arrivai sur le côté le plus bas de la vallée : cette partie forme à elle seule une vallée d'une lieue à trois quarts de lieue de largeur sur quatre à cinq lieues de longueur; elle est bornée, au nord , par un coteau trachytique semi-vitreux de couleur brunâtre ; au sud , par une montagne assez élevée , composée de roches trachytiques porphyroïdes et siénites porphyriques; à l'ouest, par le fleuve A ouache (1). Elle est entièrement couverte d'une lave écail-
( 1) Ce fleuve est désigné sur les cartes et dans les ouvrages de géographie sous le nom d'Awash ou llawash. J'écris Aouache suivant la Prononciation des habitants de l'Adel. Je ne puis concevoir, en effet, le Privilège qu'ont les Anglais d'imposer leur orthographe aux noms d'une infinité de points géographiques. Comme, grâce à Dieu, la prononciation anglaise n'a pas envahi notre langue, il me semble naturel de suivre la
leuse , scorifiée, qui a été formée sur le lieu même, car l'on voit de distance en distance les cratères qui l'ont vomie ; ils sont peu profonds et placés horizontalement. A l'est de la vallée on aperçoit aussi plusieurs monticules sous forme de cônes tronqués, qui ne sont autres que d'anciens volcans éteints. L'immense quantité de lave étendue sur cette surface est encore plus considérable que celle que j'ai rencontrée entre Bonilata et Alexitâne. J'ai visité le Vésuve, Stromboli et l'Etna ; la lave de tous ces volcans réunis ne peut servir de terme de comparaison pour celle qui était alors accumulée sous mes yeux.
Il était cinq heures du soir lorsque je m'arrêtai à la station de Dabita : la nuit était éclairée par une lune magnifique; son calme et sa sérénité invitaient au re- pos, mais ce fut en vain que j'essayai de me coucher et de m'endormir , les sinistres rugissements des loupstigres qui couraient çà et là près de nous me forcèrent à me lever et à me tenir sur mes gardes. Je résolus de faire payer à ces féroces animaux les insomnies qu'ils occasionnaient depuis si longtemps. Je tuai le premier qui s'offrit à mes coups ; il alla mourir à deux cents pas de moi. J'allai le ramasser avec quelques Bédouins; mais déjà trois compagnons du mort, faisant mentir
nôtre, et de ne pas ajouter une difficulté gratuite ou donner une fausse physionomie à certains noms assez singuliers par eux-mêmes.
le proverbe : « Les loups ne se dévorent pas entre eux, M s'en disputaient le cadavre encore chaud et lui avaient arraché une partie des entrailles. Je fis feu sur l'un des trois, il alla mourir dans des broussailles, à une por-
tée de fusil. Nous n'eûmes pas le temps d'arriver à l'endroit où il était étendu, que deux autres s'étaient jetés sur lui et avaient dévoré ses intestins. L'un de ces derniers était énorme : caché derrière un buisson, pépiai pendant trois quarts d'heure le moment favorable pour lui lancer une balle; il ne cessa, pendant ce temps, de courir pesamment de droite à gauche autour de sa proie comme pour la garder , et, en passant devant moi, il me lançait, avec des rugissements furieux , des regards enflammés. Il continuait ces évolutions depuis près d'une heure , lorsque je le vis faire un détour comme pour venir me suprendre par derrière. Un Bé- douin qui était à dix pas de moi devina sa manoeuvre ; il-avaiteu à peinele temps de me dire qu'il croyait que le Joup-tigre allait s'élancer, que déjà ce monstrueux animal était sur moi : mais j'eus le bonheur de le prévenir ; je fis feu sur lui à trois pas de distance, et il tomba roide mort. Ces exploits, qui n'étaient pas sans périls, mirent en émoi toute la caravane ; personne ne put fermer l'œil cette nuit-là.
- Le 26, à sept heures du matin, je pris la direction °uest-nord-ouest ; je tournai à huit heures vers l'est-
sud-est; à dix j'élais à Allata, sur les bords du fleuve; que les naturels appellent Aouache.
L'Aouache prend sa source à plus de cent lieues au sud à'Allata; il coule du sud à l'est-nord-est; il va se jeter dans le lac (ÏAoussa. Son courant est trèsrapide ; la largeur de son lit est de 50 à 55 mètres : il en avait de 12 à 14 de profondeur au moment où je le traversai. Dans les grandes pluies il déborde et prend alors, en certains endroits, un développement d'un quart de lieue et même davantage. Dans son étiage il a toujours d'un mètre à 80 centimètres de profondeur. Son eau, quoique bourbeuse , est excellente et très-potable; ses rives sont couvertes d'arbres de haute futaie, dont les feuillages divers présentent à la vue un mélange agréable de tous les tons de la verdure. En présence de cette vigoureuse végétation, je me sentis enfin délivré du désert et de l'esprit de mort qui semble planer sur lui; ici la vie reparaissait sous ses faces les plus brillantes. Ces lieux, fécondés par l'Aouache, sont peuplés de lions, de léopards, de panthères, de loups-tigres, d'éléphants, d'ânes sauvages, d'hippopotames, de zèbres, d'antilopes, de daims, de gazelles et de milliers d'oiseaux d'espèces diverses, dont les plumages offrent la réunion des plus éclatantes couleurs , et dont les chants originaux forment pour des oreilles européennes un concert singulier et inattendu. L'un de ces
oiseaux imite très-bien le son de la flûte , un autre celui d'une petite cloche ; ce qui me fait supposer qu'il n'est autre que le lanius cantor, que l'on retrouve dans l'Amérique du Sud. Une infinité d'animaux qui me sont inconnus abondent en ces lieux ; le naturaliste qui les parcourrait en rapporterait, dans fort peu de temps, de riches collections.
Une émotion que je n'avais pas encore éprouvée m'attendait sur les bords de l'Aouache. Le 27 , de trois a quatre heures du matin , j'entendis les cris du lion; au milieu du calme profond de la nuit, sa voix retentissante remplissait toute l'étendue des forêts dont elle faisait vibrer les échos les plus reculés. On ne peut exprimer l'impression que produisent ces sublimes rugissements interrompant tout à coup le silence solennel de ces lieux et de cette heure ; c'est quelque chose d'électrisant qui remue l'âme dans ses profondeurs et lui inspire à la fois la crainte et l'admiration.
Les animaux de notre caravane, saisis, immobiles, semblaient reconnaître, par le tremblement qui les agitait, la voix terrible de leur roi. Celui-ci se retirait noblement, après avoir rugi à cinq ou six reprises, et disparaissait dans les forêts pour ne plus se faire entendre.
Dès notre arrivée sur les rives de l'Aouache, nous nous étions mis en devoir de le passer ; nous avions
employé la journée du 26 à construire de petits radeaux avec des branches de bois sec liées en carré , sous lesquelles nous placions des outres enflées , qui lps maintenaient beaucoup au-dessus de l'eau et nous permettaient de les couvrir de nos bagages. Le 27, dès six heures du matin, nous passâmes, sur ces embarcations ingénieuses, que nous dirigions en nageant, le sel , mes effets et les autres marchandises de la caravane. Nous n'avions pas de temps à perdre, exposés comme nous l'étions à tout moment à une irruption des Gallas-Itou-Tchier-Tchier. Mais, après avoir transporté nos bagages sans avaries, restaient encore les femmes : les conduire sur l'autre rive était difficile; nous résolûmes le problème d'une façon assez hardie. Pour les soutenir au-dessus de l'eau , nous leur attachions sous chaque aisselle une outre enflée, et, nouant autour de leur ceinture une corde que nous serrions autour de nos reins , nous les faisions avancer à notre suite , exactement comme on donne la remorque à des navires.
C'était un tableau pittoresque et animé sous ce ciel magnifique , entre ces deux rives verdoyantes et au milieu des ondes, que ces belles femmes dont tout le buste paraissait au-dessus de l'eau, les épaules couvertes de leur chevelure flottante, s'abandonnant sans crainte , l'œil serein , le front tranquille , aux efforts de leurs remorqueurs qui luttaient contre la rapidité
 
Os air G ut, liift.
Fmp. Lrnimùr, BemrddC'f
tfaMcujc. de £ (Xaïuicfye
du courant ; on eût dit, d'après les poétiques fictions de l'antiquité , les nymphes de ce fleuve se jouant, nobles et paisibles, au milieu de leur élément naturel.
Tout cela ne se fit point sans peine ni sans danger ; mais nous remplîmes gaiement notre tâche , et nous n'eûmes pas à déplorer d'événement fâcheux. Pour moi à qui mon talent de nageur avait valu l'agréable corvée de passer dix femmes , c'est-à-dire de traverser plus de vingt fois l'Aouache, on devinera sans peine la lassitude que j'éprouvai à la fin d'une journée remplie par un travail aussi rude ; quelques accès de fièvre que je ressentis le lendemain en furent les suites.
Le 28, à quatre heures du matin, j'entendis de nouveau les lions; ils s'approchèrent jusqu'à quarante pas de la caravane, sans attaquer personne : leur vue me Appela ceux du Jardin du roi; ce souvenir de mon pays mêla de l'attendrissement à mon respect pour ces nobles animaux. Après avoir poussé plusieurs rugissements à dix minutes d'intervalle et nous avoir fièrement passés en revue, ils se retirèrent en silence, comme ils étaient venus, d'un pas calme et majestueux.
A huit heures, je repris mon voyage dans la direction sud-ouest; à dix heures, je traversai une rivière nommée Hâoudeh : son courant est assez rapide; elle
coule du sud à l'est-nord-est et va rejoindre le fleuve à 4 lieues au nord de l'endroit où je la traversai : je passai ensuite sur un terrain argilo-siliceux, couvert d'arbrisseaux et d'arbustes de diverses espèces et d'un nombre infini de plantes d'aloès; peuplé de singes, d'antilopes, de chamois, de chevreuils, de gazelles, de zèbres, d'ânes sauvages et d'une quantité prodigieuse d'oiseaux. Je m'arrêtai, à trois heures du soir, dans un lieu nommé Ayouka.
Je me mis en marche, le lendemain, à cinq heures du malin ; je suivis, dans la direction sud-ouest-quartsud-sud-ouest , le même terrain que la veille : il est entièrement couvert, dans cette partie, d'agaves filamenteuses, au milieu desquelles on voit aussi des gommifères très-élevés (mimosa africa) et des arbrisseaux qui me sont inconnus. A sept heures, je rencontrai encore 1'11 aoudeh: dans ce lieu, qui s'appelle Haoudeh comme la rivière, il coulait de l'ouest-sud-ouest à l'est-nord-est; je traversai ensuite plusieurs petites collines remplies de broussailles, et enfin, après cinquante-sept jours de marche dans le désert, à quatre heures du soir, j'arrivai à Tiannou, le premier village de la province d Efat-Argouba et du royaume de Choa, que j'eusse rencontré depuis Ambabo.
J'ai traversé, au sud, dans toute sa largeur, qui est de 100 lieues et plus, la contrée désignée par les
géographes sous le nom de royaume d'Adel. Les habitants des deux petits villages que l'on rencontre sur le littoral de ce désert, réunis aux tribus bien plus nombreuses qui en parcourent les vastes solitudes, peuvent former une population de GO à 70,000 âmes, qui se donne le nom générique de Danakile. Les huit principales tribus sont celles des Ad-Ali, des Asouba, des Débenet, des Débenet- Buéma, des Dénis erra, des Achemali, des Takahides et des Hasen-Maras ou Modeïtos. Je vais indiquer rapidement les traits généraux qui distinguent chacune d'elles au moral et au physique. -; *i Les villages de Toujourra et d'Ambabo sont occupés par des Danakiles des kabiles Ad-Ali, Débenet, Azouba et Déniserra. J'ai déjà parlé, à propos de Toujourra, du caractère de sa population maritime et mar-
chande: ses membres sont religieux jusqu'à la bigoterie; ils observent scrupuleusement les préceptes du Koran et récitent cinq fois par jour la prière; ils sont encouragés dans ces pratiques par leurs chefs qui y Souvent leur intérêt. On conçoit d'ailleurs que la foi Musulmane soit entretenue et vivifiée chez eux par les apports que leurs fréquents voyages sur la mer Rouge leur font avoir avec les Arabes, ses plus fervents sectateurs. J'ai déjà dit un mot de leur parcimonie et de leur amour du gain: un étranger, quel qu'il soit,
chrétien ou musulman, logé chez un habitant de Tou- jourra, peut être exploité par lui, mais n'a pas la faculté de le quitter pour aller s'établir dans les foyers d'un autre; c'est une convention établie parmi les Danakiles, que l'étranger doit demeurer à la merci de son hôte : après en avoir choisi un, il ne trouverait à s'héberger nulle part ailleurs: c'est celui qu'il a adopté en arrivant qui a le privilège exclusif de lui fournir des chameaux, de lui procurer un guide, de lui faire payer un droit de passage, et tout cela à un prix assez élevé. Si l'étranger n'est pas bien au courant de la valeur ordinaire de ces services et des frais de logement, l'habitant de Toujourra ou d'Ambabo n'épargne ni le mensonge ni la menace pour obtenir la somme exagérée à laquelle il élève ses prétentions. On a déjà vu que le sultan, après m'avoir demandé 300 talari de frais de passage et avoir paru, pendant quelques jours, tenir invariablement à cette somme, finit par la réduire à 8 talari que je lui payai à différentes époques, durant les deux mois que je logeai chez lui; je donnai de la même manière 5 talari à mon guide, qui en voulait à toute force dix fois autant.
Les Bédouins de la kabile Ad-Ali et Asouba, qui occupent le territoire de Rahiéta à Toujourra et Allouli, sont, en général, de couleur noire ; leur taille est moyenne; ils ont le front découvert et les cheveux
el'épus; de même que la plupart des Danakiles, ils n'observent point le Koran; ils sont enclins au vol; mais ils n'iraient pas jusqu'à s'emparer, au prix d'un meurtre, des objets que leur avarice convoite. :.
Les Bédouins de la kabile Débenet occupent l'espace compris entre Atlouli et Sagaguédâne ; ils sont noirs et cuivrés; leur taille est assez belle; ils ont le nez ordinaire et non aplati, le front large et haut ; ils n'ont aucun respect pour le Koran et se moquent même de ceux* qui font la prière. Ils sont voleurs comme les Ad-Alis. Un jour que je parlais au ras Loéta de ce vice de ses compatriotes, je lui dis « que si, pendant la nuit, un voleur s'approchait de ma caravane, je le tuerais d'un coup de fusil. » Il me rappela la loi danakile, qui veut que - le sang rachète le sang et ajouta « que, si j'avais le malheur de causer la mort d'un Danakile, il ne pourrait pas lui-même me soustraire à la vengeance des parents de ma victime, tandis que, si l'on me volait quelques objets, il se chargeait de me les faire restituer. » A ce sujet, je ne saurais trop recommander aux voyageurs qui pourront me suivre dans le royaume d'Adel d'user de toutes les précautions possibles dans l'emploi de leurs armes à feu; s'ils avaient à en faire usage pour agir sur les Bédouins, je ïeur conseillerais de ne jamais tirer qu'en l'air; l'effroi Qu'ils produiraient ainsi suffirait peut-être à leurs
vues; tandis que, s'il leur arrivait d'atteindre quelqu'un, ils seraient indubitablement massacrés, et probablement le passage à travers l'Adel serait interdit aux Européens, ou, du moins, les dangers qui l'entourent déjà seraient compliqués encore de très-graves difficultés.
De Davoyeléka à Kilalou, le territoire est occupé par les dchemalis : ils sont noirs; leur taille est ordinaire, leur front est évasé; ils ne pratiquent aucune cérémonie de la religion musulmane, mais ils sont moins voleurs que les précédents.
Les Bédouins de la kabile Débenet-Buémahabitent, entre Kilalouet Héraire : ils ont la peau noire ou cuivrée, le nez fort et les pommettes snitlantes ; leur taille est ordinaire. Ils sont adonnés au pillage et ne reculent pas, dans leurs vols , devant les moyens violents; ils entretiennent, chez eux, des archers saumalis dont j'ai déjà eu occasion de vanter le courage et l'adresse.
Les Bédouins de la kabile du ras Bidar sont un mélange de Débenets, d'Asoubas, d'IIasen-Maras ; il en résulte que l'on trouve parmi eux des noirs, des cuivrés et des basanés : leur territoire s'étend de Quodhoté à Moullou.
Depuis Moullou jusqu'aux rives de l'Aouache, le terrain appartient à la kabile Takahide, dans laquelle des Asoubas, des Débenets et des Hasen-Maras sont
mêlés aux Takahides proprement dits : les membres de cette tribu sont voleurs et assassins.
Les Saumalis oulssas, qui, comme je l'ai déjà dit, occupent les montagnes situées au sud du royaume d'Adel, sont d'une très-belle race : leur taille est élevée, leur nez est presque aquilin; un grand front aux lignes régulières donne à leur visage caractérisé les attributs physiques de l'intelligence; doués d'un bouillant courage, ils aimentles combats, où leur adresse à lancer la flèche leur donne une grande supériorité sur leurs voisins, qui les craignent.
Les Hasen-Maras ou Modeïtos habitent les montagnes situées au nord depuis Toujourra jusqu'à l'ÉfatArgouba; ils forment également une population belliqueuse dont la constitution physique est remarquable ; ils sont noirs et cuivrés, ils ont le nez fort et le front large; ils sont courageux et font sans cesse la guerre à leurs voisins.
Enfin, de l'Aouache à rUâoudeh séjourne une kabile composée de Débenets, de Dénisserras, de Takahides, d'Asoubas et de Modeïtos; elle est commandée par le ras Mahamet-Dine, et dépend en quelque sorte du roi de Choa.
Ce que j'ai dit du costume des habitants de Toujourra s'applique à tous les Danakiles : une petite pièce de coton blanc serrée autour du corps par une cour-
roie à laquelle est attaché un couteau-poignard, et un manteau de même étoffe et de même couleur dans lequel ils se drapent, voilà tous leurs vêtements. Un bouclier en cuir de buffle, le couteau-poignard et la lance composent leur armure offensive et défensive ; ils ne font pas un pas sans être ainsi armés et costumés ; ils ne portent pas la barbe, n'ont jamais la têle couverte et sont chaussés de sandales qu'ils font euxmêmes.
J'ai déjà parlé de la sobriété extraordinaire à laquelle les habituent les privations du désert : leurs richesses consistent en troupeaux ; ils sont obligés de s'éparpiller sur de vastes étendues de terrain pour les faire vivre.
Souvent les tribus voleuses, et qui sont hostiles entre elles, se les enlèvent réciproquement par des coups de main imprévus. Il se fait ainsi dans la fortune de ces Bédouins de fréquents revirements; j'ai vu plusieurs ras qui possédaient en troupeaux des richesses trèsconsidérables.
En général, les Bédouins du pays d'Adel ne forment pas de camps dans leurs stations comme ceux des déserts qui environnent l'Egypte. La tente est un luxe qu'ils ignorent : lorsqu'ils veulent se mettre à l'abri du soleil ou de la pluie, ils choisissent ordinairement pour retraite une fissure de rocher ou un pli de terrain; ils élèvent des pierres tout autour de manière
à former un berceau et s'étendent sous cette voûte informe et fragile qui n'est ni une hutte ni une tanière, et dans laquelle on ne devinerait jamais un logement d'homme.
En général, les Danakiles sont d'une intelligence médiocre; ils sont gais, vifs et alertes; ils manient la lance avec dextérité : la simplicité de leurs besoins et le peu de ressources que leur offre leur pays rendent inutile et impossible chez eux la pratique des arts manuels; ils ne fabriquent ni leurs lances, ni leurs couteaux-poignards, qui leur sont apportés du royaume de Choa, d'Aoussa, de Toujourra et de Barbara. Leurs occupations sont exclusivement pastorales : on peut l'attribuer à leur paresse, car ils laissent en friche des terrains qui récompenseraient généreusement leurs travaux de culture. De même que les Bédouins d Ëgypte, les Danakiles sont doués d'une vue prodigieuse; elle est si perçante, que souvent je distinguais à peine avec ma lunette d'approche des objets qu'ils voyaient parfaitement à l'œil nu.
Les femmes participent, dans le paysd Adel, de l'excellente constitution physique des hommes : en génél'al, elles sont belles, leur taille est magnifique, leurs traits sont d'une parfaite régularité, leurs yeux noirs Aillent d'un éclat peu commun; entre leurs lèvres vermeilles et bien taillées (elles ne sont point épaisses
et en bourlet comme celles de la race noire proprement dite), on voit souvent, lorsqu'un charmant sourire les écarte, les lignes irréprochables de leurs dents admirables de blancheur. Dans son ensemble, leur physionomie est douce, gracieuse et animée d'une vivacité attrayante; leur chevelure longue et bien fournie, qu'elles tressent artistement en une multitude de petites nattes, se répand sur leurs épaules et descend ordinairement jusqu'à la chute des reins. Une peau de bœuf, quelquefois non dépilée, rendue souple et moelleuse par un procédé simple, serrée autour de la ceinture et terminée aux genoux, laisse découverte la plus grande partie des formes vigoureuses de ces superbes créatures.
Tous les habitants du royaume d'Adel parlent le même dialecte, différent de l'arabe, de Tamharra, de l'éthiopique et du galla, mais qui se rapproche davantage de celui-ci : cette communauté de langage est le principal lien de leur nationalité. D'où est venue cette population nomade, qui, par ses caractères physiques, ne peut être comparée à la race noire proprement dite, et qui, par la régularité de ses traits, se rattache à la race caucasique? On ne saurait l'établir d'après des données précises : je dirai seulement que le cadi de Toujourra m'a rapporté, comme une tradition enracinée dans le pays, que les Danakiles sont venus de
l'Arabie, c'est-à-dire de l'Asie en Afrique : je crois, en effet, que telle est leur origine probable.
On rencontre souvent des Bédouins de diverses labiles, quoique de tribus différentes, faisant paître leurs troupeaux ensemble dans le terrain assigné à l'une d'elles : c'est une concession mutuelle, que j'ai précédemment expliquée. Plusieurs de ces tribus sont habituellement en guerre, tout en appartenant, comme Danakiles, à la même nation; les autres se supportent sans trop s'aimer : du reste, dans les questions d'alliance ou de guerre, chaque kabile suit aveuglément Impulsion de son ras. Aucune nation étrangère n'exerce d'ascendant sur les habitants de l'Adel ; la pauvreté de leur pays le met à l'abri de toute convoitise : c'est la meilleure garantie de leur indépendance. lis respectent et craignent le roi de Choa (Sahlé-Sallassi), qu'ils regardent comme très-puissant, et avec les États duquel ils entretiennent des rapports commerciaux.
Dans ces derniers temps, la renommée du vice-roi Égypte, Méhémet-Ali-Pacha, est venue jusqu'à eux.
La plupart ignorent l'existence de l'Europe; ils croient (lUe le monarque le plus puissant du monde est le sultan de Constantinople.
J'ai passé au milieu d'eux peu après l'infortuné Durey (1); ce voyageur et moi nous nous sommes
0) M. Dufey avait traversé l'Abyssinie du nord au sud depuis le Tigré
efforcés de leur donner une haute idée de la France.
Distances entre les stations des caravanes depuis Toujourra jusqu'à l'Éfat-Argouba, fixées d'apès un pas régulier parcourant 5,000 mètres à l'heure.
De Toujourra à Ambàbo. 3 lieues.
D'Ambabo à Socti. 3 — 0.
De Socti à Gabtima. 5 — 0.
De Gabtima à Daffaré. 5 — 124.
De Daffaré à Alexitâne 7 — 0.
D'Alexitâne au Lac. 2 — 0.
Du Lac à Gongonta. 1 — 0.
De Gongonta à Allouli 2 — 0.
D'Allouli à Karabtou. 6 — 0.
De Karabtou à Néhellé 1 — 0.
-' De Néhellé à Seggaddara.
Dé Seggaddara à Marhâ.
2 1/2.
4 0.
1 122. 4 - 0.
De Marhâ à Abaytou. 5 — 0.
D'Abaytou à Abi-jousouf. 3 — 0.
D'Abi-jousouf à Gaubade. 2 — 112.
De Gaubade à Arabe-Doura. 2 — 122D'Arabe-Doura à Sagaguédâne.. 1 — 122.
A reporter. 53 — 314.
jusqu'au royaume de Choa; il était entré en Afrique par Massoua, il en sortit par Toujourra. Il est mort dans la mer Rouge, dans la traversée de Djedda à Kosseyn.
Report. 53 lieues 3/4.
De Sagaguédâne à Davoyeléka. 4 — 0.
De Davoyeléka à Omar-Goulouf.. 3 — 0.
D'Omar-Goulouf à Amadou. 3 — 124.
D'Amadou à Barouddâdâ. 5 — 122.
De Barouddâdâ à Kilalou. 3 — 122.
De Kilalou à Addoéta. 4 D'Addoéta à Hasen-Déra. 3 — 112.
D'Hasen-Déra à Odar-Doura.. 5 0.
D'Odar-Doura à Quodhoté. 4 0.
De Quodhoté à Metta 1 ^7^* De Metta à Coummi. 3 — 0.
De Coummi à Moullou. 7 — 0.
De Moullou à Bordouda. 3 — 122.
De Bordouda à Aroïeta 5 — 0.
D'Aroïeta à Dabita 6 — 0.
De Dabita à Allata ou l'Aouache.. 2 — 122.
De l'Aouache à Ayouka. 5 — 0.
D'Ayouka à Tiannou 6 — 122.
Total. 129 lieues 122.
ROYAUME DE CHOA.
DE TIANNOU A ANGOLOLA.
Paysage de Tiannou. — Tiannou ; ses habitants, ses chaumières. — Mine de houille à 3 lieues de Tiannou. — Route de Tiannou à Aleyou-Amba.— Montagne de Métatite.- Angolola.- Maisons du roi.-Je suis présenté à Salhé-Sallassi.- Ma seconde entrevue avec le roi. - Sa conversation. - Je lui offre mes présents. — Cadeaux qu'il m'envoie. — Je fais préparer l'achèvement d'un moulin à poudre que j'avais donné au roi. — Salhé-Sallassi se dispose à aller lever les tributs dansPouest-nord-ouest de son royaume, et m'invite à l'accompagner aux bords du Nil. — Description des festins royaux. — Observations thermométriques recueillies à Angolola.
CHAPITRE IV.
On comprendra sans peine la joie, mêlée de surprise et d'admiration, que j'éprouvai lorsque tout à coup, au débouché d'un vallon, j'aperçus Tiannou et les premières campagnes de FAbyssinie : je touchais enfin au but. Italiam! Italiam! pouvais-je m'écrier comme les soldats d'Annibal, lorsque, du haut des Alpes, ils découvrirent pour la première fois les plaines opulentes de l'Italie.
Au sommet d'un coteau verdoyant, je voyais les chaumières gracieusement groupées du village élever leurs toits coniques au milieu des touffes d'arbres qui les entourent. Derrière cette colline, dernier mamelon du versant oriental d'une longue chaîne qui coupe l'horizon du sud au nord, se dressent une série de montagnes étagées en gradins, les unes à la suite des autres.
depuis les plus reculées et les plus hautes, dont les cirnes bleuâtres se découpaient nettement encore sur Un ciel chaud et transparent, jusqu'à celles dont les Pentes venaient expirer à mes pieds, je voyais toutes ces montagnes couvertes d'une verdure vigoureuse, dont les belles teintes étaient dorées par le soleil, qui,
descendant à l'ouest, faisait glisser obliquement ses rayons sur les flancs des coteaux. En même temps qu'à la structure originale du terrain et à la pompeuse richesse de la végétation je reconnaissais en ces lieux une nature féconde et pittoresque, l'étendue et la symétrie des cultures m'annonçaient que l'intelligence et le travail de l'homme avaient su mettre ses dons à profit.
Ce tableau splendide, déroulé soudainement à mes yeux, me semblait récompenser mes efforts : j'oubliais de bon cœur les fatigues et les ennuis de ma lente traversée de 130 lieues au milieu d'un désert qui n'offre aucune trace de civilisation humaine ou de richesse naturelle.
On m'aperçut du village, dès que j'entrai dans la vallée de Tiannou. Le gouverneur du canton ne s'y trouvait pas en ce moment, mais son lieutenant vint au-devant de moi et m'amena une mule; je le rencontrai au pied de la colline. Il me conduisit dans une maison du gouverneur, qu il m'assigna pour logement; malgré l'absence du propriétaire, il m'en fit les honneurs avec une généreuse hospitalité. Il songea tout de suite à mon repas, lit tuer un bœuf et me fit donner de très-bon pain, de l'hydromel excellent et du miel qui avait un parfum exquis. Toutes ces provisions me furent apportées en si grande quantité, qu'elles suffirent non-seulement à mes besoins, mais encore à ceux
des gens de ma caravane. On m'avertit que le gouverneur ne reviendrait que dans trois ou quatre jours, et qu'il fallait que je l'attendisse; car c'était lui, l'usage le voulait ainsi, qui devait m'accompagner auprès du roi.
Tiannou, hameau d'environ 150 chaumières, peut avoir de 5 à 600 habitants : sa population est de race amharra ou abyssinienne proprement dite ; elle est mêlée de musulmans et de chrétiens, qui, malgré la différence de leurs cultes, vivent ensemble en bonne intelligence. Une grande tolérance religieuse règne également dans tous les États du roi de Choa, où l'on compte, réunis sous la même loi politique, des idolâtres, des sectateurs de Mahomet et des chrétiens. Les habitants de Tiannou sont adonnés à l'agriculture : j'eus à me louer de la douceur de leurs mœurs ; ils venaient tous, hommes et femmes, me visiter avec empressement, attirés par la singularité de ma couleur, qui excitait leur étonnement. Quelque bienveillante et naïve que fû t leur curiosité, elle ne laissait pas fort souvent que d'être gênante ou ridicule : je me gardai bien, néanmoins, de la contrarier. Je les laissais, avec le plus grand flegme, s'approcher de moi, m'envelopper, me presser; je conservais imperturbablement mon sérieux et je subissais avec complaisance les puériles conséquences de leur surprise, lorsqu'ils examinaient
d'un œil ébahi les diverses parties de mon visage, ou qu'ils palpaient avec étonnement mes vêtements européens, dont la forme et la couleur paraissaient leur plaire beaucoup. Les boutons dorés de mon habit leur faisaient surtout envie : je fus obligé d'en arracher trois, que je donnai aux femmes du gouverneur, auprès desquelles ils eurent le succès d'un cadeau très-précieux.
Je visitai, moi aussi, dans un intérêt de curiosité, quelques-unes de leurs habitations. Les chaumières de Tiannou, comme toutes celles de l'Abyssinie, sont construites en palissades de bois parfaitement jointes, et crépies à l'intérieur à l'aide d'un mélange de terre argileuse et de sable blanchâtre, dont l'effet est assez agréable à l'œil; elles sont cylindriques; la toiture qui les surmonte est en chaume et se termine en cône.
Leur hauteur surpasse à peine celle du premier étage de nos maisons ordinaires, mais elles sont spacieuses : la plupart ont de 15 à 20 mètres de circonférence; elles n'ont point de fenêtres; elles reçoivent le jour par la porte d'entrée, qui s'élève jusqu'à la toiture et se ferme par une traverse en bois. Au delà du seuil, on entre dans une galerie circulaire qui fait le tour de la maison. Le corps de logis est divisé en petits compartiments, qui ont leurs portes sur le corridor et servent de chambres ou de lieux de décharge aux habitants de
la maison. C'est près de la porte d'entrée que le cheval ou la mule a sa litière; au centre se trouve la pièce la plus importante, espèce de rotonde dont le sol est en terre battue et qui remplit le triple office de salle de réception, de salle à manger et de cuisine.
L'ameublement de ces habitations est de la plus grande simplicité : le pliant en courroies de cuir, nommé sérir, sur lequel on se couche et qui sert également de siège, en est le principal élément; il y a deux ou trois sérirs dans la salle de réception. On place sur les pliants des peaux de bœuf bien tannées, en guise de matelas : les armures suspendues aux murailles, des vases en terre cuite, de forme antique et élégante, qui contiennent des aliments, des paniers en osier finement tressés, et divers ustensiles dont j'aurai occasion d'expliquer l'usage dans la suite, complètent à peu près ce mobilier. Quoique aussi peu décorées, les maiSons abyssiniennes sont loin d'offrir la triste apparence de la pauvreté; au contraire, on y voit régner l'ordre et la propreté, signes de l'aisance : elles sont entourées de petits jardins clos de haies , ombragés de bananiers et de mimosas, et tapissés de gazon; comme elles sont presque toujours placées sur les hauteurs, on y respire un air pur, et, de leurs jardins, la vue embrasse les plus beaux paysages du monde. Si le luxe et la civilisation n'ont pas contribué à parer ces de-
meures, le ciel, le climat, la nature ont bien sulli à en faire des séjours délicieux.
J'employai le temps qu'il me fallait attendre le gouverneur à visiter les environs; je ne pouvais me lasser de contempler les sites admirables qu'ils présentent. Mes excursions eurent cependant un résultat plus positif : le 4er octobre, à 3 lieues nord-nord-ouest de Tiannou, je découvris une mine de houille sèche, vierge encore de toute exploitation. Elle forme des couches de 5, 7 et même 12 pieds d'épaisseur, renfermées dans une argile bitumineuse; elle est alliée au fer pyriteux; sa longueur apparente est de 87 mètres; son exploitation serait très-facile, et tout porte à croire qu'elle donnerait de très-riches produits. J'emportai avec moi quelques échantillons, que je me proposais de montrer au roi : j'étais charmé de cette bonne fortune, qui me donnait le moyen de me présenter à ce prince sous de favorables auspices, en lui faisant connaître un trésor ignoré renfermé dans ses États.
Lorsque je revins à Tiannou f je trouvai le gouverneur arrivé ; il se nomme Mahamet-Abougaze; il me lit mille politesses , me pria de l'excuser s'il n'était pas revenu plus tôt, me dit que des motifs indépendants de sa volonté l'avaient retenu aussi longtemps, et ajouta, en terminant, qu'il m'avait fait préparer une bonne mule, et que, lorsque je voudrais aller auprès du roi;
il était à ma disposition pour m accompagner. Je lui répondis, en le remerciant de sa courtoisie, que son heure était la mienne ; il fixa notre départ au lendemain matin.
En effet , le 2 octobre , à huit heures du matin , nous quittâmes Tiannou. Le terme de notre voyage était Angolola, nouvelle ville que le roi a fait construire et qui partage avec Angobar l'honneur de sa résidence.
Nous étions montés sur d'excellentes mules , qui ne connaissent d'autre allure que le galop et se dirigent avec une adresse merveilleuse à travers les sentiers tortueux et rocailleux qui sillonnent les revers des montagnes ; il faut toute l'intelligence de ces animaux et l'habitude qu'ils ont des routes escarpées pour côtoyer sans accident, comme nous le fi mes, les affreux précipices que l'on y rencontre fréquemment. Nous passâmes toute la journée à gravir et à descendre des collines qui deviennent toujours plus hautes à mesure que l'on avance. Ces montagnes sont, en général, formées de trachytes, de basaltes, de granits-gneiss et de siénites porphyriques, alternant souvent ensemble.
Un grand nombre de sources y répandent leurs eaux vives ; elles forment de petits ruisseaux qui vont s'écouler, en serpentant, au fond des vallées. Tout le terrain susceptible de culture est d'une fertilité extraordinaire; à cette époque, il était couvert de blé, dethèfle
(petite graine assez semblable, pour la forme, la couleur et la grosseur, à la graine de pavot, dont on fait un pain très-mucilagineux, un peu aigrelet, mais du reste assez bon), d'orge, de dourah, de petits pois, de fèves, de lin , de coton et de cannes à sucre d'une grandeur et d'une grosseur remarquables. Les teintes diverses de ces-plantations offraient à la vue un tapis varié des plus belles nuances sur le fond duquel se détachaient gracieusement des bosquets de mimosas ; au bord des sentiers, les haies touffues étaient parsemées de jasmins, de roses et de fleurs particulières au pays dont les riantes couleurs égayaient la route et qui la.
remplissaient de doux parfums. L'arbre qui me flatta le plus parmi ces diverses plantes fut le Kolqâl, qui ressemble à un cône renversé. Les branches de cette
plante grasse portent des fruits rouges et jaunes, réunis en grappes semblables à celles des dattiers. Des myriades d'oiseaux magnifiques, sans cesse en amour au milieu de ce printemps éternel, remplissaient les airs de leurs chants.
Nous nous arrêtâmes, à six heures du,soir, dans une petite ville nçmmée Aleyou-Amba ; c'est un chef-lieu de canton. Son gouverneur vint me recevoir; il me donna pour passer la nuit une maison spacieuse, destinée au logement .des voyageurs de distinction, et pourvut libéralement à ma table en m'envovant du
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  C"¡I,u,
    
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        r6re avec l'écorce du quel les Abyssins tannent les peauto danimoiuv iLcdiemt une hauteur de Z$à 3o pieds.
pain , de l'hydromel et du miel. Je partis de cette ville le 3, à cinq heures du matin ; je continuai à gravir et à descendre les montagnes. A deux lieues au sud Aleyou-Amba, j'observai sur ma route une lave tuberculeuse scorifiée qui a été formée sur le lieu même; à huit heures un quart je passai dans la partie basse de la ville d'Angobar sans m'y arrêter ; j'arrivai à neuf heures à une montagne appelée Métatite , au pied de laquelle coule XErarra y ruisseau qui a sa source dans une montagne voisine , à deux lieues au nord , prend son cours de l'est-nord-est à l'est-sudest, et, après un long circuit, va rejoindre la rivière d' Haoudeh. A une heure après midi, je parvins, non sans de grandes difficultés, au sommet de la montagne ; l'air y était si rare et si léger que j'eus peine à le supporter et que plusieurs fois je fus obligé de me reposer pour prendre haleine. Cette montagne est la plus haute des environs; du sommet, la vue embrasse au loin une étendue de 40 à 50 lieues, dans laquelle On distingue les montagnes habitées par les Modeïtos, celle des Gallns-Itou, une partie de la plaine de Moullou et des mamelons, des coteaux, des montagnes dont les rampes s'abaissent depuis Angobar jusqu'à l'Aouache. Ce point de vue, par son immensité, par ta multiplicité, la richesse et la disposition magnifique des détails qu'il renferme , est comparable aux plus
beaux sites de la Suisse. Je vis pour la première fois , sur le Métatite, le coussotier, brajerci anthelmintica (Kunth), qui offrait, à cette époque, un spectacle merveilleux. Hauts et vastes comme des chênes , ces arbres produisent des grappes de fleurs longues de deux à quatre pieds, semblables à celles de nos platanes dont le cône serait renversé; ces grappes , de diverses couleurs , vertes , rouges pourprées et jaunes fauves , se mêlaient et foisonnaient sur les mêmes branches et pendaient par centaines aux ra-
meaux d'un seul arbre. Leurs fleurs ont double corolle, une grande et une petite; la grande est d'un blanc jaunâtre , la petite est d'un rouge pourpré; il y a deux pistils et dix étamines jaunes. Le coussotier appartient à la famille des rosacées.
Nous rencontrâmes, à cinq heures du soir, un courrier qui venait au-devant de moi de la part du roi. Il me dit que le roi l'envoyait pour me prier de faire mon possible afin d'arriver auprès de lui le soir même, et m'offrit son cheval pour aller plus vite. Je lui répon- dis qu'il pouvait retourner et assurer le roi que j'avais trop le désir de déposer à ses pieds mes hommages pour que je voulusse reculer par ma faute cet heureux moment. Il repartit au galop rendre compte de sa mission. Le gouverneur et moi nous hâtâmes le pas de nos mules; après avoir traversé des champs de blé et
des prairies coupées en sens divers par de petits ruisseaux , nous arrivâmes à sept heures du soir à Angolola. La demeure du roi se compose de plusieurs maisons bâties sur le sommet d'une butte , qui ne se distinguent des habitations des simples particuliers que par leur grandeur. Trois vastes cours , fermées par de hautes palissades , leur servent d'avenue; lorsque j'y arrivai, ces cours étaient remplies de soldats , de gouverneurs et d'ofliciers de toutes sortes, que le roi avait sans doute réunis pour leur procurer le spectacle de ftion entrevue avec lui. Je traversai cette foule pressée, en provoquant au milieu d'elle de nombreuses marques de curiosité et d'étonnement. Parvenu à la fin de la troisième cour, on me fit arrêter et on alla annoncer nia présence au roi. Un de ses principaux olliciers sortit bientôt pour m'introduire; il me conduisit dans Un grand bâtiment à peu près circulaire , ne contenant qu'une seule salle, au milieu de laquelle , à droite de l'entrée , le prince était assis sur son trône, entouré d'environ trois cents personnes dont deux cents au nioins tenaient à la main des flambeaux énormes qui inondaient l'enceinte de torrents de lumière : j'en fus éhloui. L'assemblée témoignait, par son silence et son recueillement, le respect que lui inspirait la majesté royale ; elle se tenait à une certaine distance du prince et forma la haie pour me laisser arriver jusqu'à lui.
Le roi se leva à mon approche ; il méprit les deux mains, qu'il pressa affectueusement dans les siennes. La bienveillance de ses manières me prévint tout de suite en sa faveur. Sahlé-Sallassi (tel est le nom du prince) est âgé de 45 ans; sa taille est assez belle; il est bien fait; la douceur de son caractère est peinte sur sa physionomie, dont les traits sont d'une régularité irréprochable : il est fâcheux seulement qu'une ophthalmie incurable l'ait privé de l'œil gauche, qui est presque toujours rouge; une épaisse chevelure noire, frisée avec soin, et dont les mille boucles sont roulées sur elles-mêmes, se relève autour de sa tète nue. Il était drapé à la romaine dans une ample étoffe de coton d'une éclatante blancheur, bordée de bandes rouges; ce costume antique était noblement soutenu par la dignité de son maintien. Il s'informa d'abord , avec la plus grande affabilité, de l'état de ma santé et me demanda s'il ne m'était point arrivé d'accident durant mon voyage ; puis il m'interrogea sur mon pays. « La nation française, me dit-il, est une de celles que j'aime et que j'honore le plus. » Sa conversation, empreinte d'une douce bonhomie, ne cessa de révéler un homme de sens et d'intelligence ; ses questions roulèrent sur le roi des Français , sur la force et l'organisation de son gouvernement, sur ses armées et ses ressources ; il était étonné que la France pût subvenir à tant de besoins et dé-
ployer un si grand appareil de forces, il était avide surtout de renseignements sur l'état des arts mécaniques chez nous. La puissance de notre industrie est le genre de supériorité qu'il nous envie le plus. Enfin" après une heure de conversation où, avec toute la fougue d'une curiosité impatiente, il avait effleuré une multitude de sujets, Sahlé-Sallassi, me voyant accablé de lassitude, me permit de me retirer. « On va t'accompagner, me dit-il, dans le logement que je te destine; je t'ai fait préparer un bon lit et un bon repas ; » et me serrant de nouveau les mains , il me congédia en me souhaitant bonne nuit.
Huit personnes me devançant avec des flambeaux allumés me conduisirent dans une maison spacieuse, semblable, pour la forme, à celle où j'avais vu le roi, et composée, comme elle , d'une seule salle ; le sol en était couvert d'une couche d'herbe fraîchement fauchée , tapis peu coûteux , agréable à la vue et doux à fouler ; un grand nombre de boucliers en, cuir d'hip- popotame , d'un pied et demi de rayon et garnis en argent, pendaient aux murs dont ils étaient la décoration exclusive ; au milieu , sur une grande table en osier élevée de deux pieds au-dessus de terre , étaient rangés cinq plats de viandes diversement apprêtées, deux vases reQiplis d'un miel excellent, une corbeille de bananes exhalant un parfum délicieux, deux pots d'hydromel,
un panier de pain complétaient le menu de mon souper. Je ne fis que toucher-aux ragoûts et aux nôtis de viande, qui, les uns et les. autres, étaient horriblement pimentés et me-brûlèrent le palais ; je prisona revanche sur le miel et les bananes. 1 Non loin de la table, un grand feu était allumé sur un bçasier en fer. Il n'y a pas de cheminées dans les maisons abyssiniennes ; un foyer eq fer battu, carrélong de trois pieds sur deux et demi de large et relevé aux bords, que l'on place sur un trépied mobile également en fer, y sert à la fois aux besoins de la cuisine et au chauffage, On allume le feu en, plein air ; lorsque les tisons sont embrasés, on le transporte dans l'appartement.
Les huit personnes que le roi. m'avait données pouc compagnie étaient rangées autour de la table, debout, leurs torches à la main. Ces torches sont de grandes toiles de coton. imprégnées de cire, reployées sur elles-mêmes de manière à former un, rouleau -de l'épaisseur du bras à peu près. On devine, les gerbes de plarté que répandent ces flambeaux monstres ; leurs feux faisaient miroiter sur les boucliers le poli reluisant des ornements d'argent; toute la salle était étincelante de lumière. J'avoue que, placé entre une bonne table et un bop lit, savourant cette volupté indicible que procure le repos au bout de longues fatigues , les
yeux éblouis, l'imagination exaltée, la tète pleine de rêves , de projets , d'ardentes pensées que les choses nouvelles, inattendues , inespérées que je voyais dans ce pays faisaient bouillonner en moi , j'éprouvai un de ces rares sentiments de béatitude qui rachètent bien des peines , bien des travaux, bien des dangers vaincus, et couvrent d'un voile doré les obstacles que l'avenir nous tient encore en réserve.
Habitué depuis plus de deux mois au bivouac du désert , aux lits de rochers , au sommeil troublé par les Animaux féroces, je trouvai excellente la couche que l'on m'avait préparée sur un sérir , en y étendant de Moelleuses étoffes de coton. Le lendemain , dès six heures du matin, le roi m'envoya prévenir qu'il désirait me parler. Je me rendis aussitôt auprès de lui ; il se trouvait dans la même salle que la veille, également remplie de monde. Son trône, dont je pus examiner à loisir l'ensemble et les détails, ressemblait assez à un autel ; il était formé de sérirs de diverses hauteurs, disposés en gradins. Un dossier de bois s'arrondissant en dôme formait une espèce de baldaquin SOIIS lequel le roi était assis ; une pièce d'étoffe de satin ronge, traversée par des bandes jaunes , recouvrait la Partie inférieure du trône ; une riche tenture de soie bleue brochée d'or était étendue sur le baldaquin, au(11Iel étaient fixés aussi des boucliers garnis d'argent.
Le roi m'entretint an milieu de la foule qui affluait autour de lui. Il me demanda si je n'avais point rencontré M. Dufey ; je lui donnai de ce voyageur les nouvelles qui m'étaient parvenues indirectement. A mon passage à Hodeïda, j'avais entendu dire qu'il était à Holeïa , atteint d'une fièvre cérébrale qui le menaçait du tombeau. Sahlé-Sallassi et les principaux personnages qui étaient présents furent très-affectés de la mort de M. Dufey : il les avait quittés depuis quelques mois seulement , après avoir trouvé parmi eux l'hospitalité la plus cordiale. Lorsqu'il partit, le roi lui fit présent de 100 talari effectifs et d'un anneau d'or qui en valait 200. Mais ce qui est plus remarquable encore que le cadeau , c'est le conseil dont il l'accompagna ; il donnera une idée de la prudence de Sahlé-Sallassi et de son affectueuse sollicitude pour les intérêts de ses hôtes européens.
« Tu vas traverser, lui dit-il, un pays de voleurs où tu seras peut - être dévalisé; pour sauver ton anneau d'or, attache-le à la jambe, feins d'avoir une plaie à l'endroit où tu le placeras et recouvre -le d'une bande imprégnée de miel; tu peux être certain que les voleurs n'y toucheront pas. » En effet, les Adels, considérant tous les maux comme contagieux, se gardent bien d'approcher leur main d'une plaie. M. Dutey suivit ce conseil; je sais qu'il arriva à
Moka avec sa plaie d'or, que le gouverneur de cette ville n'a pas appréhendé de lui acheter et de lui payer en beaux talari au soleil.
Sahlé-Sallassi parut vivement étonné que j'osasse voyager tout seul. Il reprit la conversation qu'il avait entamée la veille et me renouvela les questions auxquelles je n'avais pu répondre avec détail. Il s'intéressait beaucoup à l'énumération que je lui faisais des forces de la France, de ses ressources en hommes et en argent. Je lui expliquai sommairement la manière dont nous fabriquons nos canons, nos fusils, nos sabres; comment nos troupes sont organisées et armées; l'ordre de bataille qu'elles suivent et les manœuvres qu'elles opèrent en combattant. Il m'interrogeait aussi sur les procédés que nous employons pour tisser les étoffes de nos vêtements; sur nos usages et sur nos Moeurs. Ses questions étaient toujours celles d'un homme pratique, qui va droit au positif des choses; et quoique souvent il m'écoutât avec surprise et adIniration, par exemple lorsque je lui parlais de la prodigieuse puissance de nos machines à vapeur, jamais cependant je ne le trouvai incrédule. Il ne meparta point dereligion, retenu peut-être parce sentimentde tolérance qui distingue les Abyssins dans les affaires religieuses; il vit bien cependant au cordon de soie bleue passé autour de mon cou, qui est le symbole du christianisme
dans ces contrées , que j'étais chrétien. Quand il m'interrogea sur l'autorité de notre roi, je tâchai de lui faire comprendre le mécanisme du gouvernement constitutionnel; il parut surpris de l'influence de nos assemblées parlementaires. Il avait peine à concevoir qu'un monarque placé à la tète d'un pouvoir exécutif aussi fort que le nôtre n'eût pas la plus grande part dans la décision des affaires. Du reste, il ne se montrait point choqué de notre système de libre discussion, comme pourrait l'être un despote barbare; il lui opposait des critiques dont la justesse est admise chez nous. Ainsi il disait que nos institutions sont vicieuses, parce qu'il est des cas où les déterminations du gouvernement doivent être prises en secret, et conduites avec tant de célérité que leur but serait infailliblement manqué, si la délibération publique, après l'avoir mis à découvert, venait paralyser l'action en la ralentissant.
Après un entretien de trois heures, le roi témoigna le désir de voir les objets que j'avais apportés. Ils étaient contenus dans deux caisses ; il les envoya chercher et j'en fis l'ouverture en sa présence : l'une renfermait un moulin à poudre à quatre pilons en bronze ainsi que tous les accessoires nécessaires pour fabriquer un demi-quintal de poudre par jour; j'avais, dans la seconde, trois fusils doubles, dont deux en damas
fin frisé, d'un travail achevé, six pistolets, deux sabres, lui éiui de mathématiques, des instruments de chimie, de physique, de minéralogie et quelques effets servant à mon usage. A la vue des fusils, de l'un des damas surtout, le roi ne dissimula pas son admiration pour Une aussi belle arme. Je crus opportun de le lui offrir ainsi que les pistolets et un sabre; je le priai de vouloir bien accepter ces objets, non à titre de cadeaux, niais comme un souvenir de la France, où ils avaient été fabriqués. Il fut touché de ce procédé, et répondant avec courtoisie à ma politesse : « Oui, me dit-il, je les accepte avec un double plaisir, d'abord parce qu'ils viennent de toi, puis parce que je vais les montrer à mes sujets et leur faire voir par là combien ta nation leur est supérieure. »
Il était midi environ lorsque je me retirai; un déjeuner assez bien servi m'attendait chez moi. Pendant tout le reste de la journée, les visiteurs ne cessèrent de remplir ma maison; les principaux officiers du roi venaient satisfaire , auprès de moi, leur curiosité empressée. iMa conversation avec eux roulait toujours Sur les mêmes sujets; les mêmes questions m'accablaient sans relâche : le soir j'étais tout étourdi, et mon interprète était si fatigué qu'il ne pouvait plus prononcer une parole.
Le lendemain, le roi me fit encore appeler dès le
matin ; j'allai le joindre dans l'une de ses maisons particulières, situées au nord d'Angolola, au milieu d'un verger. Il était avec un des premiers personnages du pays, spécialement chargé du soin des étrangers, que l'on nomme arta (1) Sartevolte. Il y avait, dans la salle où il se trouvait, deux de ses chevaux favoris.
Sahlé-Sallassi est fou de chevaux ; il les estime en parfait connaisseur. Au moment où j'entrai, il caressait de la main ses beaux coursiers, auprès d'un grand foyer allumé, dont la chaleur n'était pas à dédaigner, car la température était fraîche à cette heure du jour.
Le roi me reçut avec la même bonté que les jours précédents: lorsqu'il m'eut adressé les questions de politesse que son affabilité lui inspire ordinairement, il me dit que, puisque je lui avais apporté une machine à faire de la poudre, je savais, sans doute, la confectionner; je lui répondis que j'étais à même de lui en fabriquer d'aussi bonne que celle que l'on produit en France ; que c'était en effet pour ce motif que je lui avais apporté le moulin qui était sous ses yeux; mais je lui fis observer qu'il n'était point complet, qu'il lui manquait-la charpente et l'auge destinée à recevoir les matières soumises à la trituration, mais qu'avec l'aide de ses ouvriers je me chargeais de rétablir ces pie"
(l) Ayta signifie seigneur.
ces; il m'interrogea ensuite jusqu'aux plus petits détails , sur l'emploi de chacun des instruments l'enfermés dans mon étui de mathématiques ; je lui donnai toutes les explications qu'il désirait. Alors, avec un accent de bonté qui peint son caractère : « Ah! Rochet, me dit-il, je vois que tu appartiens à une nation bien éclairée ; tu connais sans doute l'art de guérir les maladies. » Je lui fis comprendre que je n'avais fait de cette science aucune étude spéciale; que j'avais néanmoins avec moi quelques remèdes qui, dans certains cas, produisaient de bons effets (plus tard, j'eus le bonheur de lui en prouver l'efficacité sur sa personne). Il fit appeler un de ses gardes nommé Berrou, et, en ma présence, lui enjoignit de m'accompagner pour me faire donner sur-le-champ tout ce que je demanderais.
Je me retirai, et lorsque je rentrai chez moi, je vis devant ma porte trois chevaux et une mule sellés et bridés ; ils étaient accompagnés de quatre hommes. Le grand écuyer, nommé Ayta-Molcou, vint me dire, de la part du roi, que tout cela m'appartenait et que les hommes resteraient à mon service. Les selles des Abyssiniens sont bien confectionnées, elles ressemblent à nos selles à la hussarde; ils se servent de mors à la lurque, qu'ils ne retiennent point par des rênes flottontes comme les nôtres; ils n'ont qu'une bride tressée
en cuir qu'il suffit de tenir du bout des doigts, car leurs chevaux ont la bouche très-tendre.
Le 6, au matin , je me rendis auprès du roi pour le remercier du cadeau qu'il m'avait envoyé la veille; je le trouvai entouré de ses officiers et d'un grand nombre de personnes auxquelles il donnait audience.
Je reconnaissais les grands fonctionnaires aux ornements d'argent qui brillaient sur le fourreau de leurs sabres ; sauf quelques marques semblables qui indiquent les rangs, les Abyssins portent le même costume que les Adels , seulement ils ont de pluswbelles étoffes, et, au lieu du couteau-poignard , un sabre, recourbé en demi-cercle, est attaché à droite de leur ceinture. A peine le roi m'aperçut-il qu'il m'appela et me fit signe de m'asseoir auprès de lui ; je m'y refusai, en lui témoignant combien j'étais sensible à une pareille marque de distinction. Il me demanda si j'avais essayé les chevaux et s'ils étaient de mon goût; je lui répondis que j'en étais satisfait au plus haut degré; que l'on ne saurait en trouver de plus beaux , et que je comptais en monter un , le jour même , pour aller à la recherche d'un arbre nécessaire à l'achèvement du moulin. Il fut très-content de me voir dans cette disposition , et me pria de lui montrer le plus tôt possible de la poudre faite par moi.
Pressé de remplir l'objet de ses désirs , je retournai
aussitôt chez moi , je fis seller mes chevaux et envoyai chercher un maître charpentier avec une demi-douzaine de ses ouvriers ; en les attendant, je préparai moimême mon déjeuner. Le charpentier et ses hommes arrivèrent bientôt, montés sur des mules et munis de haches. Je sautai à cheval, et, suivi de cette petite troupe à laquelle j'avais joint trois de mes domestiques , je me dirigeai sur un bosquet d'arbres de haute futaie , situé à une demi-lieue au sud d'Angolo- , la ; j'y choisis un gros arbre de bois de fer , suffisant pour achever la construction du moulin. En un instant il fut abattu ; je donnai les dimensions suivant lesquelles on devait le tailler et le façonner , et tandis que mes gens étaient occupés de ces diverses opérations , j'allai visiter les environs.
Angolola est une ville nouvelle que Sahlé-Sallassi a fondée récemment; elle a à peu près de trois à quatre mille habitants, de race amharra; ses chaumières sont éparses sur deux petites hauteurs. Ces buttes sont entourées de plaines magnifiques, coupées en sens divers par de petits coteaux ; de nombreux ruisseaux les arrosent et entretiennent une verdure éternelle dans leurs belles prairies ; sur la surface de ces capricieux durants d'eau , le naturaliste pourrait remarquer un nombre infini d'oiseaux aquatiques qui les parcourent tranquillement et y vivent comme dans leur domaine ,
en paix avec les hommes ; il reconnaîtrait parmi ces métis de l'eau et de l'air , le tantalus ibis , le facinellus ihis, l'ibis sacré des anciens Égyptiens , des oies et des canards de variétés différentes, A quatre heures du soir, je fus de retour. Le roi me fit appeler pour me dire que le frère de Ras-Ali, roi de Gondar, était arrivé près de lui , chargé de lui annoncer, de la part du roi son frère, qu'il était dans l'intention de se faire musulman. 'H-
Ras-Ali est un jeune homme de 25 à 30 ans. Le royaume à la tête duquel il est placé est un des principaux États de l'Abyssinie. Ce prince est d'un caractère peu ferme; il témoigne beaucoup de déférence au roi de Choa. Sahlé-Sallassi me demanda ce que je pensais de l'apostasie que méditait son voisin , et s'il était jamais arrivé en Europe qu'un roi chrétien eut embrassé l'islamisme. Je lui répondis que non-seulement il n'y avait point parmi nous d'exemple de cette nature, mais que jamais un musulman ne serait admis à la tète des nations chrétiennes de l'Europe. Le roi de Choa fit répondre à Ras-Ali qu'après avoir vécu jusque-là dans la pratique de la religion chrétienne , il se manquerait à lui-même en changeant de croyance et
perdrait toute considération en Abvssinie.
Dans la journée du 8, je vis avec le plus grand plaisir deux Européens, MM. Isenberg et Graphfe »
missionnaires méthodistes que j'avais connus au Kaire et qui étaient arrivés dans le Choa quelques jours avant moi. Mais M. Graphfe seul devait demeurer dans le pays. M. Isenberg l'avait accompagné pourl'installer; il allait s'en retourner, et j'assistai à l'audience de congé que le roi lui donna. Ce missionnaire eut à se louer de la politesse et de la générosité du prince. Sahlé-Sallassi lui fit remettre 50 talari effectifs ( 250 fr. ), une grosse dent d'éléphant et une mule harnachée. Le domestique allemand de M. Isenberg ne fut pas oublié; il reçut 10 tal. et une mule sellée et bridée. En retour de ces cadeaux, le roi ne demanda à M. Isenberg que sa bénédiction, qu'il reçut pieusement.
Quant à M. Graphfe , il choisit Angobar pour lieu de résidence. La langue du pays lui est parfaitement connue; il la parle et récrit avec une grande correction. Quoique le prosélytisme religieux soit le seul but 1 apparent de son séjour dans le Choa, je ne l'ai vu obtenir aucun succès de ce genre : il est vrai qu'il ne se fait pas ouvertement l'apôtre de sa croyance ; il couvre ses desseins en se livrant à l'instruction des enfants; le nombre de ceux qui sont confiés à ses soins est très-petit. Il ménage les prêtres, et, pour s'insinuer dans leurs bonnes grâces, il suit scrupuleusement les pratiques de leur culte ; cependant le roi le voit avec onlbrage, quoiqu il ignore qu'il n'appartient point en
réalité à la même communion chrétienne que lui j'en eus plusieurs fois la preuve dans la suite.
Tandis que l'on était occupé à charpenter, d'après mes prescriptions , l'arbre que l'on avait coupé , je fis construire un hangar propre à recevoir les objets nécessaires à la fabrication de la poudre. Les matières premières qui concourent à sa préparation abondent dans le royaume de Choa. Le terrain y est nitreux et plusieurs endroits contiennent du nitre en très-prande quantité ; les naturels du pays savent très-bien le recueillir , et s'ils donnaient à leurs rapports commerciaux avec les autres nations un développement important , ils pourraient en faire un de leurs principaux produits. Ils ont aussi du soufre superhe; les artificiers arabes leur ont enseigné à fabriquer avec ces matériaux une poudre grossière. J'avais pris toutes mes dispositions pour être en état de montrer de la mienne au roi, dans dix à douze jours, mais une circonstance s'y opposa. Le 10, le roi me fit appeler et me demanda si je voulais bien l'accompagner dans une tournée qu'il allait faire dans une partie de son royaume. Charmé de cette invitation, qui me donnait le moyen d'explorer le pays avec le plus de commodité et d'avantages possible - je lui répondis que non-seulement j'acceptais avec joie l'honneur qu'il me faisait en me proposant de le suivre , mais que je le priais de m'ac-
corder aussi cette faveur toutes les fois qu'il irait en campagne. Il fit donc publier dans les provinces environnantes le jour et l'heure du départ, ainsi que le lieu où l'on se réunirait pour se mettre en marche ; ceux de ses sujets qui avaient terminé leurs travaux agricoles étaient invités à l'accompagner. On prépara aussitôt , dans les maisons du roi , des vivres pour les officiers d'un corps d'armée de vingt mille hommes. Le jour du départ était fixé au 23 ; dès le 20 , des escadrons de cavaliers arrivaient de tous côtés et allaient camper dans une vaste plaine à l'est d'Angolola. Le matin et le soir, Sahlé-Sallassi administrait patriarcalement la justice à ceux qui venaient la réclamer. Dans ce pays, en effet, le roi est le juge suprême et sans appel ; les gouverneurs de districts et de provinces examinent les affaires portées devant eux ; mais on peut appeler de leurs décisions à celles d'une cour de justice spéciale, composée de dix-sept à vingt et un membres; enfin, si l'on n'est pas satisfait des arrêts de cette juridiction , on les soumet, en dernier ressort, au contrôle royal.
Pendant que son armée se réunissait, Sahlé-Sallassi faisait, tous les jours , une promenade à cheval, depuis onze heures du matin jusqu'à une heure après midi: une suite nombreuse, dont je faisais partie, l'accompagnait dans ces courses; puis la journée se termi-
nait par des festins, auxquels je fus constamment invité. Le roi avait la bonté de me faire préparer à part les mets à mon usage, car il m'était impossible de toucher à ceux des Abyssins, tellement saupoudrés de piment rouge, qu'ils sont absolument intolérables pour un gosier européen. La magnificence de Sahlé-Sallassi brillait dans ces festins qui rappellent ceux d'Homère. Le repas était servi sur deux grandes tables en osier, élevées de deux pieds au-dessus du sol ; elles étaient placées au milieu d'une vaste salle, jointes ensemble de manière à former une croix, moins la branche du sommet. Sur ces tables figuraient sept à huit vases énormes, remplis de viandes diversement apprêtées ; de grands tas de larges galettes faites les unes avec la farine de blé, les autres avec celle de thèfle, s'élevaient en piles entre les mets; parmi les vases, les uns contenaient de petits morceaux de bœuf, entourés d'une sauce épaisse, préparée avec du piment réduit en farine; d'autres, des gigots de mouton dont les chairs, détachées par petites bandes retenues à l'os, ressemblaient à un martinet de quinze à vingt branches; ces gigots étaient enduits également d'une couche épaisse de piment. Toutes ces viandes étaient peu cuites, souvent même on les remplaçait par de grands quartiers de bœuf dont les chairs, encore palpitantes, étaient distribuées aux convives. Les Abyssins mangent avec dé-
lices cette viande crue ou brondo, en la trempant dans du piment. Pour ne point leur paraître ridicule, je goûtai à cette chair saignante ; il me fut impossible d'aller au delà de quelques bouchées.
Les Abyssins ne prennent jamais de l'eau pure ou mélangée dans leurs repas; ils ne connaissent d'autre boisson que l'hydromel : cette liqueur est excellente, elle est pétillante et rappelle le Champagne. A la table royale, on le versait, aux personnes de distinction, dans de petits bocaux en verre nommés Lirillés, et aux personnes d'un rang inférieur, dans des gobelets en corne, semblables à ceux de nos escamoteurs.
Les convives étaient accroupis, autour de la table, sur le sol tapissé d'herbe fraîche, les jambes croisées à la manière des Turcs. Les mets étaient apportés dans a salle par des femmes esclaves du roi, mais ils étaient servis par des hommes; chacun plaçait sa portion sur Un gâteau de pain, la divisait avec un petit couteau, prenait les morceaux entre ses doigts et les trempait dans la sauce pimentée avant de les porter à la bouche.
Quant au roi, sa dignité ne lui permet pas de manger en public; assis sur son trône, entouré de quelques officiers, il ne participait que des yeux aux galas qu'il donnait et causait affablement avec les personnes de l'assemblée; son bouffon égayait l'auditoire par ses saillies ou ses improvisations poétiques. Des musiciens
qui sonnaient de la trompette, d'autres qui jouaient du chalumeau, des chanteurs et des chanteuses qui exécutaient alternativement de monotones cantilènes, faisaient un tapage infernal lorsque leur tour venait de jouer leur rôle dans la fête. Représentez-vous cette nombreuse réunion d'hommes, satisfaisant bruyamment aux exigences de leur appétit formidable, animés par le concert bizarre des chanteurs et des musiciens, et, de temps en temps, répondant aux plaisanteries du bouffon par des explosions d'hilarité qui faisaient trem-
hier la salle. C'était un curieux et divertissant spectacle, une scène animée des mœurs naïves des peuples primitifs. Parfois je croyais assister aux banquets hox mériques des anciens Grecs, présidés par les rois, pasteurs des peuples, et je réfléchissais alors à la féerique puissance de la poésie qui a enveloppé d'un lustre immortel les plus grossiers tableaux de la vie d'un peuple barbare!
Les festins royaux duraient trois ou quatre heures et comprenaient trois séries de convives qui y prenaient part à tour de rôle. Les sons de la musique marquaient l'introduction de chaque série dans la salle royale.
La première est composée des principaux officiers, - des gouverneurs de provinces, etc.; ils entrent, et, se formant sur une seule ligne, saluent ensemble le
roi, en s'inclinant légèrement; ils vont ensuite prendre place autour de la table où ils sont servis sur-le-champ par de nombreux domestiques : c'est aux invités de cette série que l'on verse l'hydromel dans des birillés; leur repas terminé, ils se lèvent et se rangent autour de la salle. Les plats sont de nouveau remplis et la musique appelle la deuxième série, composée des gouverneurs de villages et des officiers subalternes; ceux-ci entrent, saluent le roi et vont, comme les premiers, s'accroupir autour de la table. On leur sert l'hydromel dans des gobelets en corne. Lorsqu'ils ont mangé de tous les mets du banquet, ils se lèvent, saluent de nouveau le roi et se retirent. C'est alors le tour de la troisième série. Les derniers invités sont de simples soldats, des ouvriers, des hommes du peuple ; les mets et l'hydromel leur sont prodigués comme aux précédents, et certainement ce ne sont pas ceux qui font le moins honneur au festin. Lorsqu'ils ont fini., ils sortent; le roi demeure alors quelque temps encore avec ses officiers. Le bouffon continue à se livrer à ses malicieuses boutades. Sahlé-Sallassi aime beaucoup celui qu'il a en ce moment; aussi ses officiel s, assez courtisans pour des barbares, s'efforcent de lui plaire, en exagérant leur hilarité au moindre môt du favori. Une fois, devant moi, l'un d'eux poussa les éclats de rire les plus extravagants du monde. « Je crois, lui dit le roi, en-
chanté, que celui qui nous amuse est ton protégé, et que tu as envie qu'il soit récompensé. » De bruyantes marques d'approbation partirent de tous les points de la salle, et le roi fit donner à l'instant même, à l'heureux fou, un fort joli taube (c'est ainsi que les Abyssins nomment la pièce de coton dans laquelle ils se drapent).
Les femmes ne sont point admises à ces festin^.
Le 22, au matin, veille du jour fixé pour notre départ, le roi me fit appeler et me demanda si je désirais voir le Nil en Abyssinie. « Je verrai avec plaisir, lui dis-je, un fleuve que je connais depuis longtemps dans la partie inférieure de son cours. » — « Eh bien, reprit-il, nous partirons demain, et, dans 8 jours, tu pourras boire de son eau. »
Avant de quitter Angolola, il fit cadeau à mou drogman d'un habillement complet, lui envoya une mule et un cheval, lui assigna, de plus, les revenus d'un village, et le fit prévenir, en même temps, qu il ne devait point s'écarter de moi, durant l'excursion que nous allions entreprendre.
Nous étions alors dans la saison la plus froide de l'année. Pendant le temps que je venais de passer à Angolola, les prairies étaient souvent couvertes, le matin, de gelée blanche, et quelquefois on apercevait, sur les bords de certains ruisseaux, une petite
croûte de glace de 1 ligne et demie à 2 lignes d'épaisseur, qui disparaissait peu d'heures après le lever du soleil : je n'ai jamais vu, cependant, de neige en A byssinie, même sur le sommet des plus hautes montagnes ; les habitants à qui j'en ai parlé n'ont aucune idée de ce phénomène météorologique ; pour eux, l'hiver est la saison des pluies; les troids du mois d'octobre, que l'on ne ressent guère, d'ailleurs, que lorsque le soleil n'est pas sur l'horizon, ne durent pas plus de 12 à 14 jours : on appréciera la température de cette période de l'année par les observations thermométriques que j'ai recueillies à Angolola.
Observations thermométriques recueillies à Angolola.
Le thermomètre de Réaumur
descendait, à 6 h. du mat., à au-dessous de marquait de 9 h. à 1 h. : 6 octobre odegr. 0 o 12 degr. 1/3. Vent du S.
7 0 - 113 0 10 — 0.
8 1 - 0 0 9 1/3.
9 1 — 113 0 9 — 1/3.
10 1 — 2/3 0 10 — 1/3.
11 1 — 2/3 0 9 — o. Vent d'O.
12 1 — 113 0 9 — 0.
13 0 - 2/3 0 10 — 1/3.
14 0 — 113 0 12 — 0.
1 5 0 — 113 o il — 1/3. Vent du Nord.
16 1 — 113 0 12 — 1/3.
17 1 — 0 0 12 — 0.
18 0 — 0 0 12 — 2/3.
19 o — 0 0 13 - 0. Vent d'E.
20 0 — 0 0 13 — 2/3.
2 1 0 — 0 0 13 — 1/3. Vent du S.
22 0 — 0 0 14 — 2/3.
Moyenne du froid.. 0 — 11117. Chaleur moyenne. il — 45(100.
— 0,82 centigrades. + 14,31 centigrades.
D'ANGOLOLA AUX BORDS DU NIL.
disposition et marche de l'armée.- Rivière de Ttchia-Tchia. - Campement. — Le roi rend la justice. — Arbres sacrés des Gallas. — Leurs cérémonies religieuses.— Leurs tributs.- Les Montagnes Moguères.
—Allitéra. — Les singes moissonneurs. -Notre arrivée sur les bords du Nil. —Les Gallas. — Leurs femmes. — Stations de l'armée depuis Angolola jusqu'au Nil.
CHAPITRE V.
Le 23, à sept heures et demie du matin, 500 soldats d'infanterie, armés de fusils à pierre qu'ils tenaient appuyés sur leurs épaules la crosse en l'air, faisaient la haie à la porte de la maison royale, et attendaient, dans cette attitude, que le roi en sortît pour l'escorter à la tête de l'armée ; à huit heures, la musique se fit entendre, les portes s'ouvrirent, Sahlé-Sallassi parut et passa au milieu de ses soldats. La jolie mule qu'il montait était richement équipée; elle était couverte d'un caparaçon rouge écarlate brodé en or; sur son poitrail tombait une chaîne d'argent massif, plusieurs fois roulée autour de son cou, à laquelle étaient attachées, sur six rangées, de grandes plaques de même métal en forme de losanges qui, agitées par les mouvements de la mule, se choquaient en résonnant les unes contre les autres et pailletaient au soleil; le roi portait de larges braies de soie verte brochées en or, avec une ceinture de soie rouge, à laquelle était suspendu, du côté droit, un sabre cintré en demi-cercle dont le fourreau était garni en argent; drapé dans un taube de la plus grande beauté, que recouvrait une peau de
lionne, il avait l'aspect le plus noble, le plus martial : deux soldats marchaient de chaque côté de la mule, tenant chacun au-dessus de la tête du roi un dais en velours cramoisi, surmonté d'un pommeau en argent qui supportait une petite croix. Il alla, escorté de cette infanterie et de la musique, se placer en tête de son armée, au centre du vaste front que formaient ses 20,000 cavaliers déployés en ligne d'un bout à l'autre de l'horizon; derrière lui, 12 écuyers à cheval tenaient chacun un bouclier garni en argent, et deux lances; ,6 prêtres, dont on reconnaissait le caractère sacré au turban qui ceignait leur tête, et parmi lesquels se trouvait le confesseur du roi venaient après les écuyers; ils avaient derrière eux une vingtaine de femmes, chargées de faire la cuisine du roi et de servir à table, et 6 eunuques. L'armée marchait ensuite à travers les campagnes, immédiatement suivie par les transports. A la droite du roi, une vingtaine de musiciens, des chanteurs et des chanteuses, exécutaient successivement leurs concerts de la même manière que pendant les festins royaux; à gauche, 40 hommes revêtus d'une serge rouge battaient la marche sur de petits tambours fixés aux deux côtés de leurs mules cette marche rapide peut se comparer, pour lerhvthme, au rappel de nos tambours; seulement le mouvement en est plus pressé, et un intervalle plus long sépare les
deux premiers coups, du roulement qui termine la mesure en mourant à petit bruit.
A 300 pas environ, en tête de l'armée, un petit cheval, entouré d'un peloton de fantassins, ouvrait la marche; il portait, dans un panier recouvert d'un drap rouge, les livres saints de trois églises d'Angobar ; c étaient les évangiles des églises Séné-Mariam (SainteMarie), Séné-Marquose ( Saint-Marc , Séné-Mikael (Saint-Michel). L'armée était placée sous la protection de ces ouvrages vénérés. Ainsi défilaient dans le désert les phalanges d'Aaron, mises, par le pontife, sous la sauvegarde de l'arche d'alliance.
Ce fut un magnifique spectacle que cette nombreuse cavalerie lorsqu'elle s'ébranla. La journée était superbe ; le soleil, déjà assez haut sur l'horizon, répandait ses rayons purs du matin sur les campagnes rafraîchies par la nuit. Les fers des lances diversement agitées , qui s'inclinaient et se relevaient suivant les Mouvements des chevaux, étincelaient comme une longue traînée de feu sur une étendue de plus de deux heues. La ligne immense, ondulée d'après les plis du terrain, s'enfonçait dans les vallées, montait aux flanc* des coteaux , disparaissait derrière les versants oPposés pour se montrer encore au loin couronnant la crête de collines plus élevées ; les taubes blancs des cavaliers , qui flottaient au vent, produisaient un bel
effet de contraste sur le fond vert du paysage. Cette masse , si originalement développée , courait au petit galop. A ce qu'il y avait d'imposant et de grandiose dans son aspect animé , que l'on ajoute le bruit des pas pressés des chevaux , la vue et les cris des nuées d'oiseaux qui s'envolaient effrayés à son approche, l'agitation du gibier que faisaitlever en prodigieusequantité la plus formidable ligne de rabatteurs qui fût jamais, et l'on ne s'étonnera passi j'avoue queje préfère la mar- che singulière et originale d'une armée d'Abyssins au défilé régulier de nos plus belles troupes en parade.
La direction générale que nous prîmes était au nordouest; je traversai, à dix heures, une rivière nommée Tchia-Tchia ; elle coule du sud au nord-est, ne manque jamais d'eau, et dans certains endroits forme des chutes assez fortes pour faire aller dix roues de moulins. Le terrain que nous parcourions est un sol primitif, composé de siénites porphyriques, de granit et de granit-gneiss ; il est couvert de prairies toujours vertes et de champs bien cultivés. Je passai dans la journée auprès de plusieurs petits hameaux appartenant aux Gallas de la kabile Abiliou. A quatre heures du soir , on s'arrêta pour la nuit dans une prairie magnifique , à l'est de laquelle se trouve le village de Massète, du territoire des Abitiou-Gallas.
Les tentes royales furent dressées en un instant :
  
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on les entoura d'une enceinte formée avec de grandes toiles attachées à des pieux ; la mienne fut placée à côté de celles du roi, dans le rayon de la même enceinte. Les soldats eurent bientôt pris leurs arrangements pour bivouaquer. La plupart n'ont point de tentes ; ils passent la nuit en plein air ; ils ont à pourvoir eux-mêmes à leur subsistance ; ils emportent des vivres avant de partir ou s'en procurent sur la route par le pillage des tribus qui ont encouru le mécontentement du souverain. A six heures du soir , le son des trompettes annonça aux officiers et à toutes les personnes qui étaient attachées au service particulier du roi (lue le banquet allait commencer. Il ne présenta aucune particularité différente de celles que j'ai déjà décrites ; le même ordre , le même cérémonial des trois séries Y furent observés ; il ne se termina qu'à neuf heures et demie.
Le 24 , dès six heures du matin , Sahlé-Sallassi donna audience publique ; la foule se pressait autour de lui, et il rendait la justice au milieu de son peuple, comme ce bon roi de notre vieille histoire que l'on nous représente assis au pied d'un chêne , entouré de ses sujets respectueux dont il écoutait les plaintes et apaisait les différends. C'est surtout pendant ses tournées que le roi de Choa exerce les nobles attributions de juge : il y consacre les premières heures de la
matinée et les dernières du jour. Beaucoup de ceux de ses sujets qui viennent grossir son cortège militaire n'ont d'autre but que de se procurer par là un accès plus facile auprès de lui ou un titre qui sollicite en leur faveur les décisions qu'ils réclament. Le chef de la kabile des Gallas, sur le territoire desquels nous nous trouvions , vint joindre l'armée avec cinq cents cavaliers. A huit heures, on se mit en route dans le même ordre que la veille ; nous tînmes la direction nordquart-nord-est, nous parcourûmes un terrain ondulé, tapissé de prairies, parsemé de villages et arrosé par de nombreux ruisseaux dont les bords sont peuplés d'une multitude d'oiseaux aquatiques de plusieurs espèces , des grues royales , des hérons des ibis , des
oies , des canards, etc.
Je vis pendant cette journée plusieurs des arbres sacrés sous lesquels les Gallas se rassemblent pour cé- iébrer leurs cérémonies religieuses. Ils affectent toujours à cette destination les arbres les plus gros , ceux dont les branches sont les plus fortes et les mieux fournies , dont le feuillage est le plus vigoureux et le plus épais , sans attacher aucune propriété particulière à l'espèce à laquelle ils appartiennent : la plus grande parUe de ceux que je vis étaient des cèdres.
Les Gallas ne sont pas idolâtres, à proprement parler, puisqu'ils ne reconnaissent qu'un seul Dieu et
qu'ils ne 1 adorent pas sous des emblèmes matériels: leur culte est très-simple ; de même que tous les peuples ignorants , ils sont superstitieux; à l'exemple des chrétiens , auxquels ils ont, du reste , emprunté plusieurs pratiques , ils observent scrupuleusement le dimanche. C'est ordinairement ce jour-là qu'ils choisis sent pour invoquer Dieu et le prier de leur accorder d'abondantes moissons. Les formes extérieures de leur culte sont singulières : ils cueillent, hommes et fem- mes, quelques poignées de blé encore vert ou d'herbe et les placent sous leurs bras; ils prennent ensuite un petit bâton long de deux pieds environ ; un homme le lient par un bout et une femme par l'autre ; après quoi les couples , ainsi liés, dansent en rond autour de l'arbre, en criant : « Jouaque ( c'est le nom de la divinité dans leur langue), donne-nous une bonne moisson , veille sur nos biens , nos troupeaux , etc. »
Tantôt ils élèvent le bâton au-dessus de leur tête, tantôt ils l'abaissent , puis ils se prosternent, se relèvent et continuent , en chantant , à répéter les mêmes évolutions pendant une demi-heure. La cérémonie est quelquefois terminée par le sacrifice de plusieurs moutons.
La danse est différente, quoique les formules des prières demeurent à peu près les mêmes, lorsqu'ils veulent invoquer l'aide de Dieu pour le succès d'une
guerre; les femmes, dans ce cas , commencent par se ranger en cercle autour de l'arbre sacré, isolées l'une de l'autre; les hommes arrivés à cheval, dans l'équipement guerrier, mettent pied à terre, et, munis du bouclier et de la lance, forment un second cercle derrière les femmes. Alors une de celles-ci exécute la danse : les jambes serrées, les mains appuyées sur les hanches, elle trépigne vivement des pieds ; le cavalier placé derrière elle imite ses mouvements que chacun des assistants répète à son tour; puis tous, se prenant par les mains, dansentautour de l'arbre une ronde finale, en invoquant la miséricorde de l'Aouaque. La cérémonie achevée , on sacrifie un taureau , et, après le repas où la victime est mangée , les Gallas montent immédiatement à cheval et partent pour la guerre.
Nous nous arrêtâmes à cinq heures du soir sur le territoire de la kabile Aubéri, dans un lieu nommé Tcherti. Pendant que l'on dressait les tentes, j'accompagnai le roi sur une colline située dans les environs; les Gallas Aubéris vinrent y apporter leur tribut, véritable contribution en nature, consistant en chevaux, bœufs et moutons. Chacun des membres de la kabile fournit sa quote-part dans la contribution générale à laquelle elle est soumise : le chef répartit la charge commune entre ses subordonnés; il reçoit du roi l'investiture de sa charge et peut la perdre s'il encourt son
déplaisir. Le chef des Aubéris vint se joindre à nous avec 400 cavaliers. Le roi tint son tribunal de justice, et à six heures et demie nous retournâmes au camp, où le dîner fut servi avec le cérémonial accoutumé.
Le 25 au matin, Sahlé-Sallassi donna audience jusqu'à neuf heures; nous reprimes notre marche aussitôt après, et nous nous dirigeâmes vers les montagnes Moguères, chaîne assez élevée, dont la ligne se développe au nord : elles sont indiquées inexactement suiles cartes de géographie. A mesure que nous avancions dans le pays, de tous côtés les Gallas nous amenaient des chevaux, des bœufs et des moutons, pour s'acquitter de leur tribut. Aussitôt que les chevaux étaient reçus, des écuyers les montaient et les lançaient à la carrière pour les essayer.
Notre direction était vers le nord; nous traversâmes un terrain primitif composé de granit, de siénites porphyriques, de gneiss; le sol en est fort bien cultivé, mais les arbres y sont rares. La direction tourna au nord-ouest dans la journée; nous arrivâmes à trois heures au pied des montagnes, et nous plantâmes nos tentes sur un lieu nommé Jéiagou, appartenant aux Gallas de la kabile Saggo-Moguère. Le chef de cette kabile apporta le tribut, et, suivi d'un grand nombre de cavaliers, vint accroître l'armée. Conformément à SOI) habitude, le roi donna audience jusqu'à six heures;
à sept heures, il rentra au camp et l'on se mit à table.
Le 27, à sept heures, nous commençâmes à gravir les montagnes; j'y remarquai, en grande quantité, des gommifères d'une autre espèce que tous ceux que j'avais vus jusqu'alors en Abyssinie ou ailleurs : on les nomme, dans le pays, Kantouffas (mimosa abyssinica). Les botanistes pourraient faire dans ces montagnes des collections de plantes rares, inconnues je crois en Europe ; les naturalistes y trouveraient de même des milliers d'oiseaux particuliers à cette contrée.
Nous tournâmes est-nord-est-quart-est; à une heure après midi, on fit halte dans un lieu nommé AUitéra, sur le territoire des Gallas de la kabile Ia-Ia-Moguère.
C'est un des plus beaux sites que l'on puisse imaginer : ses perspectives sont magnifiques; la vue y domine les versants méridionaux de ces montagnes, qui s'inclinent peu à peu par une série de rampes successives, revêtues de la plus vigoureuse végétation. Sur les collines et dans les vallées, partout la culture tire un admirable parti de l'exubérante richesse du sol : le blé, le thèfle, l'orge, le dourah, les petits pois, les fèves, le lin et le coton y croissaient à cette époque de l'année.
Sur ce terrain si pittoresquement accidenté, çà et là, parmi des bosquets d'arbres, de charmants petits hameaux, composés de 10 à 15 habitations distantes à peu près l'une de l'autre d'une portée de pistolet, mon-
traient les toits coniques de leurs chaumières splendidement dorés par le soleil. Une rivière qui porte le nom de Moguére-Ouanze (1 ) et coule du sud au nord côtoie la base sinueuse des collines, où elle répand la fraîcheur et la fertilité avant d'aller joindre ses eaux à celles du Nil.
Je fus témoin, en ce lieu, d'un spectacle singulier : 3 à 400 singes récoltaient à leur profit un champ de thèfle, mais avec des précautions qui décèlent en eux une remarquable intelligence et une rare finesse. Tan- dis que ces rusés voleurs faisaient leur rapide moisson, Une quarantaine d'entre eux étaient détachés en vedettes sur la lisière du champ. Ces vigilantes sentinelles, dressées sur leurs pieds de derrière, prome- naient de tous côtés leurs regards inquiets ; dès qu'elles nous aperçurent, elles donnèrent le cri de détresse et le signal de la retraite : aussitôt, les pillards prirent la fuite, emportant le butin sur leur dos pour aller se ta partager en lieu sûr.
Ces singes ont de 2 à 3 pieds de taille : leur tête est large; une longue crinière brunâtre couvre leurs épaules et descend jusqu'à terre. Sur le reste du corps, ils ont le poil très-ras; leurs fesses sont calleuses; leur queue, tangue et épaisse, se termine par une touffe panachée.
(1) ouanze signifie ruisseau, rivière.
Le 28, à six heures du matin, nous nous mimes à traverser les montagnes dans la direction ouest-nordouest; à quatre heures du soir, nous nous arrêtâmes sur le territoire de la kabile des Gallas Bëtchio-Fouguègue, dans un lieu nommé Jergas.
Des Gallas qui apportaient leurs contributions dirent à Sahlé-Sallassi qu'un des chefs du voisinage, gouverneur de 18 hameaux, refusait de donner les siennes.
Le roi envoya un de ces Gallas prévenir le récalcitrant que, s'il n'apportait point son tribut, le lendemain au soir ses hameaux seraient livrés au pillage et devien- draient la proie des flammes; il donna ensuite audience jusqu à sept heures : quelques moments après, nous nous mimes à table; le festin dura jusqu'à onze heures.
Nous passâmes dans la même station la journée du 29 ; le roi rendit la justice pendant tout le jour : à sept heures du soir, voyant que le chef galla ne s'était point présenté, il donna ordre de brûler tous les hameaux qui étaient sons sa direction.
Le 30, à cinq heures du matin, nous reprimes, dans la direction ouest-quart-nord-ouest, notre voyage interrompu ; nous traversâmes plusieurs montagnes et le territoire de la kabile Dgerso-Daga : enfin, à dix heures, nous fumes sur les bords du fleuve Abayl, comme l'appellent les Abyssiniens.
Je ne pus voir le Nil sans émotion : un long séjour
en Égypte m'avait inspiré un peu de ce respect et de cet amour que les fellahs professent pour le fleuve providentiel qui, d'un désert aride, fait de leur pays, avec ses eaux limoneuses, une des contrées les plus fertiles du monde. C'était la fortune, la vie de l'Egypte, toute l'Égypte elle-même pour ainsi dire, que je voyais paso ser devant moi. Qu'à cette lointaine distance de ses bouches renommées une main puissante et audacieuse réalisât le rêve d'Albuquerque et conduisit ses flots sur d'autres rivages, à l'instant il n'y aurait plus d'Égypte; ce triangle si splendide de fécondité serait soudainement envahi par la sécheresse et la stérilité des solitudes qui l'environnent : le désert régnerait seul depuis la Méditerranée jusqu'à la mer Rouge.
Je considérai longtemps le Nil : dans la partie de son cours qui se développait sous mes yeux, il coulait du nord-est au sud, à travers un terrain argilo-siliceux que recouvrait une végétation généreusement nourrie, et resserré entre deux chaînes de montagnes de for- mation primitive. Son lit avait de 3 à 4 mètres de profondeur; il présentait une largeur de 60 à 70 mètres environ; des arbres de haute futaie, d'une multitude d'espèces, ombrageaient ses rives; il roulait avec une majestueuse lenteur ses flots, auxquels le terrain qu'ils Parcourent donnait une teinte jaunâtre. Je voulais passer sur la rive opposée; le roi m'en détourna : il me
dit que je m'exposerais à être tué par les Gallas qui l'habitent. Le fleuve sert, en cet endroit, de frontière entre le royaume de Choa et la province de Kodgeam, qui appartient nominalement au royaume de Gondar.
Au point où elle était parvenue, l'armée se trouvait accrue de 2 à 3,000 cavaliers gallas ; Sahlé-Sallassi me présenta à eux sons l'aspect le plus favorable ; il leur fit un pompeux éloge de la France, et tous ces hommes ignorants et naïfs se pressèrent autour de moi eu m'accablant de questions sur ma lointaine patrie, dont ils avaient entendu tant de merveilles dans la bouche du roi.
La race galla est la plus belle de l'Afrique; elle n'est pas originaire de l'Abyssinie; elle y est venue par invasion, comme on le verra plus bas dans l'histoire que je donnerai du royaume de Choa. Les Gallas sont, en général, bien constitués, ils ont une haute taille, le front large et relevé, le nez aquilin, la bouche bien coupée, le teint cuivré plutôt que noir; leurs cheveux sont tressés en petites nattes qui flottent autour de leur tête, et mêlent quelque chose de gracieux au caractère expressif et noble de leur physionomie : habitués, dès leur plus tendre jeunesse, à monter à cheval, à porter le bouclier et la lance , ils sont excellents cavaliers et insensibles aux plus rudes fatigues; pleins de courage et de valeur dans les combats, ils
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se montrent, dans leurs champs, cultivateurs habiles et laborieux : cette grande nation, car on peut l'appeler ainsi, pourrait, conduite par un chef entreprenant, se rendre maîtresse de l'Afrique entière. ,
Les femmes gallas ne cèdent rien en beauté aux Bédouines du royaume d'Adet ; il n'y a d'autre différence entre elles, pour le costume, que des guêtres en peaux, que portent celles-là. Les Gallas sont vêtus comme les Amharras; quelquefois, au lieu d'être drapés dans un taube, ils sont couveris d'une peau de bœuf si bien apprêtée, qu'on dirait une pièce de drap; ils ont aussi les mêmes armes, la lance pour l'attaque, le sabre et le bouclier pour la défense.
Stations de l'armée depuis Angolola jusqu'au Nil.
D'Angolola à Massète, Kabile Abitiou-
Gallas 6 lieues.
De Massèle à Tcherti, Kabile AubériGallas 9 De Tcherti à Jéiagou, Kabile SaggoMoguère-Gallas 8 De Jéiagou à Allitéra, Kabile Ia-IaMoguère Gallas 5 A reporter. 28 lieues.
Report. 28 lieues;
D'Allitéra à Jergas, Kabile BêtchioFouguégue-Gallas. 8 De Jergas au Nil, Kabile Dgerso-DagaGallas. 6
Total.42 lieue's.
RETOUR DES BORDS DU NIL A ANGOLOLA.
Monastère de Devra-Libanos. — Couvent de Séné-Marquos. — Sources miraculeuses. —Notre arrivée sur le territoire de la kabile Abitiou.— Rentrée solennelle de Sahlé-Sallassi dans Angolola. — Croyances religieuses des Abyssins. — Leurs pratiques. — Les prêtres. — Les églises. — A mon arrivée à Angolola, je fabrique de la poudre. —
Observations thermoinétriques recueillies à Angolola.
CHAPITRE VI.
Le 11 à deux heures après midi, nous commençâmes à effectuer notre retour, en reprenant à peu près la même route que celle par laquelle nous étions venus. Nous nous arrêtâmes, le 2 novembre, au couvent de Devra-Libanos, situé à l'est des montagnes Moguères : il est consacré au tombeau du moine Devra-IJbanos, hautement vénéré dans le pays. Ce mpnaslère n'a pas une autre apparence que les maisons ordinaires; c'est une chaumière de même forme, mais plus vaste que celles-ci, surmontée d'une croix qui indique sa destination religieuse. Une trentaine de cénobites, nommés abates-taquelé-iêmanole, déservent ce pieux établissement; ils possèdent, aux environs, des terres qu'ils exploitent : plusieurs exercent des métiers; ils prélèvent un tribut considérable sur la superstition des habitants du pays.
Leur couvent est bâti dans un très-beau site; il s'élève auprès d'une roche trachytique de laquelle découle un petit filet d'eau, qui, au dire des naturels, a la propriété de guérir toutes sortes de maladies : chrétiens, musulmans et païens accordent un foi égale à
la vertu de cette eau miraculeuse, et accourent de toutes parts pour s'en procurer.
Le roi et l'armée firent leurs dévotions à DevraLibanos; nous en partîmes le 4 à cinq heures du matin, dans la direction sud-est; à onze heures, nous nous engageâmes dans des montagnes de produits volcaniques formées de trachytes vitreux et de basaltes; à quatre heures du soir, nous traversâmes une rivière nommée Sana-Robie, qui coule du sud à l'est-nord-est; à cinq heures, nous arrivâmes à un aulre couvent nommé Séné-Marquos.
Ce monastère est habité par une douzaine de prêtres et de moines appelés Bissa-Hoares ; il est situé dans une position très-pittoresque, au sommet d'une colline ; on est obligé de suivre, pour y arriver, un sentier étroit pratiqué dans une roche basaltique où les mules sont mille fois exposées à se casser pieds et jambes.
Séné-Marquos était le serviteur de Devra-Libanos, l'Élisée de cet autre Élie : son tombeau est placé sous une roche trachytique qui forme une espèce de grotte, du fond de laquelle s'échappe aussi un mince fi] et d'eau qui jouit, dans l'opinion publique, des mêmes propriétés que la source de Devra-Libanos ; aussi estil, comme celui-ci, le but du pèlerinage d'une multitude d'aveugles, d'estropiés et de lépreux ; c'est à un miracle du saint que l'on attribue l'apparition de cette
eau bénie. Dans la matinée du 6, le roi, suivi du clergé et, de ses principaux officiers, alla lui-même en boire, persuadé qu'elle devait le guérir d'une douleur rhumatismale qu'il ressentait à l'épaule gauche.
Non loin du tombeau s'élèvent, réunis en bosquets, des cèdres magnifiques; aux branches vieillies de ces arbres séculaires pendent de longues barbes de mousse; le vent le plus léger qui se joue au milieu de cette verte chevelure la balance majestueusement, et donne un aspect tout particulier aux arbres qu'elle enveloppe : ces grands cèdres sont peuplés d'un nombre infini d'oiseaux rares dans les cabinets d'Europe; on voit aussi sur leurs branches des singes noirs connus, dans le pays, sous le nom de gourézas.
A huit heures, nous continuâmes notre route vers le sud, et, le même jour, après une marche forcée, nous vînmes camper sur le territoire de la kabile Abitiou, à 4 lieues au nord d'Angolola.
Le 7, à cinq heures du matin, le roi monta à cheval ; on partit au petit galop. Arrivée à une demi-lieue d'Angolola, l'armée s'arrêta, et Sahlé-Sallassi fit dresser une tente à la hâte pour revêtir son grand costume royal : ce prince tienc beaucoup à l'élégance et à la richesse des vêtements; plusieurs fois, durant notre tournée, je l'ai vu varier sa toilette : tantôt il remplaçait un manteau de satin rouge par un autre de
même étoffe vert ou bleu de ciel ; tantôt il couvrait ses épaules de la précieuse dépouille de quelque animal féroce, par exemple d'une peau de lionne : une fois, entre autres, il suspendit à son cou une peau de mélas ou panthère noire, estimée d'un grand prix en Abyssinie à cause de sa beauté et de sa rareté. Pour entrer à Angolola, par-dessus un taube superbe il revêtit une magnifique peau de lionne, puis il ceignit sa tête d'un diadème en argent incrusté d'ornements en or ciselé : c était une plaque longue de 7 pouces, large de 2, aux extrémités et au centre de laquelle pendaient trois petites chaînes d'argent qui encadraient son visage. Trois chaînes d'or massif, longues de 2 pieds et demi à 3, terminées par une petite boule également en or, descendaient derrière sa tète. Il remonta à cheval dans cet appareil, et l'armée se mit en marche en allant au pas. Une vingtaine de prêtres, formant le clergé d'Angolola, venaient processionnetlement a sa rencontre pour lui donner la bénédiction : Sahlé-Sallassi s'avança lentement au milieu d'eux; toute la ligne s'arrêta, silencieuse et recueillie, tandis que. les mains étendues, les prêtres faisaient planer solennellement leur bénédiction sur la tète du roi. Cette cérémonie empruntait au lieu qui en était le théâtre et au nombre de ses spectateurs un certain caractère de grandeur religieuse; lorsqu'elle fut achevée, le prince entra dans
la ville aux sons d'une bruyante musique et accompagné des vives acclamations de son peuple et de ses soldats.
La religion chrétienne, telle qu'elle est en vigueur aujourd'hui en Abyssinie , a conservé probablement, en grande partie, les formes peu compliquées, gros- sières même, qu'elle devait avoir aux premiers siècles de son existence : là elle n'a pas subi, comme en Europe, des développements parallèles aux progrès des choses et des esprits; car, dans ce pays, tout est de- meuré stationnaire jusqu'à ce jour.
La race fondamentale de l'Abyssinie, sa population primitive, est toute chrétienne; le mot <KAmharra qui la désigne est synonyme de chrétien. Les Amharras ne se contentent pas de se distinguer, par leurs noms, des Gallas et des musulmans; ils portent, autour du cou, un cordon bleu, comme signe de leur foi religieuse.
Ils suivent le rite cophte, et se rattachent, par conséquent, à l'hérésie des monophysites. Ils croient, en effet, à la Trinité, mais ne reconnaissent en Jésus-Christ (Jésous-Ghrislous ) qu'une seule nature, la nature humaine; ils ne le regardent pas comme Dieu; aussi estiment-ils davantage la sainteté et l'influence de la Vierge (Séné-Mariam), qui, disent-ils, en sa qualité de mère du Christ, a plus de droits que son fils à la vénération des fidèles.
Ils baptisent les enfants quelques jours après leur naissance, en les lavant de la tête aux pieds dans de l'eau bénite et leur passent ensuite une chemise blanche, symbole de la purification qu'ils viennent d'éprouver; suivant la coutume des cophtes, ils renouvellent, chaque année, le baptême. Le 18 janvier, à deux heures du matin, hommes, femmes et enfants se rendent procèssionnellement à la rivière et s'y baignent à cette intention ; de même encore que les cophtes, ils opèrent généralement la circoncision sur les hommes et sur les femmes.
Ils pratiquent la confession auriculaire ; ils montrent un grand respect pour l'eucharistie, mais n'y voient qu'un signe, une commémoration, et n'admettent pas la présence réelle.
Ils font la communion sous les deux espèces ; ils la donnent aux enfants lorsqu'ils sont encore à la mamelle et jusqu'à l'âge de huit à neuf ans; à partir de cette époque, ceux-ci ne peuvent plus la recevoir jusqu'à ce qu'ils se marient. Les célibataires, quel que soit leur âge, sont exclus du divin banquet, à moins qu'ils ne prononcent le vœu de chasteté et ne se fassent moines.
Quoique ordinairement le mariage soit béni par les prêtres, il n'est pas rare que les Amharras se passent de la cérémonie religieuse.
Réunissant les deux prescriptions des lois hébraïque et chrétienne, les Abyssins férient scrupuleusement le samedi et le dimanche. Ils s'abstiennent également de travailler les jours de fête, et la superstitieuse vénération dont ils entourent la mémoire d'un grand nombre de saints a multiplié abusivement ces jours de dévote oisiveté; les dimanches et les fêtes, ils assistent aux offices religieux.
Ils ont deux carêmes par an : l'un, de cinquante jours, précède Pâques; l'autre, de dix-huit jours, dure pendant l'avent. Les époques de ces deux jeûnes sont précisées par le calendrier cophte. (Lescophtes suivent le calendrier de Ptolémée; ils divisent l'année en douze mois de trente jours et font suivre leur dernier mois de cinq jours complémentaires; le premier jour de leur année correspond au 17 novembre, leur ère commence l'an 284 de la nôtre.) Les Abyssins les observent avec Une scrupuleuse sévérité; en temps de carême, ils ne font qu'un repas par vingt-quatre heures, après le coucher du soleil; la viande, le laitage et les œufs leur sont interdits ; ils ne prennent pour toute nourriture que des légumes secs, assaisonnés de piment et de mauvaise huile.
Les prêtres sont ordonnés par un évêque cophte que le patriarche du Kaire envoie à Gondar, et dont la juridiction s'étend sur toute l'Abyssinie : cet évêque jouit
ordinairement de beaucoup de considération et d'influence; mais, depuis plusieurs années, le siège de Gondar est vacant; cela vient de ce qu'à chaque extinction l'Abyssinie devait payer, au patriarche du Kaire, une espèce de tribut, pour obtenir de lui l'installation d'un nouvel évêque. La dernière fois que ce remplacement a du s'opérer, l'avare patriarche a élevé ses prétentions à une somme exorbitante. Les Abyssins ont résisté à ses exigences; les cophtes d'Egypte, de leur côté, ne veulent pas céder; ils espèrent réduire leurs vassaux religieux à venir à composition. En effet, par une politique intéressée, ils n'ont jamais sacré d'évoqués parmi les Amharras, afin que ceux-ci ne pussent avoir de prêtres que tout autant que le patriarche du Kaire voudrait bien leur envoyer un évêque pour en ordonner. De cette manière, l'église d'Abyssinie avait été tenue jusqu'ici sous l'étroite dépendance de l'église cophte d'Egypte. Les démêlés pécuniaires qui les divisent en ce moment font subir au christianisme, en Abyssinie, une crise qui pourrait, si elle se prolongeait, le compromettre gravement. On en a vu la preuve dans la résolution que Ras-Ali avait prise d'embrasser l'islamisme et que peut-être il ne tardera pas à exécuter. Toutefois, trompant les cupides calculs du patriarche, le clergé du Choa a institué Ini- même des prêtres, de sorte qu'en définitive le besoin de
l'épiscopat disparaîtra , et le joug des cophtes sera peut-être entièrement secoué. D'ailleurs, si l'on doit croire ce que Bruce rapporte de l'emploi que Yabouna (c'était le titre du patriarche de Gondar) faisait de ses fonctions, il faut convenir que le rôle joué par cet évêque peut être aisément supprimé sans trop de danger. Voici, en effet, comment il opérait les ordinations. S'agissait-il de faire des diacres, des masses d'hommes défilaient en troupe devant lui, et cette simple cérémonie leur avait donné le caractère sacré; pour être prêtre, il suffisait de réciter en guèse, devant le patriarche cophte, qui ne comprenait rien à cette langue, un chapitre des livres religieux de l'Abyssinie.
S'ils embrassent le sacerdoce étant mariés, les prêtes peuvent conserver leurs femmes ; dans le cas contl'aire, ils doivent garder le célibat; ils sont préparés au saeerdoce dans des espèces de séminaires Leurs fonctions consistent à administrer les sacrements et à réciter les offices. Le roi tient la main à ce qu'ils ne manquent pas aux devoirs de leur charge. Tous les jours, à minuit, ils entonnent leurs cantiques dans leurs églises, et ne terminent leurs chants, dont le tambour roulant bat continuellement la mesure, qu'après le lever du soleil; même pendant la campagne que nous venions de faire, les prêtres qui nous accompagnaient n'avaient
jamais manqué de se lever au milieu de la nuit pour accomplir ces bruyantes cérémonies. Le clergé est entretenu par les dons qu'il reçoit des fidèles; presque tous ses membres exercent des métiers et s'adonnent a l'agriculture.
Les églises abyssiniennes sont des édifices fort peu remarquables : de forme circulaire et recouvertes d'un toit conique surmonté d'une croix , elles ne sont pas construites d'après un autre système que les maisons ordinaires, seulement elles sont plus vastes ; une galerie en fait le tour; l'intérieur ne se compose que d'une seule salle , c'est l'église , au fond de laquelle , au nord , s'élève un petit autel , sans autre ornement que l'étoffe de soie dont il est couvert et une simple croix de bois. En général , les murs de ces églises , complètement nues, sont crépis de plâtre blanc; quelquefois de grossières peintures , qui représentent la Vierge ou les saints, ont la prétention de les décorer.
Le sol est en terre battue ; on n'y voit aucune espèce de siège ; les fidèles restent debout ou s'accroupissent suivant que l'exigent les diverses phases du service divin.
Les Amharras sont attachés à la religion chrétienne; il ne faudrait pas toutefois aller chercher parmi eux la piété simple et vraie; comme tous les peuples ignorants , ils sont superstitieux a l'excès. Les querelle*
religieuses suscitées par des schismes nombreux ont joué un grand rôle dans leur histoire ; aujourd'hui encore les chrétiens de chaque royaume composent des sectes à part et ne s'entendent pas avec leurs voisins..
Chose singulière ! Tolérants envers des religions diamétralement opposées à celle qu'ils professent, ils se disputent entre eux avec acharnement à propos d'imperceptibles subtilités. 1 L'état de crise où le christianisme se trouve dans le royaume de Choa pourrait appeler sur cette contrée les efforts d'un'e mission catholique. Je souhaiterais que des missionnaires de cette communion parvinssent à lui rallier les Amharras ; mais je pense qu'il n'est pas de tâche plus délicate, qu'il n'est pas d'œuvre qui demande plus de prudence : un zèle ardent, inconsidéré compromettrait tout. Nos missionnaires ne devraient pas oublier que la fougue des jésuites portugais perdit tous les résultats que le catholicisme avait déjà obtenus et finit par les faire chasser d'Abyssinie dans le xvie siècle : les Abyssins se souviennent encore des violentes dissensions que la véhémence des jésuites avait suscitées parmi eux. Il faudrait effacer les dernières traces de ce souvenir, fâcheux précédent pour le catholicisme, à force de réserve et de tolérance. Nos missionnaires devraient même se garder d'avouer leur but ; ce serait dans l'intérêt de leur foi , d'une poli-
Observations thermométriques au mois de novembre à Angolola.
Le thermomètre de Réaumur marquait,
à 9 h. du matin : de 9 h. à 3 h. du 3.
8 novembre.. 12 degr. 213 20 degr. 0. Vent du S.
9. 12 — 0 19 — 0.
1 0 11 — 1/3 17 — 1/3.
1 1 12 — 2/3 • 19 — 1/3. Vent d'O.
1 2 12 — 213 20 — 0.
13. 12 — 1/3 • 20 — 113.
1 4 13 — 0 21 — o. Vent du S.
1 5 13 — 113. 21 — 1/3.
1 6 13 — 2î3 22 — 0. Vent d'O.
1 7 13 — 1/3 22 — 0.
Moyenne de. 12 — 701100. 18 — 23J100.
15,87 centigrades. 22,78 centigrades.
SEJOUR A ANGOBAR.
Description d'Angobar. — Maisons de Sahlé-Sallassi. — Je fabrique du sucre. — Le roi s'efforce de me,fixer auprès de lui. — Il me fait proposer en mariage une de ses parentes. —Repas chez Ayla-Sartevolle. —
Histoire du royaume de Choa. — La race de Salomon expulsée du nord de i'Abyssinie se réfugie en Choa. — Invasion des Gallas au xvie siècle.—Conquête des Adels sous la conduite de Mahamet-Gragne.— Défaites de l'empereur Davfd. — 500 Portugais arrivent au secours de son fils Claudius. — Mahamet-Gragne est tué et les Adels sont chassés de l'Abyssinie. — Négassi, chef de la dynastie de SahléSallassi; ses successeurs Habié, Sebesti, Ossa-Oisen, OisenSegguède, père de Sahlé-Sallassi., — Sahlé-Sallassi. —Tombeau d'Ôisen-Segguède. — Je vais à Aléyou- Amba. — Chasse aux gourézas.— Vindot, arbre saponifère. — Les petites pluies. - Je vais visiter la reine en qualité de médecin. — Le roi m'invite à l'accompagner dans une expédition au sud-ouest de ses États. — Ses deux fils. —Je les conduis à Débrabrame. — M. Graphfe, missionnaire anglais. — Je me rends à Angolola. — Cérémonie du baptême annuel du 18 janvier.
théâtres que l'on puisse voir. La population de cette ville délicieuse peut être évaluée à neuf ou dix mille âmes.
Les maisons du roi sont bâties sur une petite montagne en pain de sucre, détachée de la chaîne qui domine la ville au nord; elles sont entourées de hautes palissades; de grands arbres, des cèdres, des cyprès et des kantouffasaux branches évasées sont disposés et groupés avec symetrie dans leurs enceintes; leur ensemble offre de loin un superbe coup d'œil; du sommet de la colline qu'elles couronnent, on voit au bas d'Angobar un petit bois formé de cèdres d'une hauteur prodigieuse ; des milliers d'oiseaux aux plumages éclatants, aux chants singuliers et harmonieux , font de ce bois un lieu de délices aux heures où la chaleur du jour donne un prix immense à la douce fraîcheur que l'on goûte sous ses ombrages. J'étais logé dans une maison contiguë à celle qu'habitait le roi, d'où j'avais , à l'est et au sud, jusqu'à trente lieues au loin, la vue d'un pays ondulé, d'une fertilité incroyable et tapissé de la plus magnifique verdure.
A peine fus-je arrivé, que le gouverneur de la ville, après avoir fait sa visite au roi, vint me voir et me témoigna le désir de lier avec moi de fréquents rapports pour s'instruire, dans ma conversation, des mœurs et des usages des Européens. Je me montrai empressé
   
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à le satisfaire; je me flattais de tirer de lui, en revan-iche, de précieux renseignements sur l'histoire de son pays.
Du reste, je m'occupai sur-le-champ de la fabrication du sucre en pain que j'avais promise à Sahlé-Sallassi : je fis demander d'abord quelques ouvriers po..,.
tiers; je leur commandai vingt formes en terre. Le 20, le roi m'avertit qu'il avait envoyé plusieurs de ses gens, avec ordre d'arracher deux mille cannes et qu'elles arriveraient bientôt. L'idée d'avoir du sucre fabriqué dans ses États le remplissait de joie. Je lui demandai cinquante jeunes gens, afin de les employer à la manipulation des cannes , aussitôt qu'elles arriveraient ; il me répondit qu'il ferait lui-même le cinquanteUnième, qu'il ne voulait pas perdre de vue une seule de mes opérations, et il me pria de choisir une de ses maisons pour le local de ma fabrique.
On apporta des cannes de la plus rare beauté, beaucoup plus grandes et plus grosses , en général , que celles que j'avais vues en Egypte ; elles étaient sans vermoulures. Afin d'éviter la fermentation autant que possible et d'en extraire la plus grande quantité de suc, je les fis écorcer, couper par menus morceaux et piler dans de grands mortiers en bois. Je mis ensuite cette trituration dans de grosses toiles de coton que je sou- mis à la presse ; je (is cuire le jus que j'obtins ainsi
je le filtrai au moyen d'un capuchon que j'improvisai avec ma couverture de laine; je le fis ensuite évaporer, et après lui avoir donné le degré de cuisson néces- « saire , je le versai dans les formes à cristalliser. Cet enchaînement d'opérations demanda deux jours, pendant lesquels Sahlé-Sallassi me tint constamment compagnie ; plusieurs fois même il mit la main à l'œuvre, ainsi qu'une foule d'officiers qui venaient assister à mes travaux. Quelques jours après, je retirai le sucre des formes et le fis porter au roi, qui ne pouvait revenir de sa surprise et de son admiration , et ne sut trouver de formules suffisantes pour me témoigner sa reconnaissance. fJe lui fis observer qu'il y avait des moyens pour rendre beaucoup plus blancs les produits qu'il avait sous les yeux. « Mais je puis m'en passer, me répondit-il y le sucre que je reçois de Moka ne surpasse point en blancheur celui que j'obtiens ; car, ajouta-t-il , me voici en état maintenant de le préparer moi-même. »
, En effet, depuis lors, Sahlé-Sallassi en fabrique pour ses besoins; jusqu'à présent il en tirait annuellement de Moka quelques centaines de livres. L'usage du sucre n'est pas répandu encore parmi ses sujets. Je fis comprendre à Sahlé-Sallassi combien il pourrait augmenter ses revenus avec Ja fabrication du sucre , s'il l'établissait sur une échelle assez vaste pour
en exporter en Arabie , et tous les avantages qui résulteraient pour lui de ce commerce. Il conçut très-bien cette idée, et me dit que je ne devais plus le quitter, qu'il ne voulait plus se séparer de moi. S'il entreprenait de fournir du sucre aux marchés des côtes de la mer Rouge, je ne doute pas qu'il n'en vendît considérablement. Il ferait concurrence à Bombay, à Surate, etc., qui jouissent exclusivement aujourd'hui de cette branche d'importation dans le golfe Arabique.
Mais , ce qui serait plus important encore, il créerait entre l'Abyssinie et la mer une route commerciale où l'Europe viendrait bientôt chercher les denrées , les matières premières de l'Abyssinie et ouvrir de nouveaux débouchés à ses produits. Peu à peu, avec l'activité commerçante, avec les besoins et les goûts qu'elle amène à sa suite, la civilisation se ferait jour jusqu'à l'Abyssinie, et cette grande et belle contrée ne tarderait pas à prendre dans le monde le rang que lui assignent les richesses naturelles de son sol et les qualités remarquables de sa population.
Dans le cours de la conversation , je dis à SahléSallassi que , non loin du lieu où nous étions, il possédait un trésor enfoui dans les entrailles de la terre. A ce mot de trésor, je crus m'apercevoir qu'il me prenait pour un magicien; je le dissuadai bientôt en lui expliquant la découverte que j'avais faite d'une mine de
houille aux environs de Tiannou : je lui en présentai des échantillons, et j'essayai de lui faire comprendre l'utilité du charbon de terre en lui apprenant qu'il donne une chaleur beaucoup plus forte que le charbon de bois.
A quoi me servirait-il de creuser la terre , me répondit-il en riant , lorsque ce qu'elle offre à sa surface me suffit. Nous eûmes à la suite de ces paroles un long entretien minéralogique. Il me demanda si je n'avais pas trouvé de mines d'or dans son royaume; je lui dis que je n'en avais point vu , mais que j'avais découvert un minerai de plomb argentifère qui contenait peut-être assez d'argent pour être exploité comme mine de ce métal. Je lui montrai aussi des minerais de mercure sulfuré , de cuivre , de fer hydraté , ramassés sur son territoire. « Rochet, me dit-il alors, tu es précisément l'homme que je rêve et que je cherche depuis longtemps; j'espère trouver le moyen de te fi,xer auprès de moi. » Je le remerciai de l'intérêt affectueux que respiraient ses paroles ; mais je Jui dis qu'il n'était pas dans mes intentions de faire chez lui un long séjour ; il savait que mon passage dans ses États n'était que le début d'un voyage bien plus important que je méditais au cœur de l'Afrique. En arrivant dans le royaume de Choa , je n'avais compté d'abord m'y arrêter que quelques jours;
seules, ses pressantes instances et la réception cordiale que j'avais trouvée auprès de lui avaient pu me retenir déjà si longtemps.
Mais à peine étais-je retourné chez moi, que SahléSallassi envoya chercher le petit Berrou, jeune homme plein d'intelligence , placé auprès de moi pour veiller et pourvoir à tous mes besoins ; il lui donna de longues instructions et me le dépêcha de nouveau, après l'avoir endoctriné avec soin. Berrou vint me dire que son maître désirait me donner en mariage une de ses parentes, et se fit le pressant interprète de ses vives instances; déjà, une première fois, il m'avait proposé une de ses esclaves.
Je fus à la fois étonné et touché de cette offre nouvelle et de l'affection profonde dont elle était la preuve; mais ma résolution était bien arrêtée, je ne voulais à aucun prix échanger et ma patrie et mes projets contre la plus belle position du royaume de Choa après celle du souverain; je renvoyai Berrou au roi et le chargeai de lui dire que mon mérite n'était pas au niveau de l'éclatante faveur qu'il m'accordait; que certes je m'estimerais infiniment honoré et trop heureux de m'allier à sa noble famille, si de graves Motifs ne s'y opposaient; que je le suppliais donc de recevoir mes plus vifs remerciments pour son offre si flatteuse, et mes humbles excuses pour mon refus
respectueux; j'ajoutai que, par les avantages que pourraient lui procurer mes services, je ferais tous mes efforts pour lui prouver ma reconnaissance; en un mot, les termes de ma réponse étaient de ceux qui, avec les formes les plus polies, éloignent toute insistance importune.
Le 27, je reçus une invitation à dîner d'Ayta-Sartevolte, le haut fonctionnaire chargé spécialement des étrangers; il avait eu l'attention de s'informer, auprès de mes domestiques, de la manière dont je me nourrissais; ce qui fit que je trouvai chez cet excellent homme un dîner préparé à peu près à l'européenne. Sa femme assistait à ce repas; je ne fus pas peu surpris de voir l'office qu'elle y remplissait : assise à côté de son mari, sa seule occupation était de lui donner à manger; elle lui portait les morceaux à la bouche comme l'on fait chez nous pour les petits enfants qui ne savent pas encore prendre seuls leur nourriture. Sartevolte voulut me donner un semblable auxiliaire et me faire suivre le même cérémonial; je le remerciai et le priai de me permettre de manger suivant la coutume de mon payS.
Je lui demandai si c'était un usage consacré dans le royaume de Choa, que les dames servissent leurs maris de la sorte; il me répondit que oui, qu'elles n'avaient pas à table d'autre fonction. Cette face nouvelle, sous laquelle je voyais le despotisme de l'hommc
s'exercer sur la femme , contrariait singulièrement toutes mes idées européennes et surtout françaises de galanterie et de prévenance envers les dames. Ayta-Sartevolte m'interrogea longtemps sur l'Europe et sur la France : ses questions, comme celles du roi, embrassaient le gouvernement, les ressources militaires, l'industrie, etc. ; il était émerveillé de tout ce que je lui disais. Je le priai de me parler, à son tour, de l'histoire de son pays ; il ne fit point de difficulté et commença sa narration, dont je vais retracer la substance.
Jusqu'au xvie siècle, l'histoire du royaume de Choa se confond avec celle de l'empire d'Abyssinie, dont il n'était qu'une province, mais l'une des plus grandes et des plus florissantes. Bruce a écrit l'ensemble de cette histoire : je n'en parlerai pas, car mon intention est de me borner au royaume de Choa; je l'appellerai seulement, d'après le récit de l'illustre voyageur, que la première apparition marquante que fait l'Abyssinie dans l'antiquité est le fameux voyage de la reine de Saba, attirée à Jérusalem par la renommée de Salomon. Le souvenir de la reine de Saba domine les fastes de l'Éthiopie; au retour de son expédition romanesque, la reine de Saba introduisit la religion hébraïque parmi ses sujets et consacra, dans Srs États, une foule d'usages empruntés au peuple
juif : elle fut la souche de la famille royale, qui, de tout temps, s'est vantée de tirer son origine de Salomon ; toute cette histoire primitive est confuse r embrouillée, dénuée d'intérêt. Au 111e siècle de notre ère, l'évêque Frumenlius, disciple de Saint-Athanuse, introduisit le christianisme en Abyssinie : tant qu'il vécut, l'orthodoxie y régna; mais, après sa mort, les nombreuses hérésies qui remplissaient l'Orient s'y glissèrent successivement et s'y mêlèrent à la faveur de l'ignorance générale. Le xe siècle vit s'accomplir une grande révolution politique. Il existait, sur la montagne du Samen, dans le nord, une population juive qui vivait indépendante sous lajuridiction de princes sortis de son sein ; une femme de la famille de ces princes, nommée Judith, s'empara de l'autorité malgré la prescription de la reine de Saba, qui avait exclu les femmes du gouvernement; mais l'audacieuse Judith poussa plus loin et plus haut encore son active ambition; elle surprit et massacra la famille impériale, et usurpa le trône d'Abyssinie. Un seul rejeton de la race de Salomon, Del-Nahad, échappa à sa cruelle trahison; il fut sauvé et conduit, t par quelques nobles d'Amharra, dans la fidèle province de Choa. L'autorité des empereurs légitimes fut bornée, jusqu'à la fin du xine siècle, au royaume de Choa ; ils y choisirent pour capitale la ville' de Tégoulet, qu'ils fondèrent et qui n'est plus aujourdhui qu'un misérable
village où l'on ne voit aucune trace des constructions grandioses dont les jésuites ont parlé. Enfin, en 1268, Un descendant de Judith, quoique régnant sans contestation sur les États que lui avait légués cette barbare princesse, reconnut lui-même que son autorité était usurpée, et, la remettant entre les mains qui en étaient les dépositaires légitimes, il réintégra la race de Salomon dans l'empire d'Abyssinie. ioso?
Ayta-Sartevolte choisit les premières années du XVIe siècle pour point de départ de son récit. A cette époque, où le royaume de Choa commença à être le théâtre d'événements importants, il reconnaissait à peine la suzeraineté de l'empereur d'Abyssinie; les liens de dépendance qui l'unissaient à ce souverain étaient presque entièrement usés. Il avait alors à sa tête un roi nommé Zara-Jacob, qui tenait sa résidence sur la Montagne d'Indotto, à 59 lieues sud-ouest d'Angobar : l'autorité de ce prince était despotique et son gouvernement absolu ; il fut sans cesse occupé à résister aux ennemis du dehors, les Adels et les Gallas, qui attaquaient son royaume de tous côtés, et à réprimer les dissensions sanglantes qui le déchiraient à l'intérieur.
Ce fut sous son règne, qui dura 30 années, que les Gallas entrèrent en masse dans le sud de l'Abyssinie; ils séparèrent le royaume de Choa de celui de Kambat, qui faisait alors partie de l'empire abyssin, et où, aujour-
d'hui même, chose entièrement ignorée, il y a encore un roi chétien; ils poussèrent leurs conquêtes jusqu'au Djindjiro, au Caffa et au Gouragué, sans que le roi Zara pût leur opposer d'obstacles sérieux; ces redoutables envahisseurs venaient du sud-est de l'Afrique. Zanguebar paraît avoir été le point de départ de leurs migrations guerrières : cette contrée est en effet habitée encore par des kabiles gallas; du reste, ils ne sont certainement pas originaires du continent africain; une vieille tradition enracinée chez eux les représente comme ayant traversé deux mers, une petite et l'autre grande, avant d'avoir touché aux côtes de l'Afrique : ces deux mers sont probablement le golfe Persique et l'océan indien. Leurs caractères physiques, qui annoncent en eux des rejetons de la race caucasique, ne démentent pas la vraisemblance de cette version populaire.
Mais, en 1517 (1), une invasion, plus formidable encore que celles des Gallas, fondit tout à coup su" les provinces orientales du royaume de Choa. Une armée de Saumalis et d'Hararguis, conduite par nl1 chef audacieux et fanatique, nommé Mahamet-Gragne, entra dans la province d'Éfat-Argouba, et en avait
(1) Les dates d'Ayta-Sartevolte étaient calculées d'après l'ère cophte; je les ai fait coïncider avec notre ère. Quoiqu'il fût quelquefois en désaccord avec Bruce, je n'ai rien voulu changer à la manière dont il me pn'- senla les faits.
déjà forcé les habitants à embrasser l'islamisme, lorsque Zara-Jacob marcha à sa rencontre. Les deux armées en vinrent aux mains; le roi fut complètement défait ; il laissa sur le champ de bataille la plus grande partie de ses soldats, et alla se réfugier dans Indotto avec le peu de troupes qui lui restaient; il y mourut quelque temps après, laissant le royaume à son beaufrère Lébenet-Denguel.
Mahamet-Gragne ravagea alors à son aise ce pays désarmé qui ne lui présentait plus de résistance; toutefois l'empereur d'Abyssinie, David, appelé par les souffrances de ses sujets éloignés, vint à leur secours et combattit Mahamet-Gragne dans la province d'Amharra : la victoire fut encore fidèle au conquérant saumali ; il tailla en pièces presque toute l'armée de David, et retourna ensuite dans son pays avec un butin niimense.
L'empereur ne se découragea point ; voyant avec raison dans les troubles intérieurs auxquels l'Abyssinie était en proie la principale cause des succès de ses ennemis, il voulut anéantir pour toujours les dissensions religieuses, qui en étaient le prétexte éternel, et rendit dans ce but une ordonnance par laquelle il accordait à toutes les sectes, à toutes les religions, le libre cxçrcice de leur culte.
En 1519, Mahamet-Gragne traversa, au sud-sud-
ouest, les provinces des Ad-Alis, et rentra de nouveau dans la province Amharra, suivi d'une nombreuse armée composée d'Hararguis, de Saumalis et de Gallas.
David n'avait pas encore assez de forces pour oser aller au-devant de ce terrible adversaire : afin de recruter des soldats, il fit publier que tous ceux de ses sujets qui viendraient se ranger sous sa conduite seraient exempts pendant 7 ans de toute espèce d'impôts. Il réussit par ce moyen à recomposer son armée, et, de concert avec Lébenet-Denguel, il marcha contre l'ennemi commun; mais les deux princes furent battus plusieurs fois. Lébenet-Denguel se retira à Indotto; David se déroba dans la province d Quelle; les chefs décourages de son armée l'abandonnèrent. Sa cause était presque perdue, et l'Abyssinic chrétienne, vaincue, désolée, traversée en tous sens par la dévastation et la mort, se voyait réduite à renier sa religion pour adopter celle de Mahomet , lorsque , tout à coup
500 Portugais arrivant à son secours vinrent la relever de ces désastres.
Ces puissants auxiliaires avaient été envoyés à l'cm" pereur d'Abyssinie sur les instances d'un ambassadeur arménien, qui était allé pendant sa minorité implorer, de la part de sa mère, le secours du roi de Portugal contre les musulmans. David mourut peu de teinps après leur arrivée. Claudius, son fils et son successeur,
l'assembla les débris de ses troupes, les réunit à celles de Lébenet-Denguel, et alla se joindre aux libérateurs inespérés de son pays.
Les Portugais livrèrent d'abord à Mahamet-Gragne plusieurs combats peu décisifs, dans l'un desquels Lébenet-Denguel perdit la vie. Les succès paraissaient balancés des deux côtés, lorsque, dans une bataille engagée au mois de juillet 1537, un soldat portugais tua Mahamet-Gragne d'un coup de fusil. La mort de ce chef, qui portait l'effroi dans toute l'Abyssinie, rompit le prestige et le joug sous lesquels cette grande contrée ployait depuis 20 ans. Telle était la terreur inspirée par Mahamet-Gragne, que les habitants du royaume de Choa attribuent encore sa fin à des causes merveilleuses : ils racontent que cet Attila africain était d'une taille gigantesque, et qu'il a fallu 500 hommes, montés sur 500 chevaux, et 500 coups de fusil pour le tuer.
Privés de leur chef, dont la terrible renommée faisait la plus grande force, les Saumalis et les Adels se dispersèrent : le territoire abyssin redevint libre et indépendant.
Au milieu de ces violentes secousses, les faibles liens qui unissaient encore les diverses parties de l'Abyssinie •se brisèrent, et plusieurs royaumes se formèrent des débris ded'empire. Le fils de David, le négous Claudius, vit son influence resserrée à peu près dans les
limites du royaume de Choa, et y fixa sa résidence.
Mais les Gallas ne le laissèrent pas tranquille; ils empiétèrent peu à peu sur ses Etats, poussèrent leurs conquêtes jusqu'à Gouderou, Annaria, Zamettia, Metta, et vinrent même attaquer Claudius sur la montagne d'Indotto, qu'ils le forcèrent d'abandonner : le roi se retira alors à Tégoulet. A sa mort, qui arriva en 1559, son autorité passa entre les mains d'un de ses parents, nommé Négassi.
Négassi est le premier roi de la dynastie de SahléSallassi; ce prince fait remonter par lui sa généalogie jusqu'aux plus anciens empereurs de l'Abyssinie, descendants eux-mêmes de Salomon, et puise dans cette illustre origine une grande partie de la haute considération, dernier vestige d'une suzeraineté depuis longtemps évanouie, dont son nom est entouré parmi les populations diverses de cette contrée. Négassi, ralliant autour de lui le petit nombre de chrétiens demeurés fidèles à leur religion, s'efforça de rétablir l'union parmi ses sujets. Reculant devant les Gallas d'Onello, qui le menaçaient au nord, il quitta Tégoulet et vint fonder, à 7 lieues plus au sud, la ville de Débrabrame, où l'on voit encore les ruines d'un palais qu'il se fit construire. C'est un grand carré long, divisé à l'intérieur par des murailles en grosses pierres dé taillé, qlie lie entre elles un ciment argileux : on n'y remarque nI
colonnes, ni fuis, ni chapiteaux , ni aucune espèce d'ornements sculpturaux qui puissent indiquer l'ordre d'architecture auquel ce monument appartenait; il ne présente aucune inscription. Sur sa fin, le règne de Négassi fut tout aussi orageux que celui de ses prédécesseurs; il mourut l'an 1577, laissant le royaume en proie aux guerres civiles; on l'enterra à Gondi.
Son fils Habieh fut élu roi et placé, malgré sa jeu- nesse, à la tête du gouvernement. Les Gallas profitèrent de son inexpérience pour étendre leurs conquêtes; le royaume de Choa tomba presque en entier entre leurs mains : Débrabrame, Angobar et les environs de ces villes échappèrent seuls à leur joug. Effrayée des rapides progrès de ces nouveaux conquérants, la pro- vince d'Éfat-Argouba, se voyant menacée dans un avenir prochain , implora l'alliance du roi Habieh.
Celui-ci, profitant de cette circonstance, reprit sur elle les droits de souveraineté qu'avaient exercés ses ancêtres; il finit par arrêter les débordements des Gallas, et mourut en 1637, regretté de la nation entière, après Un règne de 60 ans : il fut enseveli à Gondi, non loin de son père. !
Son fils aîné, Sebesti, lui succéda : il ne fit rien pour augmenter sa puissance et le bonheur de ses sujets; il régna 33 ans et fut aussi enterré à Gondi ; il eut pour fils et pour successeur Haïellou-Jesous, qui soumit la
provincedeBoulgaetmouriiten 1707. Haïellou fui remplacé par Osfa-Oisen, son fils ainé. (La dignité royale se transmet héréditairement dans le royaume de Choa, et par ordre de primogéniture.) Ce roi fit construire quelques chaumières à Angobar, où il venait passer quelques mois de l'année, mais sa résidence ordinaire était Débrabrame, l'ancienne ville des rois de Choa; il fut le premier qui taxa d'un léger impôt chaque village de ses États, et se créa, par ce moyen, un revenu annuel dont n'avaient pas joui ses prédécesseurs : il mourut en 1755 et fut enseveli à Angobar.
Oiscn-Scgguéde, son fils, et père du roi actuel, lui succéda. Ce prince se distingua par son habileté et sa bonté; excellent guerrier, il se fit respecter et craindre des Gallas; il sut très-bien organiser ses États; il comprit qu'il ne pourrait avoir une nation unie, quoique divisée par trois religions différentes, qu'en introduisant au milieu de ces cultes la plus impartiale tolérance : aussi accorda-t-il indistinctement ses faveurs aux musulmans et aux païens, de même qu'aux chrétiens. Il fit plusieurs gouverneurs musulmans dans la province d'Éfat-Argouba, et éleva des Gallas aux fonctions de kachefs ; il transporta sa résidence ordinaire de Débrabrame à Angobar : cette dernière ville lui convenait mieux à cause de la position centrale qu'elle occupe dans le royaume. Il protégea les arts, se mon-
ira l'ami des étrangers , et fut chéri comme un père par tous ses sujets. Les prêtres, jaloux de sa politique tolérance, le firent assassiner par son principal eunuque, en 1807. Il fut enseveli non loin d'Osfa-Oisen, dans un tombeau qu'il s'était fait construire pendant sa vie, auprès de l'église Séné-Mariam.
Lorsque Sahlé-Sallassi, son fils ainé, monta sur le trône, il n'avait que douze ans; son premier soin fut de venger la mort de son père : il fit brûler vif son meurtrier, enveloppé dans une to;le de coton imprégnée de cire, à laquelle on mit le feu. Plein d'intelligence, de courage, d'activité et d'ardeur, il poursuivit l'œuvre d'Oisen-Segguéde, consolida son ascendant sur les tribus gallas, soumit, il y a dix ans, toutes les kabiles qui occupent l'ouest de son royaume, et a dompté entièrement la kabile abitiou, l'une des plus nombreuses et des plus vaillantes; c'est lui qui a fondé la ville d'Angolola, assez avant au milieu des Gallas, pour les dominer par sa présence. « Notre roi, me dit (.0 terminant Ayta-Sartevolte, est un savant distingué; H a fait en guése (l'ancienne langue élbiopique) plusieurs poésies fort estimées des hommes lettrés. Il ne gouverne pas en despote; il est le père de ses sujets; aussi tous, païens, musulmans ou chrétiens, donneraient leur vie pour lui. Salilé-Sallassi encourage de 10ut son pouvoir les arts et le commerce; il est l'ami
des étrangers, des blancs surtout : en un mot, jaloux de sa réputation, il ne rêve qu'au bonheur du pays que Dieu lui a confié. »
Lorsque Ayta-Sartevolte eut achevé son récit, je le remerciai de l'obligeante complaisance qu'il m'avait témoignée; notre entretien, prolongé par la double traduction à laquelle nos paroles réciproques étaient soumises, avait duré fort avant dans la soirée. La douce et jolie femme de Sartevolte y avait assisté sans y prendre part. Il m'avait aussi montré ses enfants; une petite fille de huit ans et un garçon de onze, tous deux vifs, pleins de gentillesse, et dont je gagnai bientôt les bonnes grâces, avec quelques petits cadeaux.
La chaumière du seigneur abyssin était éclairée par les grandes torches que tenaient des domestiques debout; j'ai eu l'occasion d'indiquer la puissance lumineuse de cet éclairage. Du reste, il n'y avait dans cet intérieur rien qui méritât de fixer particulièrement l'attention; c'était la simplicité ordinaire des maisons du royaume de Choa, même absence d'ornement et de luxe, et aussi même apparence de propreté. Tandis que nous parlions, plusieurs domestiques étaient attentifs à nous verser de l'hydromel; notre conversation, ainsi échauffée par l'intérêt des matières qu'elle embrassait et par cette délicieuse liqueur, se termina fort tard. Lorsque je pris congé de mon hôte, il me
promit de m'envoyer le lendemain un guide pour me conduire dans les excursions que je désirerais faire aux environs de la ville; il était minuit lorsque je rentrai chez moi. Le roi avait ordonné de m'ouvrir les portes de l'enceinte de ses chaumières, quelle que fût l'heure à laquelle je me présenterais.
Le 28, le jour commençait à peine à paraître, lorsque le guide de Sartevolte arriva. J'allai avec lui visiter le tombeau d'Oisen-Segguéde : il est situé au sud de la ville, à l'extrémité du plateau. Cet édifice n'est autre chose qu'une chapelle circulaire, vaste et très-élevée, surmontée d'une toiture conique : au milieu des sombres massifs de cèdres et de cyprès qui l'avoisinent, elle offre un aspect pittoresque ; du point où elle est située, la vue embrasse des perspectives superbes de plaines ondulées, de coteaux doucement inclinés, immense tableau coupé çà et là par des collines abruptes, aux pentes roides, aux cirnes escarpées : c'est avec bonheur que, de ce lieu élevé, l'on admire au matin, sous le ciel qui en accuse tous les accidents, ces grandes plaines, ces vallées, ces pics noyés dans les flots de lumières répandus sur eux par le soleil levant (lui couvre d'une nappe dorée leur opulente verdure.
Certes, pour son exposition, le tombeau d'Oisen-Seg- îïuéde est magnifique : mais en lui-même il est loin d'être tel aux yeux d'un Européen. Les parois inté-
rieures de la chapelle qui l'abrite sont crépies, et blanchies avec du carbonate de chaux ; un artiste peu habile les a recouvertes de peintures à la fresque, oùsont grossièrement retracés des batailles entre les Abyssiniens et les Gallas, des chasses aux animaux féroces, et des banquets royaux, ici les guerriers sont représentés avec les costumes et les armes de leurs temps, les mêmes, du reste, que ceux d'aujourd'hui ; là le roi, à cheval, poursuit avec ardeur, atteint pÜ tue d'un coup de lance tantôt un lion ou une panthère, tantôt un buffle sauvage, un zèbre ou un éléphant; ailleurs, autour des tables du roi , se pressent une multitude d'Abyssins, placés suivant leurs rangs et leurs grades. L'auteur de ces peintures est un Grec qpO isen-Segguéde fit venir de Gondar, lorsqu'il construisit son tombeau. Le dessin en est , les couleurs sont très-vives et, bien conservées. Au milieu de la salle s'élève le tombeau : c'est un carré en terre battue, haut de 5 pieds, qui en a près de 50 de périmètre; un magnifique tapis de Perse le recouvre; une petite lampe, allumée seulement les dimanches et les jours de fête, est suspendue au-dessus du mausolée; un des principaux prêtres du pays a les clefs de la chapelle et veille à sa conservation. Elle est tenue, en effet, avec un grand soin; il règne une propreté remarquable. En somme, ce
monument sépulcral ressemble assez au tombeau des rois à Thèbes.
Tandis que je l'examinai, mon drogman, vieillard de 65 ans, qui avait vécu du temps d'Oisen-Segguéde, me fit le panégyrique de ce prince, qui a laissé de beaux souvenirs dans le royaume de Choa.
Mon drogman était musulman, et, certes, musulman de bon aloi, puisqu'il avait passé 20 ans à la Mecque, employé à des fonctions religieuses auprès du tombeau du prophète; cependant, malgré la religion d'Oiscn, qui était chrétien, il m'en fit le plus pompeux éloge; il me vanta par-dessus tout sa générosité. «S il vous avait connu, me dit-il, il eût été homme à vous donner sur-le-champ la moitié de son royaume, etc.) Ce roi mérite certainement la réputation dont jouit sa mémoire; n'eut-il fait, pendant son règne, que rapprocher, cimenter les éléments hétérogènes dont se compose la population du Choa, son œuvre se fût-elle bornée à jeter les bases de la tolérance qui existe aujourd'hui dans cette contrée, son nom mériterait, à ce titre seul, d'être placé à côté de ceux des fondateurs d'empire; car, en introduisant l'union parmi ses membres divisés, au lieu du royaume affaibli que lui avaient légué ses ancêtres, il a laissé a ses descendants un État puissant et plein d'avenir, rendant mon séjour à Angobar, je fis plusieurs
visites aux premiers personnages de cette petite ville; j'aimais à me promener à travers les sentiers qui la parcourent en s'entrelaçant. Angobar est coupé dans sa longueur par une rue assez large; hormis cette voie principale, il n'y a d'autre passage frayé, au milieu des habitations, que d'étroits et sinueux sentiers; les maisons sont éloignées les unes des autres de quelques pas; il en est qui donnent sur les sentiers publics; mais la plupart ne montrent leur façade arrondie et leurs toits aigus que derrière les touffes fleuries et parfumées des buissons de leurs jardins.
Je me rendis, le 30, à Aleyou-Amba, dépôt central de la majeure partie des productions du pays. Il s'y tient, tous les vendredis, un marché où viennent s'approvisionner les étrangers qui font le commerce du royaume de Choa; j'y pris, sur ce commerce, des notes que je mettrai à profit dans le courant de ce volume.
Le jour où je retournai de cette excursion, le roi m'invita, pour le lendemain, à une chasse aux gourézas. Le 5 janvier, à six heures du matin, j'allai, à cheval, me joindre à une troupe d'une cinquantaine de personnes également invitées à cette partie. Le roi arriva quelques minutes après, monté sur un fort joli cheval. « Rochet, me cria-t-il, dès qu'il m'aperçut, nous allons aujourd'hui mettre ton adresse à l'épreuve, et nous verrons qui de nous deux sera le plus heureux
ou le plus habile. » Nous nous dirigeâmes, au galop, vers une montagne appelée Mâbrate, située à 3 lieues au nord d'Angobar; à huit heures, nous arrivâmes à un village nommé Denze, au pied de la forêt, où la partie de chasse était organisée. Cette forêt, la plus considérable de celles que j'aie vues dans le Choa, où elles sont très-rares, a près de 7 à 8 lieues de circonférence.
Elle renferme principalement des cèdres qui s'élèvent à une hauteur prodigieuse; on y voit aussi beaucoup d'oliviers sauvages, dont les proportions sont énormes.
Les Abyssins n'ont aucune idée du parti que l'on pourrait tirer de ces arbres précieux.
Les gourézas sont, je crois, les plus beaux singes du monde. On les prendrait, à les voir, pour des animaux de deuil. Leur fourrure est d'un noir magnifique que font ressortir une large tache blanche qui couvre leur visage, en partie, et une bande de même couleur, qui, partant du cou, parcourt leurs flancs et décrit, sur leur dos, une ellipse allongée qui s'arrête à la queue; celle-ci est terminée également par une touffe de poils blancs.
La chasse aux gourézas est pleine d'attraits et de difficultés. Ces singes, d'une agilité extrême, sautent d'un cèdre à l'autre avec une telle rapidité, que le chasseur a peine à les poursuivre, et souvent les perd de vue. Nous les vimos, à notre approche, grimper, ef-
frayés, au sommet des arbres les plus élevés, comme s'ils avaient conscience du danger qu'ils couraient ; ainsi blottis dans le feuillage, il est très-difficile de les ajuster. Lorsqu'on les a grièvement blessés, ils se cramponnent aux branches, si bien qu'il est impossible de les avoir, à moins de les frapper à mort; quoique ces .animaux soient très-nombreux, ce n'est jamais qu'avec une peine extrême que l'on parvient à s'en procurer.. W Les Abyssins ne chassent point avec ensemble, chacun poursuit le gibier à sa fantaisie : entrée dans la forêt, notre troupe se dispersa, et quand vint l'heure de partir, les trompettes nous rallièrent au lieu du rendez-vous, où chacun apporta son gibier. Je présentai deux gourézas; j'en avais blessé une quinzaine.
Le roi n'en avait eu qu'un seul; il était vaincu et nie
fit cadeau d'une belle mule, en me disant que, s'il eût été plus heureux que moi, il eût attendu de ma part un présent analogue. Tel est l'usage, en effet, lorsque le roi chasse, il donne des cadeaux à ceux qui l'ont surpassé, mais, en revanche, il tient à exercer son droit de réciprocité sur ceux de ses officiers dont la fortune a été moins brillante que la sienne; il gratifie de quelques pots d'hydromel tous les individus de classe iu- lérieure qui viennent lui montrer le produit de leur chasse.
Nous passâmes la nuit dans une propriété de SahléSallassi, voisine de la forêt; nous retournâmes, le lendemain, à Angobar; je remarquai, sur la roule, un grand nombre d'arbustes saponifères appelés indot en arnharric (phjtolaca abyssinica). Ces arbrisseaux ont de 4 à 5 pieds de hauteur; leurs branches commencent à un demi-pied du sol et s'étendent, pour la plupart, horizontalement; leur écorce est lisse et d'un vert argentin; leurs feuilles sont elliptiques; à leurs rameaux pendaient une multitude de grappes allongées, de couleur violacée, remplies de fruits, qui sont tous attachés au pédoncule commun, formant un pentagone régulier, divisé en cinq petites gousses, dont chacune renferme une petite amande lenticulaire, re-
couverte d'une pellicule noire: lorsque ces fruits sont parvenus à leur maturité, on les récolte, on les fait sécher, puis, pour s'en servir, on les pulvérise dans un mortier en bois, et avec cette poudre on forme une pâte employée à laver le linge. Cette pâte produit une écume semblable à celle du savon d'Europe; elle blanchit trèsbien le linge sans endommager les couleurs. On ne connaît point d'autre savon dans le royaume de Choa.
Le lendemain de notre retour, les petites pluies arrivèrent. Elles ne tombent pas comme les grandes, à line époque fixe, partout le royaume; leur chute est très-variable; à des distances fort peu éloignées, elles
surviennent neuf ou dix jours plus tard dans un endroit que dans un autre. Ces différences n'ont pas d'autres causes que les gisements divers des montagnes. Les petites pluies durent une quinzaine de jours; souvent elles sont accompagnées d'orages dont je vis une fois, à Angobar, un effet singulier et grandiose.
De pesants nuages poussés par le vent d'est venaient se rouler et s'entasser au bas de la montagne que couronne la ville, et la foudre jaillissait de leur choc, tandis qu'un autre orage s'accumulait sur le plateau.
Au-dessus et au-dessous de moi, les éclairs sillonnaient la surface bronzée des nuées épaisses; les roulements ininterrompus du tonnerre retentissaient sur ma tête et à mes pieds : je ne saurais peindre la poésie majestueuse et sombre que l'on respirait entre ces feux qui déchiraient les deux nappes parallèles des nuages, au milieu de ces explosions de la foudre, alternant du haut au bas de la montagne, ou s'unissant dans un duo terrible.
Je fus appelé, le lendemain, auprès de la reine; elle souffrait d'un mal de dents. Son principal eunuque m'introduisit dans son appartement : je ne vis rien de remarquabledans cette pièce. L'épouse de Sahlé-Sallassi était assise sur un sérir recouvert d'une ample étoffe de soie; un grand nombre d'esclaves debout, à ses côtés, semblaient attendre ses ordres. Elle m'accueillit
avec un regard curieux et un gracieux sourire; je m'inclinai respectueusement devant elle : lorsque je me relevai, elle m'expliqua son mal et m'indiqua où était le siège de sa douleur ; j'appliquai, sur la dent qui la faisait souffrir, un peu de coton imbibé d'acide muriatique, la douleur disparut comme par enchantement.
Cette cure, facile et brillante, m'assura une haute place dansl'estime de la princesse. Aussi eut-elle recours deux fois encore, dans la suite, aux lumières médicales dont 1 ignorance abyssinienne m'avait gratiné ; je n'ai été admis chez elle que dans ces trois circonstances, en qualité de médecin seulement, car il n'est pas permis de l'approcher. Elle est libre, d'ailleurs, de sortir lorsqu'elle veut; on la rencontre, assez souvent, dans ses promenades aux environs des villes, entourée d'un cortége nombreux de femmes et d'eunuques. La reine actuelle est âgée de trente-cinq ans, elle est chrétienne et a vu le jour dans le royaume de Choa. C'est une femme grande et forte, dont les traits et la tournure sont empreints de majesté.
Le 8, le roi me fit demander; il m'annonça que nous devions partir incessamment pour aller faire la guerre aux Gallas de Z a mettia. Sahlé- Sali assi a toujours tendu à pousser ses conquêtes au sud-sud-ouest de ses États, dans les provinces habitées par les kabiles indépendantes qui séparent le royaume de Choa de celui de
Kambal; aussi ne laisse-t-il échapper aucun des prétextes qu'elles peuvent fournir à ses attaques : il reprochait alors aux Zamettias-Gallas d'avoir pillé des caravanes chargées de café qui venaient d' Annaria et de Caffa, provinces situées à l'ouest de Choa, qui faisaient partie, autrefois, de l'empire abyssin. Ces caravanes apportent leurs produits à Aleyou-Amba. SahléSallassi me dit que, s'il laissait impunis les derniers vols dont elles avaient été victimes, cette branche du commerce de son royaume serait bientôt anéantie.
« Très-probablement, ajouta Sahlé-Sallassi, je te conduirai, pendant cette tournée, au Gouragué; nous irons ensuite à Souaé; au milieu du grand lac qui s'étend auprès de cette ville, se trouve une île où sont déposés la majeure partie des manuscrits abyssiniens que l'on a sauvés à l'époque de l'iiivasion de MahametGragne : nous la visiterons; je te conduirai aussi au lieu où l'Aouache prend sa source. » J'eus, dans cette circonstance, une preuve de l'éloignement du roi pour M. Graphfe.
J'annonçai, en effet, à ce missionnaire l'invitation qu'il m'avait faite de l'accompagner dans son expédition contre les Gallas ; il me témoigna le désir le plus vif d'être lui aussi de la partie ; je me chargeai d'en parlera Sahlé-Sallassi. Celui-ci refusa d'abord de l'admettre dans sa compagnie ; ce ne fut qu'après l'avoir
longtemps sollicité que j'obtins à M. Graphfe la faveur qu'il ambitionnait si ardemment.
Observations thermométriques recueillies, au mois de décembre, à Angobar. Le thermomètre de Réaumur marquait,
a 9 h. du matin : de 9 b. à 3 h. dm. : 20 décembre.. 10 degr. Ils 19 degr. 2^3. Vent du S.
2 1 t1 — 213 20 — 223.
22. 12 — 1^3 .21 - 113.
23. 13 — 0 22 — O., Vent d'E.
24 12 — 113 20 — 0.
25. t3 — 0 22 — 213.
26. 13 — 213 2'4 — 0.
27. 13 — 113 24 — 113. Ventd'E.-S.-E.
2'8. 14 — 2l3 — 0.
29. 14 — 25 — 113.
7 janvier 1840. 14 — 213 26 — 0. Vent d'O.
8 9 — 0 17 — 123. Vent du N.
9. 7 — 113 15 - 213.
10. 7 — - 0 16 — 0.
H 9 — 113 19 — 0. Vent du S.
12 8 — 213 17 — 0.
13. 9 — 0 17 — 1 123.
11 — 19101 20 — 40251.
14,22 centigrades.. 25,20 centigrades.
L'abaissement de température, au mois de janvier, n'est dû qu'aux
averses qui tombaient de temps à autre.
Quoique les pluies ne fussent point encore terminées, le 15, le roi, accompagné de ses deux fils et d'une suite nombreuse , partit pour Angolola. Les jeunes princes se nomment, l'un Béchéour, l'autre Haïellou. L'aîné, Béchéour , âgé de 16 ans , est un homme formé , d'une assez jolie taille et d'une physionomie heureuse ; la déférence que lui accorde son père, le respect que lui témoignent tous les habitants indiquent clairement que la royauté lui est destinée.
Le cadet, Haïellou , n'a que 14 ans ; il montre déjà de grandes dispositions militaires; son bonheur est d'organiser des troupes d'enfants , qu'il fait guerroyer entre elles. Jusqu'à présent, à la mort d'un roi, il était d'usage d'enfermer dans une espèce de fort inabordable et d'y tenir sous une étroite surveillance les frères du nouveau souverain. Cette coutume barbare épargnera Haïellou ; Sahlé-Sallassi m'a assuré qu'il comptait lui confier l'administration de l'une des plus belles sprovinces de son royaume.
Le roi me pria , pendant la route , d'accompagner ses deux fils à Débrabrame, auprès de leur grand'mére.
Ce fut pour moi une occasion très-favorable de lier connaissance avec ces jeunes princes. Je n'eus qu'a me louer de leur caractère et de leur amabilité. Arrivés à Débrabrame , petite ville située à deux lieues sud-est d'Angolola, qui n'a retenu de son ancienne splendeur
qu'une population de 2,000 à 3,000 âmes, nous logeâmes dans la même chaumière. Obligé de retourner promptement à Angolola , je ne devais partager leur demeure que pendant une nuit ; elle se passa en causeries ; mes curieux camarades de chambre ne cessèrent de me questionner sur la France et sur l'Europe. Je me levai de mon sérir comme je m'y étais couché; je n'avais pu fermer l'œil. « Il est inutile, nie dirent les princes en riant à gorge déployée , de nous demander mutuellement comment nous avons passé la nuit. « Avant de prendre congé d'eux, ils me firent promettre de retourner les voir à mon arrivée du Goura gué.
Leur grand'mère m'avait aussi fort bien accueilli.
C'est une femme de 70 ans environ : le roi lui témoigne beaucoup de respect ; de son côté, elle montre à ses petits-fils une grande afïection : elle fait à Débrabrame son séjour ordinaire; elle possède dans tout le royaume des propriétés immenses ; elle est adonnée à la dévotion la plus scrupuleuse ; les prêtres, profitant de cette disposition d'esprit, l'entourent et exercent sur elle une grande influence.
A mon retour à Angolola, je fus témoin de l'une des plus curieuses pratiques religieuses suivies par les Abyssins ; je veux dire le baptême, qu'ils renouvellent chaque année , le 18 janvier, en commémoration du
baptême donncà Jésus Christ sur les bords du Jourdain par saint Jean-Baptiste. Le 17, vers six heures du soir, tous les habitants, précédés par le clergé, se rendirent à la rivière Tchia-Tchia , à trois quarts d'heure de la ville; désirant connaître les détails de ce qui allait se passer, je voulus être acteur dans la cérémonie et je les suivis. La population répandue sur les bords du fleuve s'élevait, en comprenant les hommes, les femmes et les enfants, à 4,000 âmes à peu près. Un grand nombre d'habitants des environs vinrent à cheval se joindre à elle et participer à l'immersion commune. Tous attendaient, dans un pieux recueillempnt, le moment où ils devaient se plonger dans les eaux purificatrices du fleuve ; la douceur de la température et la sérénité du ciel-, dans l'azur limpide duquel on voyait scintiller les feux des plus petites étoiles , faisaient de cette nuit l'une des plus délicieuses entre les belles nuits dont jouit cette contrée bénie, étendue comme une immense oasis au milieu des aridités de l'Afrique : j'en aurais joui avec bonheur, si je n'eusse été troublé par les chants importuns des prêtres, qui ne cessèrent un instant leurs hurlements forcenés, que la foule écoutait sans y prendre part. Enfin de deux à trois heures du matin, le moment de la cérémonie arriva; alors, hommes, femmes et enfants se jetèrent dans l'eau tous indistinctement : ils y restèrent quel-
qutes minutes pendant lesquelles les prêtres crièrent de plus belle; puis, après s'être rhabillés, ils se donnèrent , en s'embrassant, le baiser mutuel de fraternité.
On attendit alors l'arrivée du roi. Le monarque vint à cinq heures ; il prit en particulier son bain religieux : lorsqu'il se fut revêtu, les prêtres, suivis des principaux personnages du royaume, allèrent lui baiser les mains. Ce cérémonial terminé, Sahlé-Sallassi semit à la tête de la foule, qui se forma en procession pour retourner à Angolola. On partit à sept heures.
Le roi ouvrit la marche, monté sur une très-jolie mule ; puis venait son escorte, dont les cavaliers, drapés dans des taubes éblouissants de blancheur, qui retombaient à plis flottants sur leurs chevaux, présentent un aspect superbe. Après l'escorte s'avançaient les prêtres : celui d'entre eux qui jouissait de la dignité la plus éminente marchait sous un dais; les autres défilaient sur deux rangs: ils récitaient en chœur des Antiques dont le custode battait la mesure sur une caisse roulante, tandis qu'eux-mêmes, tenant à la Main une petite croix de fer fixée par un pivot à un châssis de même métal qui l'encadre, imprimaient Un mouvement d'oscillation à cette croix, et accompagnaient leurs chants du tintement produit par le choc de la croix sur le châssis. Après eux, s'écoulait le peu-
pie, vêtu de ses habits de fête. Nous rentrâmes dans la ville à dix heures. Le reste de la journée fut consacré à un banquet splendide. Cette fête est la plus belle et la plus somptueuse qu'il y ait en Abyssinie.
LE GOURAGUE ET LES SOURCES DE L'AOUACHE.
La rivière de Tchia-Tchia. — Vallée de Maguel-Ouanze. — Rivière de Sana-Robie. — Montagnes de Garagorfou. — Un nuage de sauterelles. — Tombeaux gallas. — Vallon de Souloulta. — La kabile Moullo-Falladas gouvernée par une amazone. — Forêt de coussotiers.
—Les Mettas-Robie auxquels le roi vient faire la guerre. —Un combat avec les Gallas. — L'émasculation. — Les hameaux des MettasRobie sont pillés et livrés aux flammes.- Les Metlas-Robie viennent faire leur soumission. — Distinctions honorifiques accordées au guerrier qui a acquis le trophée de l'émasculation. — Chasse aux buffles.Montagnes de Gorba. — Province de Zamettia. — L'Aouache. —
Découverte de ses sources. - Soumission des Zamettias. — Retour à Angolola. — Montagne de l'Indotto. — Guermaman. — Rogué. —
Arrivée.
CHAPITRE VIII.
J'envoyai, le 19, un domestique à Angobar prévenir M. Graphfe que le départ pour le Gouragué était fixé au 22 : il arriva le 21 ; mais le roi se montra de nouveau décidé à ne pas l'admettre dans sa compagnie : il me fallut vaincre encore une fois sa répugnance, dont le missionnaire anglais eut à ressentir les effets dans tout le courant de notre voyage.
Notre départ d'Angolola s'effectua le 22, à huit heures du matin; l'armée, composée de 38 à 40,000 cavaliers et d'une infanterie peu nombreuse, se mit en marche dans l'ordre observé lors de l'expédition précédente; son vaste front occupait une ligne de 2 à lieues. Nous primes, à neuf heures, la direction sudOllest-quart-sud-sud-ouest; à dix heures, nous traversâmes la rivière de Tchia- Tchia; suivant un sentier à peine frayé, à une heure après midi, on passa un ruisseau nommé Belata : à deux heures, nous nous Prêtâmes dans une vallée nommée Maguel-Ouanze, entourée de collines verdoyantes couronnées de petits hameaux auprès desquels on voit s'élever plusieurs arbres sacrés; on planta les tentes royales dans ce lieu
ravissant; nous y fîmes notre station nocturne; nous étions sur le territoire de la kabile Abitiou-Gal- las.
Le 23, à sept heures du matin, nous continuâmes notre route dans la direction ouest, qui varia, un instant après, vers l'ouest-sud-ouest; nous traversâmes de vastes campagnes, et, à onze heures, nous fûmes sur les bords de la rivière Sana-Robie, que j'avais déjà rencontrée plus haut pendant la première expédition : au point où je la vis en ce moment, elle coulait du sud à l'est-nord-est; ce n'est qu'après avoir fait un grand circuit qu'elle se jette dans l'Aouache : elle forme, à louest-sud-ouest, une partie du territoire abitiou; on entre, immédiatement après l'avoir traversée, sur les terres des Gallas de la kabile Galânes: nous marchâmes quelque temps sur le territoire de ces derniers; à deux heures, nous fîmes halte pour passer la nuit dans un lieu nommé Gourdoman, sur le territoire de la kabile Aubéris.
Le 24, l'armée se mit en marche à huit heures du matin, nous avancions dans la direction sud-ouestquart-sud-sud-ouest; à neuf heures, nous prîmes la direction nord-nord-ouest, traversant un terrain bien cultivé, nouvellement ensemencé de blé, de théfle, d'orge, de dourah, de fèves, de lin, etc., alternant avec de magnifiques prairies; nous nous arrêtâmes
à quatre heures du soir, dans un lieu nommé Mouchella, terrain de la kabile Aubéri-Gallas.
Le 25, à sept heures, nous reprîmes la direction sud, vers une haute chaîne de montagnes nommée Gara- gorfou, qui s'étend, pendant 20 lieues, du sud au nord; le terrain présentait partout la même culture et les mêmes traces de fertilité que la veille : lorsque des carrés de culture se présentent ainsi au passage des escadrons, ils se détournent pour ne point les détruire.
A midi, nous vîmes s'élever devant nous, à une heure de distance, un nuage sombre et fort épais, qui pouvait avoir une lieue de développement; sa densité augmentait sans cesse, et, à mesure qu'il s'avançait, il grossissait à tout moment, si bien qu'enfin, à force de s'épaissir et de s'étendre, il obscurcit complé'ement l'horizon.
Ce nuage me parut présager un orage épouvantable ; je m'approchai du roi pour lui faire part de mes craintes : il me répondit, en riant, que le tourbillon que je redoutais n'était qu'une immense nuée de sauterelles, et que nous en serions quittes pour écraser sous les pieds de nos chevaux quelques milliers de ces insectes. J'avoue que j'eus peine à revenir de ma surprise et que je n'accordai qu'une foi médiocre à l'explication de Sahlé-Sallassi; on entendait le bruit sourd, le bourdonnement sombre et confus, avant-
coureur ordinaire de la tempête, et M. Graphfe r partageant mon illusion, vint me dire qu'il serait prudent de mettre pied à terre pour ne pas être culbuté par l'orage qui était près de nous.
Mais, un moment après, l'armée perça la nue mystérieuse, une innombrable multitude de sauterelles vint s'abattre au milieu de nous; leur masse était si épaisse, que l'on ne pouvait se voir à dix pas de distance : ce brouillard vivant nous enveloppa pendant une heure ; qu'on juge de la prodigieuse quantité de sauterelles qui se trouvaient ainsi réunies : pour moi, j'avais vu des sauterelles en Égypte, j'en avais rencontré à Toujourrades volées immenses, et, cependant, ce que j'avais vu jusqu'à ce jour n'avait fait que confirmer mes doutes sur ce que plusieurs voyageurs rapportent des émigrations de ces insectes; mes doutes se turent alors, je crus être témoin de la plaie formidable que Moïse appela sur l'Egypte.
Nous atteignîmes les montagnes à une heure : elles sont composées, en partie, de gneiss, granite-gneiss, de siénites porphyriques; on y remarque de temps en temps des veines de feldspath de différentes couleurs : elles sont parées d'une riche végétation.
En passant auprès d'un hameau situé sur l'un des mamelons de la chaîne, je remarquai trois tombeaux gallas dont la disposition gracieuse attira mon atten-
tion : chacun d'eux était entouré d'un mur sec re-
couvert d'une couche de terre au-dessus de laquelle s'élevaient des tiges d'aloès dont les belles fleurs étaient épanouies en ce moment; deux entrées étaient pratiquées dans cette petite enceinte, l'une au nord et l'autre au sud : à l'intérieur, le sol était parsemé de petites pierres graveleuses de différentes couleurs, formant une espèce de mosaïque par leur arrangement symétrique.
Les morts étaient ensevelis dans la direction de l'est à l'ouest; des pierres à peu près carrées étaient groupées au-dessus de leurs tombes : l'une de ces paisibles sépultures était ombragée par un cèdre magnifique; auprès d'une autre, un coussotier étendait l'éventail de ses branches fleuries : un mimosa répandait sur le troisième ses blanches fleurs et ses parfums : il y avait dans ces tombeaux quelque chose de souriant; ils ne rappelaient point, par de mornes apparences, les idées lugubres qu'éveille ordinairement le séjour des morts ; ils étaient comme un doux symbole de calme et de repos heureux.
A deux heures , nous nous arrêtâmes à Garagorfou même : ce lieu est la limite commune par laquelle se
touchent les territoires des Abitiou-Gallas, des Conbitiou-Gallas, des Galânes-Gallas et des Àubéri-Gallas.
Le 26, nous partîmes à neuf heures du matin; au
moment où nous nous mimes en route, il tombait une pluie assez forte mêlée de grêle. Nous suivîmes la direction que nous avions prise la veille, et nous traversâmes la chaîne de montagnes dans toute sa largeur, en passant sur le territoire de la kabile Conbitious; nous fîmes halte, à deux heures, au milieu d'un Vallon fertile, qui présente une circonférence de 8 à 9 lieues, et que plusieurs ruisseaux arrosent du sud-ouest au nord : ce vallon s'appelle Souloulta, nom qu'il emprunte à la kabile Gallas, à laquelle il appartient ; ce nom est aussi celui d'un village situé au pied des montagnes à l'ouest-sud-ouest, et où se tient un marché pour les esclaves, les chevaux, les peaux de léopard, etc.
,,- Le lendemain nous partîmes, à neuf heures du matin, en coupant le vallon de Souloulta dans la direction sud-ouest-quart-sud-sud-ouest; nous fûmes, à dix heures, sur le territoire des Gallas Moullo-Fallada : cette kabile offre une particularité remarquable; elle a à sa tête une femme nommée Chamieh, qui conduit elle-même ses sujets au combat : les Gallas qu'elle gouverne lui sont fort attachés; ils règlent, du reste, en conseil commun leurs affaires majeures. La belliqueuse Chamieh a déjà fait subir à 15 ennemis 1 operation barbare par laquelle les Abyssins et les Gallas se procurent, comme je le dirai bientôt, le trophée
militaire qu'ils estiment le plus précieux : il y a 5 ou 6 ans à peine qu'elle reconnaît la suzeraineté de Sahlé- , Sallassi. Conduit par des vues poliques, le roi a pris pour concubine la fille de cette vaillante amazone : il entretient avec elle des rapports très-amicaux, et, dans cette occasion, il venait lui prêter le secours de ses armes. Une chaîne de montagnes de hauteur moyenne, qui va du sud au nord-est, marque au sud la frontière des Moullo-Falladas. Elles sont parsemées de hameaux auprès desquels s'élèvent de petits bois de cèdres et de cyprès qui, par leur forme et la nuance de leur verdure, varient la physionomie du pays. Le plus gros de ces hameaux porte le nom de Moullo-Fallada ; les terres de la kabile dont ce village est la métropole Se composent de champs bien cultivés et de gras pâturages. Les naturels sont très-industrieux; ils travaillent le fer, font des charrues, des sabres, des lames, des mors, confectionnent des brides et des selles, et tissent des toiles de coton. A midi, notre arnrée fut grossie par l'adjonction de 2,000 cavaliers gallas; à une heure, nous entrâmes dans une petite forêt de coussotiers : les arbres qui forment ce bois sont beaucoup plus gros que ceux de cette espèce que j ai vus partout ailleurs. Il est peu de forêts qui Puissent présenter un aspect aussi magnifique ; car il
en est peu dont la verdure soit décorée, avec tant de profusion, de grandes grappes de fleurs aux couleurs éclatantes et diverses comme celles qui flottent aux branches du coussotier. Nous étions alors sur le territoire des Gallas Hada-Berga, alliés de la princesse Chamieh; à trois heures, nous nous arrêtâmes pour la nuit dans une vallée peu étendue, au milieu de laquelle coule, du sud au nord, un petit ruisseau nommé Billatchia.
Le 28, à huit heures du matin, nous prîmes la direction nord-ouest, et, après avoir traversé plusieurs collines de formation primitive, nous arrivâmes, à onze heures, sur le territoire des Gallas Metta-Robie, ceux auxquels Sahlé-Sallassi venait faire la guerre.
Ces Gallas savaient bien qu'ils ne pouvaient résister à la puissante armée du roi de Choa; aussi se gardèrent-ils de se mesurer contre toutes les forces de ce prince; ils se contentèrent d'escarmoucher avec son avant-garde. Je me trouvais en avant avec quelques escadrons, lorsque les Mettas-Robie se montrèrent dans la plaine; aussitôt qu'Ayta-Mèretchie, le chef du corps avec lequel j'étais, aperçut les Gallas, il nous fit mettre sur deux rangs, parcourut au galop notre front de la droite à la gauche, en brandissant sa lance, et entonna une chanson guerrière dont nous répétions en chœur le refrain (Sahlé-Sallassi moule ignllt
katellou Gallay par amour pour Sahlé-Sallassi, nous tuerons ces Gallas) ; puis, tous ensemble, nous brandissions de même nos lances et nous poussions de grands cris. Les Gallas exécutèrent les mêmes manœuvres, firent vibrer également leurs piques, et entonnèrent des chants analogues aux nôtres. Les deux partis marchèrent ainsi l'un contre l'autre au petit galop; mais, lorsqu'il n'y eut entre nous qu'environ 100 pas, nous nous chargeâmes mutuellement à grande carrière : aussitôt une pluie de lances tomba de part et d'autre. Chaque soldat en a deux ordinairement, l'une qu'il tient en réserve , l'autre qu'il jette à 20 pas de distance contre l'ennemi, avec une telle adresse, que rarement à cette distance il ne frappe pas là où il vise. Le choc fut rapide, et la mêlée ne dura pas longtemps. Les Gallas, nos adversaires, me considéraient avec une curiosité empreinte d'étonnement ; et, grâce sans doute à la surprise que ma couleur, mon eostume, mes traits firent naître en eux, aucun coup ne fut dirigé contre moi. Je vis les combattants, des deux côtés, acharnés à enlever à ceux qu'ils avaient atteints les organes sexuels de la virilité : c'est depuis l'invasion des Gallas en Abyssinie que l'opération barbare de l'émasculation s'est introduite dans les guerres dont ce pays est si fréquemment le théâtre. Les guerriers gallas et abyssins y procèdent avec une grande
dextérité; il leur suffit d'un coup pour enlever, avec leur sabre recourbé, les parties génitales de celui qu'ils ont frappé de leurs lances. Après la charge, les Gallas battirent en retraite; ils nous avaient laissé 35 trophées; 43 chevaux et 300 lances demeurèrent aussi en notre pouvoir. Il y eut de notre côté 30 morts et 90 blessés.
Dès que notre rencontre fut terminée, nous allâmes en rendre compte au roi; il envoya une partie de l'armée à la poursuite des fuyards. Quant à lui, il avait fait dresser ses tentes au milieu d'une prairie d'une très-grande étendue, arrosée par une rivière appelée Robie : elle prend sa source dans la montagne de l'Indotto; elle se divise en deux branches, dont l'une, sous le nom de Robic-Ouanze, coule du sud au nord, passe par la province de Metta, et va se jeter dans le Nil ; l'autre, que nous avions déjà rencontrée sous le nom de Sana-Robie, coule de l'ouest à l'est-nord-est, et mêle ses eaux à celles de l'Aouache. i La province de Metta est occupée par trois kabiles, les M etta-Robie-Gallas, les Metta-Voquidi-Gallas et les Metta- Votchia-Tchia- Gallas. Les coteaux qui environnent la prairie au milieu de laquelle nous fîmes notre station étaient couverts de hameaux; 011 pouvait en compter une centaine; leurs habitants s'étaient enfuis à l'approche de Sahlé-Sallassi; en les abandonnant ils avaient emporté avec eux ce qu'ils
avaient pu de leurs provisions, et emmené leurs bestiaux dans les forêts où ils étaient allés chercher un asile passager. L'armée du roi pilla leurs demeures, et leurs villages furent ensuite livrés aux flammes ; toutes les collines d'alentour furent couronnées en un instant des feux de l'incendie; lorsque vint la nuit, cette scène terrible de destruction, illuminant la plaine qu'elle entourait d'un cercle de flammes, présenta un spectacle imposant et sombre. Nous continuâmes à avancer le lendemain, dès huit heures du matin, dans la direction nord-nord-ouest; à une heure, le camp fut dressé dans un lieu nommé Darassou.
Le roi, à la tête de presque toute son armée, poussa plus loin à 3 lieues au nord; nous nous étions lancés à la poursuite des Gallas-Metta-Robie, qui s'étaient réfugiés chez les Gallas-Metta-Voquidi. Nous parcourûmes, en le ravageant, une partie du territoire de cette kabile, et nous nous arrêtâmes quelque temps sur une montagne d'où l'on voyait le cours du Nil; nous n'étions séparés du fleuve que par une distance d'une lieue et demie : mais, la nuit étant survenue, nous retournâmes coucher au camp.
Le 30, nous revînmes, à Metta-Robie, camper au Milieu de la plaine, au même endroit, à peu près, Où nous avions passé la veille. Le 31, au matin, les dallas ennemis se présentèrent au roi pour offrir leur
soumission; ils le prièrent de recevoir leur tribut et de ne plus les considérer comme hostiles à sa puissance, car ils étaient disposés à accepter la paix de la princesse Chamieh, avec laquelle ils étaient alors en guerre. J'ai peine à concevoir pourquoi les Gallas, qui ont encouru l'inimitié du roi et qui ne sauraient ignorer qu'ils seront forcés de céder aux moyens formidables de conquête dont il dispose, tardent si longtemps à faire leur soumission : ils attendent, pour cela, que leurs maisons soient en cendres, leurs moissons détruites, leurs champs dévastés; tandis qu'ils pourraient prévenir tous ces malheurs en venant s'amender auprès du roi lorsqu'il s'approche de leur territoire. Il faut rechercher la cause de cette insouciante imprévoyance dans le caractère national des Gallas.
Peut-être est-ce entêtement profond de leur part et se résignent-ils, inspirés par un fatalisme inflexible, à toutes les conséquences de la première résolution qu'ils ont prise. Peut-être aussi est-ce une preuve frappante de leur esprit belliqueux; peut-être les chances d'un combat où ils pourront accroître le nombre des dépouilles humaines qui constatent leur vaillance ontelles plus de prix à leurs yeux que leurs huttes, presque aussi faciles à reconstruire qu'à brûler, et que leurs moissons dont leurs terres généreuses leur rendront les produits à la saison prochaine. Quoi qu'il en
soit, ce mépris des conséquences de la guerre est une disposition morale qui rend les Gallas redoutables; il suffira toujours d'un conquérant audacieux pour soulever et réunir, par l'attrait des batailles, toutes ces kabiles divisées, et en faire une formidable armée d'invasion qui ira recueillir, partout où elle voudra, en Afrique, des victoires et du butin.
Le roi adhéra aux propositions des Mettas-Robie; nous passâmes la journée du 30 à recevoir leur tribut, qui consista en 15 chevaux, 50 bœufs, 12 taureaux, 18 vaches.
Le lendemain, à six heures du matin, le roi fit exécuter un soldat qui, se croyant inaperçu, avait émasculé un de ses compagnons; ce crime se reproduit fréquemment en Abyssinie. Le guerrier qui a enlevé les parties sexuelles d'un ennemi et qui peut les suspendre avec orgueil aux murs de sa chaumière comme la plus brillante des décorations, reçoit du roi une récompense flatteuse, et, ce qui est plus considérable encore, acquiert le droit de porter les cheveux longs. La chevelure bouclée en longs anneaux ou tressée en petites nattes est le signe distinctif des guerriers : ceux qui n'ont pas satisfait à la condition qui mérite cet honneur sont obligés de se raser tous les trois mois les cheveux : on dirait qu'ils ne possèdent pas dans sa plénitude leur dignité virile. Aussi
conçoit-on aisément combien chez ce peuple, que les idées guerrières dominent, on doit être impatient de faire ses preuves, et souvent il arrive que, lorsqu'ils sont sur le sol ennemi, les Abyssins ou les Gallas s'assassinent entre eux pour arracher à leurs compagnons le signe de victoire qu'ils n'ont pu enlever à leurs adversaires.
Nous continuâmes notre marche, à sept heures, en longeant, dans la direction sud-sud-ouest, une vallée couverte de pâturages. Nous nous arrêtâmes, à une heure, à l'extrémité de cette vallée, au pied d'une chaîne de montagnes qui va du sud au nord-ouest et sépare les Gallas-Metta-Robie du territoire de Zamettia.
Nous nous mîmes en route le 1er février, à six heures du matin, dans la direction sud-sud-ouest-quart-sud; à dix heures, on dressa les tentes dans un vallon appelé Djem-Djem, tapissé de prairies magnifiques et entouré de montagnes mamelonnées qui portent le nom de Gorba.
Ces montagnes sont ornées d'un grand nombre de petits bois de cèdres, d'une grosseur et d'une hauteur prodigieuses, qui pourraient servir à la construction et à la mâture des navires. Une multitude de gourézas habitent dans leurs branches; des buffles sauvages ont leurs retraites sous ces épais bosquets. Nous em-
ployâmes le reste de la journée à faire la chasse à ces animaux : le roi, à cheval, en tua un très-gros avec sa lance, qu'il lui jeta à dix pas. Trois autres tombèrent de même sous les coups de quelques officiers du prince.
Ces buffles sont excessivement féroces, aussi y a-t-il Un grand honneur à les abattre. L'Abyssin qui est assez heureux pour en tuer un obtient autant de considération que s'il avait fait mordre la poussière à 10 ennemis. Nous étions 5,000 cavaliers, peut-être tous ambitieux d'accomplir cet exploit. Un grand nombre d'escadrons couraient çà et là : les uns pénétraient dans les bois et traquaient les buffles dans leurs plus profondes retraites ; d'autres les attendaient au passage lorsqu'ils s'élançaient dans les prairies qui divisent les bosquets; souvent blessé, le buffle furieux se précipitait aveuglément sur une masse de cavaliers, qui se dissipaient à son approche et lui lançaient leurs javelots en fuyant; d'autres venaient l'attaquer par derrière, et le fougueux animal, sans cesse poursuivi, ne pouvant se venger sur personne, se précipitait de tous côtés au hasard jusqu'à ce que le coup mortel vînt l'atteindre. Cette scène se répétait partout; partout les cris des chasseurs se mêlaient aux beuglements des buffles ; de tous côtés les cavaliers, leurs taubes emportés par le vent, se croisaient, s'éparpillaient, se rejoignaient tour à tour. On a rarement vu,
j'imagine, de chasse plus animée, plus bruyante, plus périlleuse. Ce spectacle réunissait, dans des proportions grandioses, les attraits et les dangers des combats de taureaux et des chasses les plus violentes : je regrettai, en cette circonstance, de ne pas avoir rencontré d'éléphant, la lutte eût été plus animée encore, car la proie eût excité bien davantage l'ardeur de nos soldats : triompher d'un éléphant équivaut, en effet, aux yeux des habitants du royaume de Choa, à avoir remporté les dépouilles de 40 ennemis.
La chasse aux éléphants se fait simplement avec la lance. La partie se compose d'une cinquantaine de cavaliers au moins. Tandis que les uns amusent l'éléphant, les autres essayent de le frapper par surprise.
L'animal se précipite sur celui qui l'a blessé ; pendant qu'il le poursuit, de nouveaux coups lui sont portés; il se détourne alors pour se venger contre le chasseur qui l'a atteint le dernier. Sans cesse dépisté, il reçoit ainsi de nombreuses blessures; on continue à le traquer pendant plusieurs heures, jusqu'à ce qu'il tombe enfin épuisé par la perte de son sang.
Dans l'Abyssinie septentrionale, on attaque le colosse d'une manière plus hardie. Pendant qu'un cavalier le harcèle, un autre le suit, ayant en croupe un troisième chasseur, qui) lorsque l'occasion est favorable, se glisse à terre et, armé d'un sabre, va lu'
couper le jarret d'un des pieds de derrière : s'il y réussit, l'animal furieux frappe le sol avec désespoir, jusqu'à ce qu'il ait entièrement rompu le pied blessé, et se réduit lui-même à l'impuissance de poursuivre ses ennemis, qui le frappent bientôt mortellement.
Le 2, à huit heures du ma tin, nous reprîmes la même direction que la veille et nous traversâmes les montagnes Gorba ; elles sont de formation primitive; leur végétation est la même que celle des autres parties de l'Abyssinie que j'avais visitées ; elles sont peuplées d'éléphants, de buffles, d'antilopes, de chamois, de civettes et d'une infinité d'oiseaux d'espèces diverses.
A onze heures, on dressa les tentes sur le territoire des Gallas de la kabile Coutahi-Zamettias, auprès d'un ruisseau nommé Laga-Gontchia, qui coule de l'ouest-sud-ouest à l'est-nord-est, et forme la ligne de démarcation entre les Gallas-Metta-Robie et la province de Zamettia, province riche en café et en musc, et qu'occupent 12 kabiles.
Le roi, à la tête de son armée, alla , à 3 lieues plus au nord, à la poursuite des Gallas ennemis; ils avaient fui de toutes parts à son approche, laissant à sa merci leurs villages, qui furent pillés et incendiés. Nous arrivâmes à neuf heures sur une montagne au pied de laquelle se déroule une plaine immense, où l'Aouache serpente. Il prend sa source à l'ouest de la plaine;
dans cette partie de son cours, les proportions de ce fleuve sont très-médiocres. Sa profondeur, en ce lieu, était de 1 mètre à peine, et ses eaux, qui n'étaient encore grossies de celles d'aucun affluent, se développaient sur une largeur de 8 à 9 mètres. Le terrain qu'il parcourait était bourbeux, de grandes herbes épineuses bordaient ses rives de haies touffues; plus bas, des arbres de haute futaie commencent à les ombrager.
En traversant cette plaine, l'Aouache sépare au sud les provinces de Souâé, de Gouragué et des Soddo-Gallas, de celles des Gallas-Metta-Votchia-Tchia, BetchioAureppe et d'une partie de la province deZamettia.
J'étais trop rapproché des sources de ce fleuve pour vouloir m'en éloigner sans les avoir visitées. Comme les lieux où elles se trouvent appartiennent aux Gallas insoumis que Sahlé-Sallassi venait mettre à la raison, il eut la bonté de me donner une escorte qui me permit de satisfaire sans danger ma curiosité : les sources n'étaient qu'à 2 lieues du point où l'armée s'arrêtait. Nous y arrivâmes en traversant un terrain marécageux, trésdifficile à pratiquer, où nos chevaux s'embourbaient à chaque pas. Elles se composent de plusieurs mares de différentes grandeurs, situées à la surface du sol; les plus grandes de ces flaques d'eau peuvent avoir de cinq à huit minutes de circuit; quelques-unes communiquent entre elles : leurs dérivations réunies
en un seul ruisseau donnent naissance à l'Aouache.
Au nord de ces marais, s'élève une chaîne de montagnes habitées par les Gallas-Zamettia, dont le versant occidental est longé par le Nil. Une distance de 9 lieues environ sépare le Nil des sources de l'Aouache; ce qui prouve que là est le point culminant du royaume de Choa, celui d'où partent les inclinaisons diverses qui forment en se combinant la pente générale du terrain dans cette contrée.
Je fus de retour au camp à sept heures, j'eus un entretien le soir même avec le roi. En lui rendant compte de mon excursion géographique de la journée, je lui dis que l'on croit en Europe que l'Aouache prend sa source dans le lac de Souâé, situé à 15 lieues sud-sud-est des mares où l'on m'avait conduit; il me répondit que j'avais bien vu les sources réelles de l'Aouache, mais que l'opinion admise en Europe est fondée en un sens, car, dans la saison des pluies, ce fleuve reçoit les eaux surabondantes du lac de Souâé, Par un canal qui se trouve à sec après cette époque : J obtins les mêmes renseignements de plusieurs personnes qui avaient longtemps habité Souâé.
Un des chefs de Zamettia était venu faire sa soumission entre les mains de Sahlé-Sallassi, et s'était chargé d'amener lui-même sous son obéissance les kabiles indomptées juesque-là de cette riche province : le roi
ayant ainsi atteinl le but de son expédition résolut de ne pas aller plus loin. J'éprouvai une vive peine en le voyant renoncer au projet qu'il avait d'abord conçu de pousser jusqu'à Souâé : le trésor des manuscrits abyssins s'éloignait derrière moi, au moment où je me croyais sur le point de l'atteindre. Mes instances n'ébranlèrent point Sahlé-Sallassi ; il me dit qu'il satisferait plus-tard mon impatiente curiosité, lorsqu'une' nouvelle expédition le conduirait dans ces lieux.
Nous reprîmes donc, le 3, à sept heures du matin, dans la direction est-sud-est, le chemin d'AngololaDeux orages venaient d'éclater successivement sur nos têtes ; ils annonçaient l'arrivée des petites pluies dans cette contrée. Telle est la différence de saison qUI existe entre elle et l'est du royaume, quoiqu'ils ne soient pas séparés par une distance très-considérable que les campagnes au milieu desquelles nous marchions étaient fraîchement labourées, ensemencées, oU même commençaient à se couvrir de moissons nouvelles, tandis qu'à cette époque la récolte était encore sur pied à Angolola.
Dans la même journée, nous traversâmes une plaine où nous vîmes beaucoup d'excréments d'éléphants; un soldat trouva et apporta au roi une dent d'un de ceS animaux, mais nous n'en rencontrâmes aucun. NouS flmes halte à trois heures au pied de l'Indotto, won"
tagne très-haute complètement isolée, qui s'élève sous ta forme sphérique d'un dôme, à l'entrée de la plaine où coule l'Aouache. Cette montagne est renommée dans les annales de l'Abyssinie; les souverains de cet ancien empire y avaient établi pendant longtemps le siège de leur gouvernement. Le lieu où nous dressâmes nos tentes s'appelle Tchiafé-Aulata : c'est aussi le nom d'une ville voisine où sont réunis presque tous les Gallas de la kabile Mettas-Votchia-Tchia, sur le territoire desquels nous nous étions arrêtés.
Le 4, à huit heures du matin, nous poursuivîmes notre route, en tenant la même direction que la veille et en marchant vers une chaîne de montagnes habitées par la kabile des Gallas-Fine-Finies, qui lui donnent leur nom. Nous entrâmes à onze heures sur le territoire de cette kabile; nous fîmes un détour à midi, dans la direction est-sud-est, vers les montagnes de Siguâla; à trois heures, nous vînmes nous arrêter dans une vallée d'une grande étendue, nommée Léguinié, territoire des Gallas-Hâta.
Le 5, à huit heures, nous traversâmes de nouveau, dans la direction est-nord-est, le territoire de la kabile Fine-Finies ; nous passâmes à dix heures auprès de trois sources d'eau bouillante : ces sources sont placées horizontalement; l'eau en est sulfureuse; elle bout à grands jets. Non loin de là on observe, en plu-
sieurs endroits, la lave qui a coulé et formé des couches superposées de plusieurs pieds d'épaisseur. Nous arrivâmes à midi sur le territoire des Gallas Guermcimon; nous y vîmes la moisson à peu près terminée, amoncelée dans les champs et prête à être enlevée. En Abyssinie, les épis ne sont pas réunis en gerbe, comme chez nous : en attendant le battage du grain, les tiges mûries du blé, du thèfle, de l'orge sont liées par poignées et entassées ensuite dans la campagne par petits monceaux, en carrés longs.
Nous traversâmes, à une heure, une rivière appelée ThiappOj qui coule du nord au sud et va se jeter dans l'Aouache; son lit est couvert de lave. A trois heures, nous nous arrêtâmes dans un lieu nommé Thâfo, kabile de Guermaman. A 2 lieues de là, au nord, est une montagne assez élevée, appelée Hiérère J au pied de laquelle se trouve le village de Rogué, où il y a un grand marché d'esclaves. Les malheureux que l'on y vend viennent du Djindjiro, de Caffa, du Gouragué et de plusieurs autres provinces, où les Gallas se font continuellement la guerre pour se voler les enfants les uns aux autres. A Rogué, on a en moyenne un esclave pour 5 talari; on trouve aussi à y acheter des chevaux, des mules, des peaux de lion, de léopard, de panthère, et du café qui vient de Caffa, pays originaire de cette précieuse graine.
Le 6, à sept heures, nous nous mîmes en route, toujours dans la même direction; nous arrivâmes à onze heures sur le territoire de la kabile débitions; nous traversâmes plusieurs ruisseaux, qui, dans la saison des pluies, grossissent au point d'interrompre toutes les communications; à quatre heures, nous fimes halte à Kabatê, territoire abitiou.
Le 7, nous levâmes nos tentes dès six heures du matin; nous nous arrêtâmes à une heure dans un lieu nommé Barouga, situé à 2 lieues au sud de MaguelOuanze.
Le 8, à cinq heures du matin, toute l'armée partit au galop. Lorsque nous fûmes arrivés à demi-lieue d'Angolola, le roi commanda une halte de quelques instants pour revêtir son costume guerrier, comme il l'avait fait au retour de l'expédition précédente. Le clergé vint au-devant de lui avec la même solennité, au bas de la ville, pour lui donner la bénédiction.
Nous entrâmes à Angolola à onze heures.
GÉOGRAPHIE DU ROYAUME DE CHOA.
Sa forme, son étendue et ses limites. — Systèmes de montagnes qui coupent sa surface. — Les cours d'eau. — Les lacs. — Sources d'eau chaude. — Le volcan de Dôfâne. — Population. — Division du territoire entre les chrétiens, les musulmans et les payens. — Districts qui composent la province d'Éfat-Argouba.— Énumération des principales kabiles Gallas.
CHAPITRE IX.
Pendant les deux expéditions où j'avais accompagné le roi, j'avais traversé le royaume de Choa à peu près dans sa longueur et dans sa largeur. Ces deux tournées m'avaient fourni les moyens de me faire une idée précise de la structure générale du pays, de ses productions, de ses ressources, et d'en étudier la population dans les traits caractéristiques de ses races, dans ses mœurs et dans ses usages : je pense qu'il est temps d'exposer avec ensemble les diverses notions que j'ai ainsi recueillies.
Les provinces qui obéissent au roi de Choa forment une contrée à peu près circulaire, ayant environ 75 lieues de diamètre, enclavée entre le royaume de Gondar, qui la borne au nord, le royaume de Djindjiro, la province de Caffa, qui lui sont contigus au sudouest, le Nil, dont les eaux forment sa frontière occidentale, les montagnes habitées par les Aroussis ou Itou-Gallas au sud, et le pays d'Adel à l'est.
Cette surface présente cinq systèmes principaux de montagnes.
La première chaîne que l'on rencontre en venant de
l'est porte le nom d'Amba-Chaka : c'est la chaine d'Angobar; elle prend son origine dans le Boulga, province du royaume de Choa, à 18 lieues d'Angobar, et pénètre dans la province d'Ouello, appartenant au royaume de Gondar, à 38 lieues environ d'Angolola; elle va du sud au nord. Son versant oriental s'abaisse progressivement vers le pays d Adel ; son point culminant est la montagne de Métatite, située non loin d'Angobar; sa largeur peut être de 12 à 15 lieues.
A environ 40 lieues de distance s'élève , dans la même direction , la chaîne de Garagorfou. Elle prend naissance chez les Gallas de la kabile Guermaman et se termine au Nil. Elle représente une ligne de près de 35 lieues ; sa forme est semblable à celle de la chaîne d'Angobar ; elle élève ses gradins de l'est à l'ouest; sa largeur est de 3 à 4 lieues. Derrière les Garagorfou, à 7 ou 8 lieues de distance, une autre chaîne, oblique à l'égard de celles qui précèdent , va de l'est-sud-est à l'ouest-sud-ouest ; elle commence à Souloulta, et prenant dans sa longueur les noms des kabiles qu'elle traverse, se termine en s'élevant, dans la province de Zamettia , où elle sépare le bassin du Nil qui baigne son versant nordouest, du bassin de l'Aouache au sud-ouest ; elle paraît renfermer les pics les plus élevés du système.
Au nord de Garagorfou sont les montagnes Moguère,
qui courent, de l'est à l'ouest, sur une étendue de 18 à 20 lieues.
Enfin , plus loin encore, s'étend, du sud au nord, derrière l'Aouache, la chaîne des Soddo-Gallas, qui, partant du Souâé, va rejoindre au nord les montagnes de Zamettia.
Les directions des divers cours d'eau qui suivent les inclinaisons de ces systèmes de montagnes achèveront d'indiquer la pente générale du royaume de Choa.
Après le Nil, qui, descendant du nord au sud, fait une échancrure dans le royaume de Choa, où il décrit Un arc d'une trentaine de lieues, le principal cours d'eau est celui de l'Aouache. Ce fleuve prend sa source, comme nous l'avons vu, dans la province des GallasZamettia ; il coule du sud-ouest à l'est-nord-est et déverse ses eaux dans le lac d'Aoussa, après avoir traversé la partie méridionale du Choa et avoir parcouru une étendue de 200 lieues environ.
Du pied de l'lndotto s'échappe une rivière nommée Robie-Ouanze; elle se divise en deux branches dans la kabile de Metta-Votchia-Tchia-Robie. L'une, conservant le nom de Robie-Ouanze , va du sud au nord et se jette dans le Nil , après un cours de 18 lieues environ ; l'autre, prenant le nom de SanaRobie , coule de l'ouest au nord-est et se perd dans l'Aouache, après un cours de 30 à 35 lieues.
La rivière de Tchia-Tchia prend sa source dans le Boulga ; elle coule aussi du sud-ouest au nord-est ; elle porte ses eaux à l'Aouache.
Enfin l'Haoudheh sort du lac de Mafoute à 5 lieues nord-est d'Angobar, coule, comme les précédentes, de l'ouest au nord-est et rejoint aussi l'Aouache. D'après toutes ces données , on voit que la pente générale du terrain se dirige, dans le royaume de Choa , du sudouest au nord-est.
Il y a, en outre, dans cette contrée plusieurs petits lacs dont le plus important est celui de Souâé , situé au sud, dans la province de même nom : d'après les renseignements que j'ai pu obtenir, il paraît avoir de 9 à 12 lieues de circonférence. Ensuite vient celui de Léado , situé à l'est-sud-est, non loin de l'Aouache ; il a de 3 à 4 lieues de circuit. A 3 lieues plus à l'est sont quatre petits lacs nommés El-Lobello, éloignés les uns des autres de 5 à 6 minutes de distance, ayant chacun environ 20 minutes de circuit. Le dernier est celui de Mafoute dont j'ai déjà précisé la position, qui présente une longueur d'une lieue et demie à deux, sur une demi-lieue de large.
Je crois avoir suffisamment indiqué, dans le courant de mon journal, les caractères géologiques des.
montagnes que j'ai traversées, pour être obligé de re-
û.Doutait iS4/

î.&ofie D'ut oMofw \>o%xoal eteûiL ai tue à. 2 fiuied tUL ân3 M dDaffa,,i, Iewiweu- d'«ut c*mc/Le, tte Cave, de 0,25 a, o,3o cent* d'epcuôàeur
  - 2. (lutteur i>oCcmiA etemtû,-àituii» a. 1 (leuc au dtu) blt (Dofâne, vafe^ut eu G>ut&u4ti<m.
venir ici en détail sur la constitution du terrain dont la surface forme le royaume de Choa. On peut dire qu'en général il est de formation primitive; mais, dans sa partie orientale, voisine du royaume d'Adel, on remarque les effets du grand travail volcanique qui a universellement agité cette dernière contrée. On y rencontre, à 19 lieues à l'est d'Angobar, un volcan en combustion , appelé Dôfâne ; à 8 lieues au sud-sud-est de cette ville , il y a des sources d'eau chaude auprès du village de Flambo. On trouve également des sources d'eau bouillante dans le district de Kavoïte, auprès du village de Zanbo, sur le territoire de la kabile des Gallas Maufâ, à un endroit nommé Fantallé, situé à 18 lieues au sud-sud-est d'Angobar et à 17 lieues à l'est-nord-est de cette capitale, dans un lieu nommé Mâlataqué} situé en deçà de l'Aouache, sur le territoire de la kabile DébenetDénisserra. Ces sources thermales , jointes à celles qui jalonnent la route depuis Toujourra jusqu'à l'EfatArgouba, les quantités prodigieuses de lave dont les coulages accumulés couvrent de leurs couches épaisses plusieurs endroits de cette route , les anciens volcans que l'on y observe , tout cela prouve qu'autrefois cette partie dé l'Afrique a été le foyer d'un feu interne qui n'est pas encore éteint, quoique la violence de ses éruptions se soit calmée.
Le royaume de Choa se divise, quant à sa population diverse et, par suite , à son territoire , en trois parties bien distinctes. Il y a d'abord sur les premiers mamelons de la chaîne orientale, en face de l'Adel, les musulmans ; ensuite, depuis Angobar jusqu'à DevraLibanos, les chrétiens; et enfin tout l'ouest est occupé par les Gallas. Trois grandes divisions territoriales
sont affectées à ces trois nuances d'habitants.
La bande de terre qui s'étend depuis la frontière jusqu'à deux lieues à l'est d'Angobar, est la grande province d'Éfat-Argouba; je l'appelle ainsi, en réunissant les deux noms que les habitants de Toujourra et les autres Danakiles lui donnent indifféremment. Depuis l'Efat-Argouba jusqu'à la ligue qui passe par le couvent de Sénë-Marquos, est la province d'Amharra ; puis viennent les territoires assignés aux diverses kabiles gallas.
La province d'Éfat-Argouba est divisée en vingt et un districts dont voici les noms :
Mintchiar Kauraré. ManguesteBulga. Gatchianni. Kavoïtte* Barahat Aiégubbar. Guédime.
Gudarra. Tiannou. Ganza.
Sautône. Ouaélo Guichet.
Cabbo. Mafoute Marrabiété.
Bilou. Gauzé Maurat.
Les principales kabiles répandues sur le pays qui s'étend depuis la province d'Amharra sont, en allant de l'est à l'ouest, celles des
Abitiou-Gallas.
Conbitiou-Gallas.
Fine-Finies-Gallas.
Souloulta-Gallas.
Aubéris-Gallas.
Mettas-Robie-Gallas.
Mettas-Voquidi-Gallas.
Betchio-Aureppe-Gallas.
Soddo-Gallas.
Etc.
Galâne-Gallas.
Guermaman-Gallas.
Hiérére-Gallas.
Mou llo-Falada-Gallas.
Adaberga-Gallas.
Hata-Gallas.
Mettas-Votchia-Tchia-Gallas Mettias -C utahia-Gallas.
Caffa-Gallas.
MOEURS, USAGES, ETC.
Caractères physiques des Abyssins. — Leur costume. — Les femmes.
— Caractère moral. — Considérations sur les aptitudes des Abyssins à la civilisation.- Curiosité qu'ils manifestent pour tous les objets d'origine européenne. — Leurs occupations ordinaires. — Penchant à la volupté.- Mariage. — Divorce. — État social. — Le clergé. — Instruction. — Le pouvoir du roi. — Son trésor. — Ses principaux officiers.
CHAPITRE X.
Il serait difficile à un Européen de déterminer les différences physiques qui distinguent les Gallas des Abyssins proprement dits : ceux-ci ne s'y trompent pas néanmoins; ils reconnaissent de loin un Galla, seulement à son aspect.
La population totale du royaume de Choa peut être d'environ 1,500,000 âmes; les diverses informations que j'ai prises et mes propres observations me permettent de l'évaluer approximativement à ce chiffre.
Les Gallas en sont la partie la plus considérable : les chrétiens leur sont inférieurs en nombre, et, quant aux musulmans, ils appartiennent à la même race que les chrétiens; ils descendent des habitants de l'Éfat-Argouba, que les conquêtes de Mahamet-Gragne convertirent violemment à l'islamisme. Ils sont peu nombreux.
Les Abyssins proprement dits, chrétiens et musulmans, forment une belle race; les hommes sont, en général, d'une taille élevée et d'une constitution vigoureuse : de grands yeux noirs étincelants animent leur figure bronzée et presque noire, dominée ordinai-
rement par un front régulier, et autour de laquelle leur épaisse chevelure est roulée avec grâce en mille petites boucles ; doués d'une très-grande force musculaire qu'ils développent de bonne heure dans les laborieux exercices de la paix et de la guerre, ils déploient également une souplesse et une agilité extraordinaires.
Leur physionomie est douce, en général; elle prend sans effort et garde sans affectation un caractère de noblesse, soutenu par leur costume empreint, dans sa simplicité, d'une dignité antique. Il se compose de larges braies de coton chez les hommes du peuple, de soie bariolée chez les grands officiers, qui s'arrêtent aux genoux; ils roulent dix à douze fois, sur leur poitrine, une large ceinture de même étoffe, à laquelle un sabre recourbé, à deux tranchants, est attaché à droite par une courroie; puis ils s'enveloppent du taube, grande pièce de coton longue de 12 à 14 pieds, large de 5 à 6, dont ils savent disposer avec élégance les plis flottants; ils ne portent point de chaussure, ils ont toujours la tête nue.
Les femmes amharras participent aux caractères de beauté de cette race, perfectionnés en elles par la grâce et la délicatesse naturelles à leur sexe. Régularité du visage, douceur de la physionomie, spirituelle vivacité brillant dans la prunelle ardente de leurs yeux noirs,
dents de lait auxquelles un charmant sourire donne, pour bordure, le plus beau rouge de lèvres qui soit au monde et qui ressort admirablement, lui-même, sur le fond cuivré du visage, corps bien proportionné, taille cambrée, formes prononcées aux contours arrondis, aux lignes harmonieuses, démarche ferme et souple, élégante et noble; voilà la femme de l'Abyssinie méridionale pendant la fraîcheur de ses années.
Ses vêtements sont peu compliqués; de petits caleçons, une espèce de tunique ou de blouse percée de trois ouvertures par où sortent la tête et les deux bras; par-dessus , un taube blanc, bordé de raies rouges, comme ceux des hommes ; c'est là tout : quelques ornements relèvent son costume ; deux larges bracelets d'étain sont attachés à ses bras ; un cordon de soie bleue, auquel pend une petite croix de Malte en cuivre, et un collier de verroterie, sont roulés autour de son cou ; elle porte presque toujours des boucles d'oreilles : ce sont de petites sphères d'argent réunies en grappe. Les femmes musulmanes ont la tunique de couleur brune, et les cheveux, déployés dans toute leur longueur, tressés en petites nattes , comme les Bédouines ou les femmes gallas. Les chrétiennes portent Une tunique blanche; leur chevelure, courte et frisée, donne à leur visage une allure vive et décidée dont j'aime la gentille hardiesse.
L'antiquité a vanté les mœurs des Abyssins : en parlant des Ethiopiens, Homère les appelle exempts de blâme (1). Diodore de Sicile leur donne les épithètes de sages, de vertueux. Les descendants des Éthiopiens n'ont pas démérité de la renommée de leurs ancêtres.
En général, l'Abyssin est plutôt calme que vif; il est réfléchi; toutes ses manières respirent une exquise politesse, si bien qu'on pourrait dire qu'un Amharra de haut rang, transporté au milieu de la société européenne, n'y serait point déplacé. Cette distinction naturelle marque la place que l'Abyssin occupe dans l'échelle de la civilisation. Il est bien au-dessus des barbares , dont les manières dures et grossières révèlent le cœur brut et l'intelligence sans culture. Il entoure l'origine de sa nation des traditions les plus anciennes et les plus illustres du monde ; il produit, dans son histoire , les titres de noblesse les plus reculés qu'aucun peuple puisse donner à sa généalogie, et la dignité de son caractère est soutenue par ce légitime amour-propre national; il a conservé quelque chose de cette raison supérieure qui régna si longtemps dans le monde antique. Le christianisme l'a touché et l'a élevé encore au-dessus des sauvages fétichistes qui l'entourent. En somme, le peuple abyssin présente, dans son existence
(1) Mst 'clfjLVfjcovctr kièio'ïïDa.ç. Iliade, liv. 1er, vers 423.
actuelle, un des phénomènes les plus dignes d'intéresser les philosophes qui étudient les évolutions progressives de l'espèce humaine. Pourquoi n'a-t-il pas marché dans la civilisation du même pas que les sociétés européennes , au niveau desquelles il était placé au vie siècle de notre ère? Pourquoi s'est-il arrêté? Faits remarquables, dont il est facile de préciser les causes. Au vie siècle, entre l'Europe et l'Ahyssinie, l'islamisme, en s'emparant de l'Égypte, est venu élever une infranchissable barrière; dès lors, tout contact a dû cesser entre les hommes et les idées de l'Abyssinie et de l'Europe chrétienne: cette nation a été jetée en dehors du magnifique mouvement qui a porté la civilisation occidentale au point où elle est arrivée de nos jours. Repliée sur elle-même, isolée au milieu de races éloignées d'elle par leur origine, leurs mœurs, leurs religions, elle est demeurée stationnaire; preuve nouvelle et frappante que le frottement des nationalités entre elles, que le contact journalier, l'antagonisme incessant de leurs intérêts, de leurs mœurs, de leurs idées, est la condition indispensable du progrès : aujourd'hui donc, si l'on voulait se faire Une idée de l'état moral du peuple abyssin, il faudrait se le représenter comme une nation du vi* siècle, ayant toute aptitude à la civilisation et n'attendant, pour la développer dans son sein, que l'é-
tablissement de rapports fréquents avec l'Europe.
Mais les Abyssins font plus encore qu'attendre la civilisation, ils vont au devant d'elle; ils l'appellent de leurs vœux et en apprécient l'importance au simple aperçu d'une faible partie de ses avantages matériels: on s'imaginerait difficilement la curiosité qu'ils témoignent pour tout ce qui vient d'Europe, et quel désir ils ont de se l'approprier; aussi sont-ils très-demandeurs; grands et petits, ils poursuivent de leur importune et naïve avidité l'Européen qui les visite; et celui-ci ne pourrait souvent la satisfaire qu'en se dépouillant de tout ce qu'il possède.
En somme, le caractère moral des Abyssins se rapproche du caractère des Européens : par leur gaieté, leur enjouement, leur franchise, leur amour des choses belliqueuses, ils tiennent beaucoup de l'esprit français; je ne vois pas d'eux à nous de ces différences énormes qui divisent radicalement des peuples, telles, par exemple, que l'orgueil stupide et la superbe apathie qui séparent à jamais les Turcs de la civilisation européenne, ou le fanatisme musulman dont l'indomptable obstination élève un mur d'airain entre les Arabes et les nations chrétiennes.
Les Abyssins sont très-laborieux et font preuve d'une grande adresse dans leurs travaux ; ils se couchent de bonne heure ; il en est bien peu qui veillent
longtemps après que la nuit est venue , mais, en revanche, ils sont sur pied à quatre ou cinq heures du matin ; au point du jour, après avoir donné l'œil aux petits détails de l'intérieur, ceux qui se livrent à l'agriculture vont aux champs , et ceux qui exercent des industries spéciales entreprennent leur tâche journalière : les uns et les autres terminent leur labeur vers cinq heures. Ils sont aussi d'une extrême sobriété: ils font deux repas par jour, le matin avant de se mettre au travail, et le soir lorsqu'ils le quittent; vers le milieu de la journée, ils prennent une légère nourriture pendant quelques instants de repos. Leurs aliments sont toujours très-pimentés ; j'en ai donné une idée en décrivant les plats que l'on seri à la table royale : ils mangent rarement des légumes.
Chez les Abyssins, comme chez les Gallas , on trouve l'amour du gain développé à un très-haut degré : ces derniers le poussent si loin , que, parmi les tribus (les plus barbares, il est vrai) qui sont établies au sud du Gouragué , il n'est pas rare , à ce que j'ai entendu dire , de voir un père vendre comme esclave son fils ou sa fille, un mari trafiquer de sa femme, un frère de son frère , et les liens les plus sacrés de la famille sacrifiés ainsi aux calculs les plus sordides de l'intérêt. Les habitants du royaume de Choa ont un tirés grand penchant pour la volupté : il ne faudrait
pas croire néanmoins que le libertinage fût plus commun ou plus éhonté parmi eux qu'en Europe. Les Gallas permettent le concubinage ; il est défendu chez les Abyssins : si ces derniers enfreignent souvent les lois de la fidélité conjugale, ils le font avec précaution et en gardant toutes les convenances : le mystère dont ils couvrent leurs liaisons secrètes indique suffisamment le caractère qu'ils y attachent. Ils n'ont point de filles publiques ; leurs femmes sont loin de céder au premier venu et de chercher les occasions de succomber; on ne peut venir à bout de leur vertu qu'après leur avoir fait la cour assez longtemps : il est vrai que, pour les Abyssins, l'amour ne dépasse point le plaisir physiqueet qu'ils ne connaissent pas ces sentiments purs et délicats qui lui donnent ses plus grands charmes dans les civilisations avancées. Mais on n'a pas à leur reprocher les monstrueux excès que l'on rencontre chez quelques peuples, les Turcs et les Arabes, par exemple, dont les goûts dépravés vont chercher de honteuses jouissances au-dessous de celles que la nature a permises à l'homme.
Le roi seul, dans le Choa , a le droit d'avoir des concubines ; mais il n'a qu'une épouse légitime , et les enfants qu'elle lui donne ont seuls des titres à la succession de leur père. Les Abyssins sont peu jaloux de leurs femmes; ils leur laissent beaucoup
de liberté ; les musulmans eux-mêmes négligent de les soumettre aux lois claustrales sous lesquelles Mahomet a voulu comprimer l'essor indépendant de leurs sens. Au surplus, les Amharras peuvent punir par le divorce les fautes de leurs épouses ; ils y ont fréquemment recours. Il est rare de voir entre des Abyssins les contestations poussées jusqu'au point où elles deviennent de violentes querelles : faut-il attribuer cette particularité à la mansuétude naturelle et aux qualités éminemment sociables de ce peuple? je le crois ; mais j'ajouterai que le roi, les gouverneurs et les chefs du pays font beaucoup pour l'entretenir ; car, dès qu'ils voient s'élever une dispute un peu forte, ils punissent également les deux antagonistes , et vont même quelquefois jusqu'à les dépouiller de leurs biens.
Les Abyssins aiment la propreté ; ils se lavent souVent, peignent avec soin leur chevelure et entretiennent la blancheur de leurs dents en les brossant tous les jours avec une racine filamenteuse. De même que les musulmans, ils épilent toutes les parties chevelues de leur corps, soit avec une préparation épilatoire, soit avec de petites pincettes. Leur barbe est peu fournie; quelquesuns seulement, dans la classe inférieure, la laissent croître , mais dans de petites dimensions : les grands ne la portent jamais ; c'est à peine si de légères et courtes Moustaches ombragent leur lèvre. Les rasoirs dont ils
se servent leur sont apportés de Moka et d'Harrar; ce sont des lames de la dernière qualité.
Les Gallas et les musulmans fument et prennent du café ; les Gallas aspirent la fumée du tabac, qu'ils cultivent eux-mêmes, dans une espèce de narguileh de leur façon, formé d'une courge vide à laquelle ils adaptent un tuyau de roseau : mais les Amharras ne fument point et s'abstiennent scrupuleusement de prendre du café ; l'usage de ces deux substances leur a été défendu par les prêtres, sans doute parce qu'il a pris naissance chez les païens et les musulmans.
Les Abyssins boivent volontiers l'hydromel ; malgré les propriétés capiteuses de cette liqueur, je n'en ai jamais vu qu'elle eût plongés dans l'ivresse.
Les Abyssins et les Gallas s'adonnent, dès leur plus tendre enfance , aux exercices gymnastiques; ils déploient surtout une grande adresse à cheval, et pourraient tous rivaliser avec nos plus habiles écuyers. Ils jouent aux barres comme les Européens ; ils connaissent le jeu d'échecs; ils ont aussi un jeu fort répandu en Égypte, où on le nomme mangaleh, et qui consiste en une planchette percée de six trous dans chacun desquels on place un certain nombre de petites coquilles que l'on se propose d'amener, par diverses combinaisons, dans un trou déterminé.
Le régime des castes est complétement incohnu dans
le royaume de Choa ; il n'y existe aucune classe dont les prérogatives soient conservées héréditairement dans les mêmes rumilles; les distinctions et les charges accordées par le roi forment bien des rangs dans la nation , mais ils ne sont établis que par le bon plaisir du souverain : celui-ci fait ou défait, à son gré, le grand seigneur, il peut renvoyer dans la foule celui qui fut son premier dignitaire , de même qu'il peut tirer du sein du peuple le premier individu venu pour le placer dans la condition la plus élevée. Cependant, lorsque les enfants d'un grand officier ne déméritent point, par leur conduite ou leur incapacité, de la faveur qu'il a accordée à leur père , il arrive souvent que le roi les maintienne dans des positions importantes. Si l'on pouvait appeler caste un corps qui se recrute continuellement parmi les masses, il faudrait donner ce nom au clergé abyssin. Il jouit de beaucoup d'influence sur le peuple, qu'il tient sous le joug par le Lien grossier de la superstition. Les Abyssins ont l'esprit superstitieux à l'excès : les prêtres profitent de leurs nombreux préjugés; ils les partagent, les entretiennent, les exploitent et fondent sur eux leur ascendant. Le roi actuel n'est point leur dupe : il caresse leurs bigoteries pour flatter le peuple ; mais, en même temps , il veille sur eux d'un œil sévère, attentif à ré-
primer les moindres violations qu'ils commettent à leurs devoirs.
Si les prêtres sont de quelque utilité en Abyssinie, c'est comme dépositaires de l'enseignement; ils répandent dans les écoles qu'ils dirigent le petit nombre de connaissances qu'ils ont conservées ; les Abyssins leur confient leurs enfants dès l'âge le plus tendre; ils leur apprennent à lire, à écrire, à faire les calculs les plus élémentaires, et surtout à connaitre les pratiques minutieuses de la religion ; ceux qui poussent leurs études le plus loin apprennent le guése (l'éthiopique), dialecte sacré, qui joue en Abyssinie à peu près le même rôle que le latin chez nous : c'est dans cette langue que sont écrits les livres saints et les monuments historiques du pays; le nombre des Abyssins qui sont aujourd'hui en état de la comprendre est trèsrestreint : la langue parlée actuellement est l'amharra, différente de l'arabe, du galla et du guése.
Les Abyssins ne se servent guère de l'écriture que pour tenir leur comptabilité; ils ont du papier qui leur est apporté de Moka ; ils écrivent avec des roseaux comme les Arabes ; ils sont très-ignorants en fait de science; tous les phénomènes physiques leur sont mystérieusement voilés; ils n'ont aucune idée de géographie et ne savent de cosmographie que ce qu'en
disent les premiers versets de la Bible. La littérature reçoit chez eux plus d'honneur; la poésie est cultivée avec amour et avec succès; ils ont beaucoup d'improvisateurs qui, lorsque l'inspiration les anime, récitent des vers pendant plusieurs heures : le roi SahléSallassi, l'un des hommes les plus éclairés du royaume, jouit aussi d'une très - grande réputation comme poëte.
Les musulmans de la province d'Éfat-Argouba ont des cheiks qui exercent sur eux le même genre d'influence que les prêtres sur les chrétiens; on n'obtient le titre de cheik qu'après avoir fait un pèlerinage à la Mecque.
Les Abyssins ne se marient pas ordinairement, les hommes, avant leur seizième année, les femmes avant ! âge de 14 ans; jusqu'à cette époque, ils demeurent dans la famille paternelle, et les jeunes gens, comme les jeunes filles, s'y forment aux diverses fonctions qu'ils seront appelés un jour à exercer. Les enfants sont toujours soumis et respectueux envers leurs parents : toutefois l'autorité paternelle n'est pas, en Abyssinie , comme en Egypte ou en Turquie, un despotisme sévère, sous lequel ploie la famille muette et tremblante; les enfants et l'épouse payent d'une affection plus vraie, peut-être parce qu'elle est plus libre; ceux-là la tendresse de leur père, celle-ci
l'attachement de son mari. Le fils ne manque jamais, le matin, d'aller rendre ses devoirs à son père : les petits enfants, en lui souhaitant le bonjour, lui baisent la main.
L'étiquette a ses formules particulières dans le royaume de Choa : lorsque deux personnes de même rang se visitent, elles se serrent la main, comme nous le faisons nous-mêmes entre amis, et s'informent réciproquement de l'état de leur santé. Au passage des officiers, même subalternes, les gens du peuple, les pauvres, s'arrêtent et se prosternent à terre, mais les hommes de condition plus élevée se bornent à saluer en s'inclinant : dans toutes les circonstances, un inférieur témoigne son respect à son supérieur en laissant glisser son taube derrière lui jusque vers le milieu du dos; la poitrine ainsi découverte, il s'avance vers lui et s'incline en lui disant : lndiétader (bien le bonjour, comment vous portez-vous)? En présence du roi, tous, sans distinction, demeurent debout, le taube rejeté en arriére, la poitrine nue; lorsqu'ils arrivent devant lui, et quand ils se retirent, ils s'inclinent jusqu'à terre, en baisant leur main droite qu'ds appuient sur le sol; moi seul, conformément au désir de Sahlé-Sallassi, je restais drapé auprès de lui. LeS premiers seigneurs du royaume, voyant la taveui dont je jouissais dans l'esprit du roi, ne manquaient
pas de se découvrir la poitrine lorsqu'ils venaient me rendre visite.
La domesticité existe parmi les habitants du royaume de Choa; chaque maison a un nombre de serviteurs proportionné à la fortune de son chef: il y a peu d'esclaves; le roi est à peu près le seul qui en achète ; il est même possible que, en entretenant une nombreuse troupe d'esclaves, il soit guidé principalement par des vues politiques. Il en possède, en effet, de 2 à 3,000, qu'il emploie à la culture de ses propriétés, à son service privé, mais surtout au service militaire, de manière qu'ils forment le noyau d'une armée permanente , toujours prête à marcher, au premier ordre, pour faire respecter sa puissance et appuyer sa souveraineté de l'argument sans réplique de la force. Ce corps lui est très-précieux ; aussi a-t-il grand soin de ses esclaves soldats; il leur donne des terres, les fait marier, les élève quelquefois à de hautes fonctions, et ces enfants des tribus sauvages et cupides du Gouragué et du Djindjiro sont loin de regretter, sous un maître aussi doux, le ciel de leur inhospitalière patrie.
Ils se font un point d'honneur de leur qualité de soldats du roi; hautement respectés, à ce titre, de la masse du peuple, ils en soutiennent la considération par leur indomptable bravoure dans les combats.
La propriété est reconnue dans Choa et entourée
de garanties; la plupart de ses habitants possèdent, outre la hutte sous laquelle ils s'abritent, la terre et les animaux qui fournissent aux besoins de leur subsistance; les enfans se partagent également l'héritage de leur père : chacun peut disposer à son gré de son patrimoine, le donner, l'échanger ou le vendre; cependant le roi, maître absolu de la fortune de ses sujets, comme de leurs personnes, peut les dépouiller de leurs biens s'ils encourent sa disgrâce; il est regardé au fond comme le seul propriétaire légitime du sol et des richesses de son royaume, dont son bon plaisir abandonne la jouissance à ses sujets.
Le pouvoir du roi, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, est arbitraire et incontesté : ce n'a pas été, ce me semble, une œuvre peu difficile, que d'amener et de maintenir à ce point l'autorité du monarque amharra, sur une population composée de races diverses, longtemps ennemies entre elles, et dont la plus nombreuse, comme la plus guerrière, est séparée aujourd'hui de celle à laquelle il appartient par des différences de langues, de religions, de mœurs; il faut, pour cela, que l'habileté du souverain sache neutraliser les uns par les autres les intérêts des tribus soumises à sa loi; car, si elles se réunissaient un instant, elles l'auraient bientôt renversé. Aujourd'hui, heureusement, la suprématie du roi s'est tellement
enracinée, que ce concert est devenu moralement improbable et impossible à réaliser.
Faire la guerré, administrer la justice, recueillir
des tributs en nature, lever des impôts, faire entretenir, par ses sujets, la culture de ses immenses propriétés, voilà les grandes prérogatives exercées
par lenégous (c'est le nom que les habitants de Choa donnent à leur roi).
J'ai déjà dit la manière dont il lève ses troupes : dans les circonstances peu importantes, lorsqu'il s'agit seulement d'aller recueillir les tributs, il fait annoncer le jour et le lieu du départ, en invitant ceux qui ont terminé leurs travaux agricoles à venir se joindre à lui : chacun est libre de se rendre ou non à l'appel du roi. Ceux qui le suivent, attirés par l'appât de quelque pillage probable et de quelques luttes à surmonter, portent, pour eux et leurs chevaux, les provisions indispensables au nombre des jours de campagne arrêtés d'avance. Le roi amène toujours avec lui, dans ces petites expéditions, de 15 à 20,000 hommes : si la guerre à entreprendre est majeure, la convocation royale équivaut à une espèce d'ordre; 30, à 40,000 cavaliers viennent se grouper, en peu de jours, autour du souverain, qui a toujours plus de soldats qu'il ne lui en faudrait, car la guerre est comme une passion pour ce peuple belliqueux, et jamais personne
ne demeure sourd au cri des combats. Le roi de Choa pourrait former ainsi, en peu de jours, une armée de 100,000 hommes, équipés et nourris à leurs frais; la subsistance des chefs est seule à ses dépens les principaux officiers de l'armée sont des gouverneurs de différentes classes, qui se mettent à la tête des soldats soumis à leurs juridictions, de même que les ras des Gallas commandent les hommes de leurs kabiles.
Le roi emploie le produit des contributions à l'entretien de ses esclaves, de ses officiers, et distribue au peuple le superflu de ses revenus en nature : je l'ai vu, dans une grande solennité, donner, en un jour, 7,000 bœufs à ses sujets. Il possède des terres immenses sur la surface du royaume : les habitants voisins de ses propriétés sont tenus à consacrer, à leur exploitation, plusieurs journées de travail, en corvées : les revenus du roi, en bétail et en denrées, sont donc très-considérables; il prélève, en outre, en argent, de 250 à 300,000 talari effectifs par an, somme énorme dans un pays où l'argent monnayé est excessivement rare, et n'est presque jamais employé dans les transactions particulières; elle se compose des impôts répartis sur chaque village, en raison de leur population et du territoire qui leur est assigné, et des droits que payent, à leur passage, les caravanes de commerce.
Tout cet argent entre dans le trésor du roi, où il s'amasse peu à peu, car ses dépenses sont insignifiantes. Sahlé-Sallassi m'a fait visiter lui-même l'un des caveaux où son trésor est placé; c'est une veine formée par la nature dans une montagne située à 3 lieues au nord d'Angobar. Cette grotte est rectangulaire, elle peut avoir 10 mètres de long sur 2 d'élévation et 3 de largeur : l'argent est enfermé dans des jarres assez hautes adossées sur deux rangs, l'une à la suite de l'autre, aux deux parois du caveau; au milieu est laissé un petit espace large de 2 à 3 pieds qui sert de passage : il peut y avoir ainsi près de 300 jarres, contenant chacune de 5 à 6,000 talari fondus. Autrefois le roi, suivant l'exemple de ses prédécesseurs, plaçait les jarres, lorsqu'elles étaient pleines, au milieu d'un foyer ardent jusqu'à ce que l'argent fut fondu et format un seul bloc; mais il a compris, plus tard, que le principal avantage de l'argent est dans sa mobilité, et il s'est contenté d'enfermer ses talari dans des sacs de peau qui sont suspendus à des poteaux appliqués à la voûte. Il m'a témoigné le désir d'utiliser ses blocs d'argent, en battant monnaie en son nom , mais il n'a pas les moyens de satisfaire cette petite vanité; jusqu'à présent, il n'a jamais été frappé de monnaieen Abyssinie.
Les'personnes attachées au service privé du roi de Choa sont les bahalomeules, jeunes gens de 15 ,.à
20 ans, dirigés par un chef, qui ne quittent jamais le roi et couchent dans sa chambre : il y en a toujours deux de faction lorsque le prince repose; ils sont constamment occupés à l'observer, et ils écrivent les moindres particularités du sommeil du prince; le sratche messereh, dont la charge est de venir l'éveiller; le lecheh-mégueze, sorte de héraut d'armes qui le précède lorsqu'il sort pour l'annoncer à la foule et la faire écarter devant lui ; le hadgé-adgiageh, officier chargé des étrangers, de la comptabilité des domaines royaux, de la direction des vivres, etc. ; c'est un poste ëminent : sur le même rang sont ceux des hadjedjehs, ou gouverneurs de 1re classe. Lorsque le roi est en campagne, il a toujours à sa droite et à sa gauche deux hadjedjehs.
Les chelekahs sont les gouverneurs de 2e classe ; il est au-dessous de ceux-ci des officiers subalternes dont la juridiction n'embrasse qu'un petit nombre de villages.
Ces divers gouverneurs sont tous nommés par le roi ; leur office consiste à répartir, à lever les impôts sur les villages qui leur sont assignés, à rendre la justice à leurs habitants, à les conduire dans les expéditions militaires : ils sont rétribués par une part dans les revenus en nature des territoires sur lesquels s'exerce leur autorité; leurs administrés leur doivent aussi des corvées pour la culture de leurs propriétés.
Les kabyles des Gallas, organisées comme les clans gaëliques d'Ecosse, se gouvernent elles-mêmes républicainement; elles élisent leurs chefs, qui doivent cependant obtenir la sanction royale.
AGRICULTURE, INDUSTRIE, cmlMEnCIL
Saisons des pluies. — Productions agricoles du royaume de Choa. —
Moissons bisannuelles. — Procédé employé pour la trituration du grain. — Industrie. — Tissage des toiles. — Commerce, café, ivoire, musc, monnaie. — Caravanes. — Difficultés actuelles des rapports commerciaux du royaume de Choa avec la mer.
CHAPITRE XI.
La richesse naturelle du royaume de Choa est exclusivement placée dans l'agriculture; le ciel l'a généreusement favorisé sous ce rapport, et le climat qu'il lui a donné contribue beaucoup à sa fécondité.
Les deux saisons de pluie qui régnent périodiquement chaque année permettent à ses habitants de faire, par an, deux moissons de céréales. Les grandes pluies commencent vers le milieu du mois de juin; elles durent deux mois et demi, trois au plus, et se terminent dans les premiers jours du mois de septembre. Pendant les deux premiers mois, la pluie tombe jour et nuit par torrents, elle est quelquefois accompagnée de grosse grêle; le tonnerre ne cesse de se faire entendre.
Les petites pluies commencent aux premiers jours de janvier, dans l'est. Nous avons vu combien l'époque de leur apparition varie sur les différentes parties de la surface du pays : elles durent de 15 à 20 jours; ce sont des averses qui tombent par intervalles de temps à autre.
Quoique d'une superficie peu vaste, le Choa ren-
ferme deux climats bien distincts, celui du haut pays, c'est-à-dire depuis Angobar jusqu'à Zamettia, et celui de l'Éfat-Argouba : sous le premier, l'air est constamment frais et léger; c'est le climat tempéré de l'Italie moyenne. Le cultivateur y recueille deux fois, chaque année, dans le même champ, le blé, l'orge, le thèfle, le doura, les fèves et le lin; les arbres y sont couverts d'une éternelle verdure; le raisin, la grenade, le cédrat et la banane sont les seuls fruits qu'on y connaisse.
La température de l'Éfat-Argouba peut se comparer à celle de l'Egypte, avec cette différence que l'atmosphère n'y est jamais chargée de la poudre ténue et légère que le vent soulève en passant sur les sables du désert. Les arbres y sont toujours verts , ils portent deux fois par an des fleurs et des fruits ; les oiseaux, toujours en amour, font aussi deux fois par an leur nichée : c'est un printemps qui ne finit point. Le cultivateur recueille également, dans cette partie du royaume, sa récolte bisannuelle; on y trouve, toute l'année, des cannes à sucre sur pied.
L'agriculture est, dans le royaume de Choa, à l'état le plus élémentaire ; les terres sont naturellement si fécondes, qu'elles n'ont pas besoin d'engrais, et qu'on ne les laisse pas reposer. Les Abyssins les labourent avec la charrue antique; ils la font si peu compliqué
l&y. Afathiiu dd

a.fOiIe enroulée,pla/icAeffe iz,,, etc.
b. Xapei*, c. Fm ree,,v,
d .Qumoui& e. Cens* f. Oreiller
g. ûoàeleù m, cor/ia d& 4a. ]
   h Cai&rx elcoufeaus1. est perre;pour boire lYiyctromel/i
k. Jarre pour l'/ufdromel/ !. /^a/lier en/jonc.

et si légère, qu'un homme peut la porter une lieue loin sans être trop fatigué; ils y attellent des bœufs; ils coupent l'herbe et font la moisson avec une faucille dentelée; ils ne hersent point; ils font fouler aux pieds des bœufs leurs céréales rassemblées sur une aire.
La plus précieuse des productions du royaume de Choa est le coton arbuste; le coton est l'élément unique des tissus dont se vêtent les habitants : celui qu'ils récoltent est de l'espèce appelée courte soie; néanmoins sa qualité est une des plus belles que je connaisse; les étoffes que l'on fabrique avec ses fils offrent une souplesse soyeuse que je n'ai jamais rencontrée dans les tissus manufacturés en Europe : rien n'égale le moelleux de son duvet. La culture du coton est aujourd'hui bornée aux besoins de la consommation locale; si des rapports commerciaux avec les étrangers l'exigeaient, on pourrait l'étendre dans de trèsgrandes proportions.
Le lin que récoltent les Abyssins ne leur est d'aucun emploi; ils se servent de la graine pour certaines indispositions, et, par exemple, lorsqu'ils souffrent de douleurs dans les entrailles.
L'indigo (jera hirsuta) croit spontanément à l'état sauvage : ils ignorent ses propriétés et n'en tirent aucun parti.
J'ai déjà parlé de l'excellente qualité de leurs cannes
à sucre ; ils en soignent la culture. Comme l'usage du café n'est point permis aux Amharras , la culture de cet arbuste n'est pas entretenue parmi eux ; mais il n'en est pas de même chez les Gallas. Il y a aussi des plantations de café dans la province d'Efat-Argouba ; ce café est égal en valeur à celui de Moka. Les vignes sont peu nombreuses ; le raisin qu'elles portent est de très-bonne qualité : on pourrait en extraire un vin excellent. Les Abyssins ne connaissent pas cette délicieuse liqueur. Comme j'en avais parlé à Sahlé-Sallassi , il eut la curiosité d'en boire; il fit cueillir deux grandes corbeilles de raisins, avec lesquelles je lui fabriquai deux jarres d'un vin qu'il trouva fort de son goût, et qui méritait effectivement les éloges qu'il lui donna.
Il y a très-peu d'arbres fruitiers dans le royaume.
Le sol de ce fertile pays serait bientôt enrichi, au contact du commerce européen , de cultures trèsimportantes qu'il serait facile d'y naturaliser; telles sont , par exemple , celles des épiceries , du poivre, des girofles, etc.
Lorsqu'ils ont fait leurs récoltes , les Abyssins t'nferment leurs grains dans de grandes jarres en terre ; mais, le plus souvent, ils emploient la méthode des silos : ils creusent de grands trous dans le sol et les y entassent.
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La trituration des grains entre dans les fonctions du ménage , attribuées aux femmes; elles y procèdent de la manière suivante : dans chaque chaumière il existe Un banc en maçonnerie , haut de trois pieds environ, large d'un pied et demi, dont la surface, formant un plan incliné, est recouverte d'un bloc de siénite porphyrique ou de trachyte taillé , à cause de sa destination , de manière à présenter une superficie grumeleuse. La femme y place le grain, poignée par poignée , et le broie avec une pierre de même espèce , semblable à une molette , qu'elle passe et repasse sur lui jusqu'à ce qu'il soit pulvérisé; alors, suivant l'inclinaison du plan , la farine va se déverser dans un l'éci pient en terre ou en osier. Lorsque la quantité voulue a été triturée , on sépare la farine du son au moyen d'un tamis en osier ou en paille tressée.
Ce sont aussi les femmes qui sont chargées de préparer le pain ; elles n'y mêlent pas de levain et ne mettent point de sel dans la pâte ; elles le font cuire sur de grandes plaques de fer rondes sous lesquelles elles allument du feu.
Les habitants du royaume de Choa savent extraire , le fer de ses minerais à la manière catalane; ils le travaillent et s'en servent pour faire des ouvrages passables. Leur industrie se borne à fabriquer des sabres, des lances, des marteaux, des haches, des couteaux ,
des boucles, des mors, des limes, de petites scies, ainsi que des batteries de fusil de toutes pièces et différents ustensiles employés dans l'agriculture. J'ai déjà dit qu'ils confectionnent Jes selles et des brides qui durent longtemps ; ils tannent très-bien les peaux de bœuf, de chèvre et de mouton; ils préparent aussi parfaitement le parchemin , sur lequel ils écrivent ; ils font avec habileté de très - bonnes poteries : on n'obtiendrait pas en Europe de vases mieux façonnés que ceux qui sortent de leurs mains.
ils sont très-peu avancés en menuiserie et en serrurerie; ils tournent quelques petits objets, par exemple les gobelets en corne dans lesquels ils boivent.
Leur principale industrie est le tissage des étoffes ; les femmes filent le coton avec le fuseau antique, qu'elles font tourner de la main droite , tandis qu'elles tiennent de la main gauche une bobèche où le duvet est fixé. Le métier dont les tisserands se servent est trèssimple ; il se compose d'un peigne établi sur deux pieux : d'un côté , la toile est tenue roide par une traverse parallèle au peigne, et, à mesure qu'elle est confectionnée, elle est roulée par l'ouvrier sur un cylindre # voisin ; de l'autre , les fils , écartés par le peigne, sont rassemblés et attachés autour d'un troisième pieu.
Lorsque le tisserand quitte son ouvrage , il les détache et les roule ensemble avec la toile. Ils tissent à la na-
vette ; ils travaillent en plein air, et tous les matins ils replacent leurs métiers et leurs toiles dans la même position.
Les Abyssins savent très-bien tresser des paniers d'osier.
Dans l'état actuel des choses , le commerce qui se fait dans le royaume de Choa est de peu d'importance. Le dépôt central de la plus grande partie des productions du pays est à Aléyou-Amba ; il s'y tient, tous les vendredis, un marché où se rendent les étran gers; les articles que l'on y vend sont le café, l'ivoire, le musc de civette , la cire, les cuirs de bœuf tannés et en poil, des étoffes de coton blanches, des chevaux, des mules , des céréales.
Lorsque je visitai ce marché , avant de partir pour l'expédition de Gouragué, il s'y (rouvait en entrepôt assez de café pour charger de 15 à 1,700 chameaux ( la charge d'un chameau peut s'évaluer à :1 quintaux) ; on le vendait 2 talari le quintal. Il serait facile de s'y procurer, en très-peu de temps, Une grande quantité de peaux de bœuf; on en donne pour un talaro quatre lorsqu elles sont tannées et six quand elles sont en poil.
Le roi jouit du monopole du commerce de l'ivoire ; il en a un dépôt très-considérable, amassé progressivement , comme un trésor, par ses ancêtres, et qu'il ne
cesse d'entretenir lui-même. Un quintal d'ivoire, première qualité, 20 talari ; deuxième, de 12 à 15.
On paye le musc de civette un demi-talaro l'once; je n'en ai pas vu un approvisionnement très-important.
Le commerce des esclaves se fait à Abderasoul , gros village situé à 2 lieues au sud d'Aléyou-Amba.
Au moment où j'y étais, on payait 15 talari une belle esclave et 12 un esclave mâle. Les marchands qui font ce trafic vendent aussi de la poudre d'or enfermée dans des tuyaux de roseaux. Cette poudre est ramassée dans des sables aurifères sur lesquels coulent les rivières du Gouragué. Les marchands d'esclaves mettent à son débit un certain mystère dont je ne saurais expliquer la cause, car la probité deSahle-Sallassi doit rassurer toutes les craintes et ne laisser subsister aucun ombrage. Lorsqu'on a fait affaire avec un marchand de poudre d'or, il place un talaro sur l'un des plateaux de sa balance, et sur l'autre une quantité égale en poids de poudre précieuse ; c'est à cette mesure qu'il la vend. Le poids d'un talaro en poudre d'or coûte ordinairement de 10 à 12 talari : au prix de ce métal, en Europe , il y aurait à gagner sur celui qui est pratiqué à Abderasoul environ 40 pour 100.
Le cuivre brut , les rognures de ce métal et le zinc se vendent très-bien en Abyssinie : c'est avec ces me-
taux combinés en proportions variées que les naturels font leur grossière bijouterie : dans l'état actuel des choses, ce seraient les seuls objets que. l'on pourrait importer dans le Choa , avec la certitude d'en tirer un brillant parti. Les articles d'échange sont, du reste, si peu de chose , que les-personnes qui se flatteraient de s'ouvrir en ce moment et tout de suite de grands débouchés nourriraient une coûteuse illusion. La seule monnaie connue en Abyssinie, la seule qui serve aux transactions commerciales, est le talaro de Marie-Thérèse. Les caravanes qui viennent s'approvisionner sur les marchés du royaume de Choa payent en argent la plus grande partie des marchandisés qu'elles emportent; fort peu des talari qu'elles laissent demeu- rent dans la circulation : ils servent en grande partie à payer les impôts, et vont se concentrer dans le trésor royal, où j'ai déjà dit comment ils s'amassent.
Les intérêts mercantiles ont formé entre le royaume de Choa et les contrées en vironnantes diverses voies de communication, suivies régulièrement par de petites caravanes. Les principales de ces routes commerciales sont, à l'ouest, celles qui conduisent du Djindjlro et de Cambat au Gouragùë, et du fertile plateau d'Anaria (improprement nommé Narea, d'après l'orthographe anglaise) à Angobar; les premières se réunissent à Hémélellé, village du Goura gué : il existe aussi des
relations entre Angobar et Gondar. Les marchands de cette dernière ville viennent vendre dans le Choa de petits miroirs et divers objets de verroterie et de quincaillerie; quelquefois ils achètent en retour des mules et des chevaux. Mais la route commerciale la plus fréquentée , la plus importante, est celle qui lie la province d'Efat-Argouba à Harrar, ville centrale du pays d'Adel, habitée par des Saurnalis, et ouvre aux productions de l'Abyssinie méridionale le débouché maritime de Barbara, par où elles sont exportées d'Afrique.
J'aurai bientôt l'occasion de revenir sur Harrar et Barbara.
La population d'Harrar est sans contredit la plus industrieuse de l'Afrique orientale, celle dont les aptitudes se sont appliquées au négoce avec le plus de succès : les habitants d'Harrar sont même les véritables facteurs du commerce de cette partie de l'Afrique; ils pénétrent jusque fort avant au sud du Gouragué; aucun des idiomes que parlent les tribus diverses de ces contrées éloignées ne leur est inconnu. Ce petit peuple offre donc un immense intérêt à la science et au commerce de l'Europe ; car il sera sans doute très-utile aux voyageurs qui s'efforceront d'arriver par l'est dans le centre du continent africain. C'est pendant les pluies et quelques jours après que les caravanes voyagent.
Je crois qu'il est impossible aujourd'hui d'entre-
prendre le commerce avec l'Abyssinie sur une grande échelle : j'examinerai bientôt les moyens propres à faire disparaître cette impossibilité et à ajouter aux consommations des produits européens une population nombreuse, dotée elle-même de richesses agricoles d'une haute valeur. Mais on conçoit au premier aperçu toutes les difficultés que doit rencontrer en ce moment le commerce, livré à ses propres forces, avant à traverser, pour conduire à la mer les marchandises du Choa, un désert de plus de 100 lieues, habité par des tribus barbares entraînées au pillage par une cupidité effrénée et souvent divisées entre elles par de sanglantes querelles. Les caravanes d'Harrar bravent ces dangers, non sans leur payer quelquefois de cruels tributs; après avoir enlevé dans leurs tournées les productions de l'Abyssinie méridionale, elles les transportent à Barbara. Un comptoir établi dans ce port y ferait sans contredit de belles opérations : outre les produits abyssins, il pourrait y acheter ceux des conIrées de l'intérieur de l'Afrique, auxquels il offre une voie d'exportation.
LES MALADIES LES PLUS FREQUENTES DANS LE CHOA.
La lèpre, la syphilis, la variole, le ténia. — Propriété du cousso pour extirper le ver solitaire.
CHAPITRE XII.
Robuste, active, laborieuse, habitant, sous un climat tempéré, de hautes terres qu'arrosent des eaux abondantes et qu'entoure une atmosphère saine et pure, la population du royaume de Choa n'est pas décimée par ces maladies multipliées qui naissent à la suite de la civilisation, parmi les peuples auxquels elle a donné à la fois et ses avantages et ses vices. Les maladies que l'on y rencontre le plus communément sont la lèpre, lasyphilis et le ténia. Je crois que la cause de la lèpre doit être attribuée à la négligenceaveclaquelle les Abyssins s'exposent sans préservatifs à toutes les intempéries des saisons, et surtout à leur mode de nourriture. Le nombre des lépreux est d'ailleurs peu considérable; ils sont, pour le roi de Choa, l'objet de charités particulières : ce qui fait que l'on en trouve davantage dans ses États que dans les autres parties de l'Abyssinie. Ces malheureux emploient, contre la terrible maladie qui les ronge, le sulfure d'arsenic en poudre : ils parviennent souvent, grâce à ce moyen, à cicatriser leurs plaies et à se guérir.
Quoiqu'il n'y ait point de femmes publiques dans le
Choa, les affections vénériennes y sont communes , mais sous leurs formes les moins malignes : aussi ceux qui en sont atteints ne leur opposent-ils aucun traitement.
La variole exerce quelquefois de grands ravages; les habitants du Choa se servent de l'inoculation pour en prévenir les progrès : ils prennent du pus sur une personne atteinte de cette maladie, pratiquent ensuite une incision sur la jambe de l'individu qu'ils veulent vacciner, y introduisent le virus et le recouvrent ensuite d'un peu de coton.
Tous les Abyssins, sans exception, sont affectés du ténia; cette maladie provient sans doute de l'usage immodéré des aliments pimentés à l'excès et du pain de thèfle, qui est trés-mucilagineux : heureusement la nature a placé le remède à côté du mal. Dés l'âge de quatre ans, les enfants commencent à prendre la fleur du cousso, qui a la propriété d'extirper le ver solitaire : voici comment ce remède se prépare et s'emploie. Quoique récoltées dans toutes les conditions voulues pour qu'elles aient pu subir une dessiccation complète, avant de se servir des fleurs du coussotier, on les expose encore au soleil pendant une heure environ; puis on en prend 4 gros, que l'on réduit en poudre en les broyant, à l'aide d'une molette, sur une pierre placée horizontalement; on délaye cette
poudre dans un demi-litre d'eau froide et l'on boit cette infusion d'un seul trait. Une heure et demie après, les premières selles ont lieu; elles amènent plusieurs fragments de ver; à la troisième, qui suit les précédentes de quelques instants, on évacue le ver sous forme de boule, mais très-rarement avec la tête : celleci demeure presque toujours dans le corps de l'individu. Après s'être ainsi débarrassé du ténia, on prend un quart de litre d'eau tiède, afin de rendre tout le cousso. On fait usage de ce remède de deux mois en deux mois.
Les Abyssins ont l'habitude de se mettre plusieurs de compagnie pour l'employer en même temps. Un jour, trois de mes domestiques, se conformant à cette coutume, avaient évacué le ver moins la tête; je leur fis prendre de nouveau à chacun, cinq heures après avoir rendu le premier remède, une autre potion de 3 gros du même médicament, et j'obtins les résultats suivants. Deux eurent encore trois selles; la tête du ver sortit à la seconde; l'autre en eut quatre et rendit la tête à la troisième : ainsi la vertu du cousso est radicale (1).
(t) Depuis mon retour en Europe, j'ai extirpé plusieurs vers solitaires au moyen du cousso administré de la même manière.
RETOUR DU ROYAUME DE CHOA A TOUJOUR A.
Une caravane se dispose à traverser le pays d'Adel. — Je forme le dessein de profiter de cette occasion ponr revenir en France. — J'en fais part au roi. — Cadeaux dont il me charge pour S. M. Louis-Philippe. —
Sa lettre au roi des Français.— Je prends congé de Sahlé-Sallassi. — Je pars.— Gontchio,- Farré ; j'y rencontre un voyageur écossais mourant. — Station de Dathâra. — Importance de la caravane. — Hasbouia. — Je vais visiter le volcan de Dôfâne ; lac de Léado. — Lacs d'Ellobelo. — Hippopotames. — L'Aouache. — Malkakouiat ; éléphants. — Rugissements des lions. — Vallées de Dettaqualaïla, Dabillé, Alaguedagui, Béléne. — Chasse aux zèbres ; j'en tue un. —
Moiéguerré. — Coummi. — Metta. — Notre caravane se divise en deux parties qui se séparent, l'une pour Harrar, l'autre pour Toujourra. — Harrar; sa population, son importance; son émir veut m'attirer auprès de lui. — Odar-Doura. — Hasen-Déra. — Nous manquons d'eau.— La rivière de Kilalou presque à sec. — Chaleur intolérable. — Nouvelle disette d'eau à Allouli. — Je quitte la caravane pour aller à Hédéita, où je trouve de l'eau. — J'arrive à Toujourra.— Je pars pour Aden. — Zéila, Barbara; ports de ces deux villes, leur commerce. — J'arrive à Aden.
CHAPITRE XIII.
Peu de jours après notre arrivée du Gouragué, le ras de la kabile Débenet-Buéma et le chef de la caravane de Toujourra vinrent demander au roi la vengeance de deux de leurs compatriotes que des habitants de l'Éfat-Argouba avaient émasculés.
Ouaïs-Agayo, le ras de la kabile Débenet, consentit à un arrangement en faveur de la famille du Bédouin de sa tribu, mort victime de l'odieuse opération qu'avait pratiquée sur lui l'Argouba, qui n'avait pas craint d'acheter un trophée menteur au prix d'un assassinat.
Le coupable lui donna un certain nombre de bœufs, de vaches, de moutons, de chèvres, et plusieurs pièces de coton.
Mais le chef de la caravane n'admit pas de composition, et, comme il refusa d'entrer en accommodement, le roi lui fit livrer le coupable; il alla, avec quelquesuns de ses compatriotes, le massacrer à coups de lance.
S'il n'avait pas obtenu cette satisfaction solennelle, tant que le crime serait demeuré impuni, toutes les com-
munications entre les Adels et les habitants de l'ÉfatArgouba auraient été interrompues.
Je résolus de profiter de la présence, dans le royaume de Choa, du ras Agayo et d'une caravane prête à quitter l'Éfat-Argouba , pour partir d'Abyssinie. Sahlé-Sallassi avait contrarié, en me retenant auprès de lui , le plàn de mon voyage à travers l'Afrique; je pensai qu'avant de me lancer dans une entreprise périlleuse dont l'issue était environnée de tant de doutes, il était peut-être de mon devoir d'appeler l'attention de la science et de mon pays sur une contrée aussi importante et aussi intéressante que le royaume de Choa : d'ailleurs j'espérai qu'un nouveau séjour en Europe et des entretiens avec les hommes qui donnent aux sciences leur impulsion me fourniraient de plus grandes lumières, des indications plus utiles pour remplir dignement la mission de découverte que je m'étais assignée dans l'intérieur de l'Afrique. Je pris donc irrévocablement mon parti; je voulus toucher encore une fois le sol de la patrie et placer mon œuvre sous la noble tutelle des savants aux travaux desquels j'avais résolu d'offrir le concours de mon courage et de ma persévérance. Lorsque j'annonçai ma résolution à Sahlé-Sallassi , il en parut vivement affecté; il usa de tous les moyens pour me retenir; ce ne fut que lorsque je lui eus déclaré que je saurais braver même la violence pour sortir de ses États, qu'il consentit à me laisser aller; il me dit alors que, ne pouvant me
conserver malgré moi, il me chargerait du moins de prier le roi des Français de lui accorder son amitié et de lier des relations avec lui, et qu'il me renverrait porteur de présents pour S. M. Louis-Philippe; puis il me fit promettre de retourner encore une fois dans son royaume : il ajouta qu'il allait faire venir le ras Agayo et le chef de la caravane de Toujourra, qui étaient à Tiannou, pour me recommander à eux, et que durant ce temps je pourrais faire les préparatifs de mon départ.
Je me rendis donc à Debrabrame pour prendre congé de la mère du roi et faire mes adieux à ses fils; je fus touché des regrets que me témoignèrent ces jeunes princes; je les assurai qu'ils pouvaient compter sur mon retour; je poussai ma petite excursion à Débrabrame jusqu'à Gondi et Mafoute. Je trouvai à mon retour auprès du roi le ras Agayo et le chef de la caravane; Sahlé-Sallassi, en ma présence, me recommanda fortement à eux ; ces bonnes gens lui répondirent que ses recommandations n'étaient point nécessaires : « Si Rochet veut rester parmi nous, dirent-ils, il ne manquera jamais de rien; s'il veut retourner à Toujourra, nous l'y conduirons sain et sauf; nous en répondons sur nos têtes.» Ils m'engagèrent à presser mes préparatifs et à aller me joindre le plus tôt possible à la caravane, alors réunie au village de Farré. Le jour du
départ était fixé au 7 mars (nous étions au ier); ils m'avertirent qu'il était impossible de le retarder, vu que la caravane était nombreuse et que les personnes qui la composaient avaient terminé leurs affaires.
Le 2, le roi me fit remettre les cadeaux qu'il destinait à S. M. Louis-Philippe : c'étaient deux gros et beaux manuscrits in-folio sur parchemin, ouvrages écrits en guèse téthiopique), dont l'un, intitulé Sankesar, contient l'histoire des saints de l'Abyssinie, et l'autre , nommé Fetha-Negueuste, par la réunion des deux mots fetha et negueuste, qui signifient, en éthiopique, le code des rois (la manière dont les rois de la terre doivent juger), est tombé du ciel, prétendent les Abyssins, à l'époque de l'empereur Constantin, ce qui fait qu'ils le considèrent comme un livre révélé; un très-beau cheval sellé et bridé; un bouclier en cuir d'hippopotame garni en argent; deux lances royales; un sabre formant le demi-cercle, dont le fourreau est aussi orné en argent; un bracelet et un cercle en argent; une peau de mélas ou panthère noire garnie en satin rouge, et une peau de lionne non garnie, toutes deux servant de manteau, puis un taube du pays. La reine me remit aussi, pour la reine des Français, une robe abyssinienne.
Sahlé-Sallassi voulait ajouter à ses cadeaux le diadème d'or dont j'ai déjà fait la description; mais,
(1. Doutais "U,.
e6jm offerts eu -ptcoeut ûlS<xL <MjXACàtc Roi da>CSxaM £ aju>,\rar$4L&tc-$aJlZcU>i. Roi. du. CfwCL.
a. Lance de de b-il -
b. Bouclier en peau d 'hippopotame
c. Cerle de guerrier ntir au àras
d. Bracelet de guerrier -
e Sabre -
f. Croijygre^xfue^
(g. Boucles d/'oreiUes.
h. Peau de panthère rwire-.
exposé soit à être dévalisé, soit à mourir en route, la crainte que, dans cette alternative, les présents ne parvinssent point à leur destination me décida à refuser d'en augmenter le nombre d'un objet d'une valeur de 4 à 5,000 francs. Le roi accompagna ses cadeaux d'une lettre qui fut écrite, en ma présence, sous sa dictée au roi des: Français; elle me fut donnée enveloppée d'une couverture de satin rouge et formant un petit rouleau; en voici la traduction (1) : -
Négueuste Sahlè-Sallassi, roi de Choa., à Louis-Philippe, .', roi des Français.
« Je vous 'envoie ce message après avoir entendu parler de votre grandeur par Rochet : mon cœur est déjà porté vers vous et désire votre amitié. Il est d'usage qu'entre personnes éloignées les présents en soient les premiers gages ; je vous envoie donc quelques objets de mon pays : ces objets sont un bouclier, un sabre, un anneau d'argent et un bracelet de guerrier; un taube, une peau de panthère noire, une peau de lionne, deux lances, un cheval, deux livres appelés, l'un Sankesar, l'autre Fetha-Negueuste. Je ne re-
(l) Cèttè traduction a été faite par-il. Lefebvre, officier de marine, qui « habité FAbyssinie ; c'est celle qui a été présentée au roi.
garde pas ces choses comme des présents dignes de vous, mais comme des objets de curiosité : ce sont des produits de notre industrie que je vous fais parvenir.
« Je ne puis contracter avec vous l'amitié qui naît du regard et de la parole, mais seulement celle que l'écriture cimente, puisque nous ne pouvons nous voir; mais nos yeux seront les caractères tracés par la plume, et notre parole celle de Rochet, à qui j'ai confié ma pensée. Renvoyez-le-moi bientôt, et lorsqu'il viendra , dites-lui ce que vous voulez avoir de mon pays et que l'on ne trouve pas dans le vôtre. Je m'empresserai de satisfaire vos désirs et de vous renvoyer Rochet à mon tour.
« Que la bénédiction de Dieu notre père, que celle de Jésus-Christ notre sauveur soient avec vous. »
SAHLÉ-SALLASSI, ROI DK CHOA.
Sahlé-Sallassi ne voulait pas me laisser partir sans me donner des marques de sa munificence; il m'offrit ce que je voudrais choisir dans son trésor et parmi les objets précieux qui lui appartiennent. Je m'étais toujours efforcé de lui donner une haute idée de la nation française; je voulus, en partant, lui laisser le souvenir de mon désintéressement, et je craignis de compromettre le nom de mon pays en lui témoignant trop d'avidité pour l'or et l'argent; en conséquence, je ne pris
que ce qui était strictement nécessaire pour me rendre au Kaire : 200 talari effectifs et une quantité d'ivoire que je vendis 300 talari à Moka, ce qui fait une somme d'environ 2,500 francs.
Le 3, je pris congé du roi et des principaux personnages du pays, que mon départ attrista beaucoup; je quittai ensuite Angolola et je vins à Angobar faire mes adieux à l'excellent M. Graphfe, qui était toujours en défaveur auprès du roi et avait néanmoins l'intention de prolonger encore son séjour dans le Choa. Comme il m'avait souvent témoigné le regret, pendant notre expédition aux sources de l'Aouache, de ne pas avoir de boussole de voyage, je lui laissai, en partant, l'une des miennes, et lui indiquai la manière de s'en servir.
J'allai coucher, le 4, à Gontchio> chez le principal gouverneur de la province d'Efat-Argouba, nommé Mahamet-Abougaze ; il vint m'accompagner jusqu'à Farréj où j'arrivai le 5.
Là je rencontrai, dans une situation déplorable, un voyageur écossais nommé Airthon : il avait pris la même route que moi, celle de Toujourra pour arriver en Abyssinie; il était accompagné de deux naturels de Choa qu'il avait vus au Kaire, revenant du pèlerinage de Jérusalem qu'ils avaient accompli en bravantles plus grands dangers. L'un d'eux était sorti du Choa en passant par Harrar, où on l'avait contraint à embras-
ser 1 islamisme; il était absent de son pays depuis six ans; le second l'avait quitté depuis quatre années.
L'infortuné Airthon succombait à une affection cérébrale qu'il avait contractée depuis quatorze jours sur les bords de l'Aouache ; il était âgé de vingt-huit ans à peine : la force de la jeunesse luttait en lui avec les ravages de la maladie. Je fis retarder de deux jours le départ de la caravane, afin de prodiguer à cet intéressant jeune homme les soins que réclamait sa lamentable positionne le saignai à deux reprises, son état en fut un instant sensiblement amélioré ; je ne saurais dépeindre les sentiments de joie et de reconnaissance avec lesquels il m'embrassait; il me regardait comme un sauveur que la Providence lui envoyait dans ce coin de terre où il gisait mourant, sans secours, sans consolation , seul au milieu d'un peuple barbare, à plusieurs milliers de lieues de son pays et de sa famille : et c'était au moment où il touchait au but de son triste voyage qu'une destinée jalouse faisait fuir devant lui le terme qu'il était sur le point d'atteindre! Après deux jours, je perdis tout espoir de le sauver; je ne pus modérer davantage l'impatience de ma caravane; c'était le 10 au matin; elle partit : pour moi, je restai auprès du malheureux jusqu'à dix heures du soir; je fis prévenir M. Graphfe par un exprès et je m'arrachai de M. Airthon, le cœur navré, regrettant de ne pou-
voir l'assister dans l'horrible combat de l'agonie et lui rendre les derniers devoirs sur cette terre funeste, où il était venu chercher son tombeau. Lorsque je mis mon cheval au galop pour rejoindre la caravane qui avait pris un jour d'avance sur moi, j'avais l'âme déchirée des plus lugubres pensées. Peut-on concevoir rien de plus triste, en effet, que cette mort d'un voyageur, expirant après mille fatigues supportées, mille dangers bravés, isolé, délaissé, torturé bien plus cruellement encore par la souffrance morale que par la douleur physique sous laquelle se débat sa vie en s'échappant?
La caravane avait pris une route différente de celle par laquelle j'étais venu; c'est le chemin que suivent les caravanes lorsqu'elles n'ont rien à craindre des Gallas Itou-Tehier-Tchier : je me mis donc sur ses traces, accompagné de mon domestique; à minuit, je passai à gué une rivière qui est alimentée par plusieurs ruisseaux, notamment par celui d'Errara; elle coule de l'ouest-sud-ouest à l'est-nord-est et va rejoindre l'Haoudeh, à 8 lieues au nord. A peine eus-je passé cette rivière, qu'une hyène tachetée s'avança vers moi, en poussant de sinistres rugissements. Cette périlleuse rencontre était à l'unisson des sombres idées qui occupaient mon âme depuis que j'avais quitté le voyageur moribond ; pour ne pas être pris en défaut par le féroce animal, je descendis de cheval et armai mon fusil;
niais, grâce à Dieu, je n'eus pas besoin d'en faire usage.
Le 11, à une heure du matin, j'arrivai, au pas de mule, dans un lieu nommé Dathâra, où la caravane s'était arrêtée.
A six heures du matin, nous nous mîmes en marche dans la direction sud-est; la caravane, composée de 750 Bédouins, de 240 esclaves et de 1250 chameaux chargés de blé, de doura, de café, de cire, d'ivoire et peaux de hœuf, se déployait sur un grand espace; la plupart des Bédouins étaient à cheval : ces nombreux cavaliers donnaient à notre masse un aspect imposant.
On s'arrêta, à trois heures du soir, sur un lieu nommé Hashouta, situé à une demi-lieue au nord de la montagne de Dôfàne, appelée aussi, par les naturels, Gebel-Kabrète, c'est-à-dire montagne de soufre; c'est le volcan dont j'ai déjà parlé. Un esclave s'étant sauvé pendant la nuit, on passa la journée du 12 à la recherche du malheureux ; on parvint à le trouver et on le ramena. Le plus grand nombre des esclaves que la caravane conduisait étaient des enfants en bas àge; il y avait, parmi eux, des païens, des chrétiens et des musulmans.
Je profitai du temps que l'on dépensa à la recherche du malheureux fugitif, pour aller visiter le volcan. C'est une petite montagne isolée, au bord d'une grande plaine; elle est formée de roches trachytiques
décomposées en partie par le feu; elle n'est percée, à l'intérieur, que d'un seul cratère, sur les parois duquel on observe les nuances les plus belles du soufre, depuis le jaune le plus clair jusqu'au rouge. La bouche du volcan vomit toujours de la fumée : il y a, non loin de là, plusieurs autres volcans éteints. C'est à cinq minutes à l'est que se trouve le lac de Léado; lorsque je le vis, il était couvert d'oiseaux aquatiques.
Nous nous remimes en route le 13, à six heures du matin, en traversant, au nord du lac, d'épaisses broussailles de mimosa ; j'observai de nombreuses traces d'éléphants, sans apercevoir un seul de ces animaux; je pris bientôt la direction est-nord-est et à neuf heures, je me trouvai auprès des quatre petits lacs Ellobelo, qui ne sont éloignés les uns des autres que de cinq minutes environ : ils ont de quinze à vingt minutes de circonférence; leur eau est saturée de carbonate de soude que l'on voit, le matin, en cristallisation sur les bords. La quantité prodigieuse d'hippopotames qui habitent ces lacs surpasse tout ce qu'on pourrait imaginer. Ces animaux ne sont point farouches; on peut aisément approcher d'eux à douze ou quinze pas; je tirai sur plusieurs d'entre eux, sans qu'ils s'effrayassent du coup de fusil : la balle, s'aplatissant sur leur cuir épais et dur comme sur une impénétrable cuirasse, ne semblait leur faire aucun mal. Ils donnent,
par leur grand nombre, une curieuse physionomie aux lacs d'Ellobelo : ici l'on voit des escadrons de ces amphibies fendre l'eau en masses; là, d'autres, plus indolents, montrent paresseusement au soleil leur tête énorme; à chaque instant, de tous côtés, les uns et les autres plongent et, en reparaissant à la surface, lancent en l'air de petites colonnes d'eau qui retombent en gerbes. Ils sortent la nuit pour aller paître et rentrent chacun, indifféremment, dans le premier des quatre lacs qu'ils rencontrent.
A neuf heures et demie, je passai l'Aouache à cheval, à 8 lieues plus au sud que l'endroit où je l'avais traversé en allant; il avait alors 85 centimètres de profondeur ; son lit était encaissé dans des rives d'une terre noirâtre, argilo-siliceuse, inclinées en talus sur une hauteur perpendiculaire de 18 mètres 13 centimètres; ses eaux avaient été troublées par les petites pluies qui tombaient alors sur la partie supérieure de son cours, preuve nouvelle que ces pluies se répandent à des époques diverses sur la surface de l'Abyssinie méridionale.
La caravane franchit le fleuve à onze heures; elle s'arrêta, sur la rive opposée, dans un lieu nommé Malkakouiat : nous y trouvâmes deux éléphants d'une très-grosse taille. Nous étions plusieurs cavaliers réunis et nous nous avançâmes à très-peu de distance de ces
animaux, sans qu'ils parussent effrayés le moins dq monde : ils se retirèrent à petits pas, comme s'ils eussent été apprivoisés; mais, de temps en temps, ils s'arrêtaient et nous surveillaient de l'œil pour nous tenir en respçct.
Le 14, à trois heures du matin., j'entendis les majestueux rugissements des lions ; ils rôdaient towtprès de mes mules et de mon cheval, qui, à leur voix , agités par une trépidation nerveuse , furent en nage en uipnstant. Tous les chameaux de la, caravane subissaient l'influence magnétique du roi des animaux et partageaient cette frayeur : quant aux Bédouins , ils ne se dérapgèrent seulement pas.
Nous voulûmes consacrer cette journée à une grande partie de chasise aux éléphants et aux hippopotames , mais sans succès; car personne ne fut assez audacieux pour entrer dans les lacs où vivent les hippopotames, et les Bédouins craignant, à cause des chameaux de la caravane, -de provoquer la rage de trois éléphants que nous aperçûmes, aucun de nous n'osa s'avancer pour les combattre.
Le 15, de deux à trois heures du matin, les lions se tirent entendre de nouveau ; mais leurs rugissements furent plus effrayants que la veille; tout le monde se tint sur le qui-vive.
A cinq heures, nous reprîmes notre voyage dans la
direction nord-est ; nous traversâmes une vallée tapissée de verdure, nommée Dettaqualaïta, séparée de l'immense plaine de Moullou par un coteau qui s'étend du sud au nord. On fit halte, à huit heures, dans un lieu nommé Dabillé, à demi-lieue duquel, au sud, coule, dans un bosquet, un ruisseau qui ne tarit jamais.
Le 16, à midi, nous poursuivîmes notre route en gardant la même direction : la plaine que nous parcourions continuait à nous présenter les mêmes caractères de fertilité. On éprouve un vif regret, lorsqu'on voit ces immenses étendues de terres fécondes , mais incultes , en songeant qu'elles sont inhabitées et que l'homme n'y fait point fructifier les trésors que la nature y a prodigués. Les Bédouins se bornent à y recueillir la pâture de leurs troupeaux , à l'époque où elles se couvrent d'herbes. Je gravis le coteau, et, en descendant le versant oriental , j'entrai dans la plaine de Moullou : on s'arrêta , à cinq heures, sur un lieu nommé Alagueclagui. On n'y trouve point d'eau ; il faut aller en chercher à une lieue , au sud , dans un lieu nommé Béléne, territoire des Gallas-Itou-TchierTchier. A peine les chameaux furent-ils déchargés, qu'une vive alerte mit la caravane en émoi. Peu de temps avant notre départ du Choa, le chef des HasenMéras avait envoyé à Ouais-Agaïo un message écrit, dans lequel il l'invitait ironiquement à se procurer un
grand nombre de taubes, lui donnant à entendre que sa tribu serait bien aise de les lui enlever. Ouais-Agaïo, fier de se trouver à la tête d'une caravane imposante, accepta le défi, et répondit, par écrit , sur le même ton : Qu'il aurait soin , en effet, de faire emplette de taubes, et qu'il lui donnait rendez-vous à tel jour et dans tel lieu , pour venir les prendre. Or Alaguedagui était le lieu désigné par notre ras, et, sur un coteau peu éloigné , nous ne tardâmes pas à voir paraitre quelques Bédouins. Aussitôt un cri d'alarme fut poussé ; une trentaine de nos cavaliers partirent au galop , dans diverses directions , pour aller examiner les mouvements de l'ennemi. Les hommes de la caravane se rangèrent en bataille sur deux lignes, et les femmes furent placées sur les chameaux , derrière le front qui couvrait le camp. Ouais-Agaïo , en dehors de la ligne, excitait notre troupe au combat. La chanson guerrière fut entonnée en chœur. A certaines paroles, qui revenaient comme un refrain , tous brandissaient leurs lames en redoublant leurs cris. J'étais placé à côté d'Ouais-Agaïo. Pour effrayer les Hasen-Méras, qui ne possèdent pas d'armes à feu , je ne cessais de tirer des coups de fusil, dont mes compagnons accueillaient les détonations avec un frémissement belliqueux.
Au bout d'une demi-heure nous vîmes revenir nos éclaireurs; ils nous annoncèrent qu'il n'y avait aucun
danger à craindre; du haut de leurs chameaux, les femmes poussèrent des cris de joie en entendant cette heureuse nouvelle. Nous rompîmes notre ordre de bataille et nous retournâmes aux occupations ordinaires de nos campements nocturnes. Nous n'eûmes aucune nouvelle des Iiasen-Méras.
Le 17, on se mit en route à cinq heures du matin, en conservant la même direction ; on s'arrêta à huit heures à Bordouda. Voyant que la caravane ne devait pas marcher plus avant ce jour-là, je me joignis à 35 cavaliers danakiles et j'allai, en leur compagnie, sur le territoire des Gallas-Itou faire la chasse aux zèbres, aux ânes sauvages , aux antilopes, aux chamois, aux daims, aux chevreuils et aux gazelles, que l'on y rencontre en grand nombre. Nous marchâmes à pied, en tenant nos chevaux par la bride, jusqu'au lieu où ces animaux nous avaient paru les plus nombreux. Avant de montera cheval, mes compagnons s'accroupirent et récitèrent une prière du Koran, entrecoupée de fréquents amdcL-iL-laJi ( plaise à Dieu) , par laquelle ils demandèrent à Dieu une bonne chasse. Pendant une heure nous poursuivîmes un zèbre d'une taille gigantesque.
Comme je montais le meilleur cheval de notre troupe, je le serrai de près ; je le frappai le premier et lui portai avec ma lance deux coups mortels. Les autres cavatiers me joignirent ensuite et achevèrent ce magnifique
animal; sa peau , que j'ai emportée avec moi, était couverte d'un poil ras et luisant ; elle était uniformément bâtonnée de raies blanches et noires dont les lignes alternées formaient un dessin régulier de la plus grande beauté. A peine le zèbre venait-il de tomber sous nos coups, que nous aperçûmes une troupe d'environ deux cents cavaliers gallas-itou qui, irrités sans doute de nous voir chasser sur leur territoire, s'avançaient sur nous au galop. Comme nous étions bien inférieurs en nombre y nous jugeâmes prudent de battre aussitôt en retraite. Nous rentrâmes à cinq heures du soir au milieu de la caravane, qui, à la vue de la superbe dépouille que nous portions en triomphe, nous reçut avec les acclamations les plus vives.
Nous nous mimes en marche le 18, à six heures du matin ; nous longeâmes la partie nord de la plaine, et nous fîmes halte , vers dix heures, à Moullou.
Le 19, à six heures du matin, nous continuâmes notre route à travers le territoire des Hasen-Méras; on s'arrêta à deux heures dans un lieu nommé Mauiêguerréj où l'on demeura pendant la journée du 20.
Le 21 , à sept heures, on reprit le voyage ; à huit heures et demie, je passai en face de Coiimmi, à une lieue au nord de l'endroit où j'avais stationné en allant; je rentrai alors dans la route que j'avais suivie pour arriver à l'Efat-Argouba ; à trois heures après midi, nous ar-
rivâmes à Metta, où nous fimes notre halte nocturne.
Le 22, au matin , des Bédouins vinrent nous porter de fâcheuses nouvelles ; ils nous dirent que , depuis quatre mois , il n'avait point plu dans la contrée que nous allions parcourir; qu'il n'y avait point d'eau dans les réservoirs de la route que nous devions suivre; qu'à partir de Metta, il nous faudrait marcher trois jours avant d'en trouver.
On envoya à G lieues à la ronde et sur différents points plusieurs cavaliers pour voir si les Bédouins avaient dit la vérité. Il était dix heures du soir lorsqu'ils revinrent ; ils confirmèrent les tristes nouvelles de la matinée : ils annoncèrent que les endroits mêmes qui renfermaient de l'eau après l'époque des pluies étaient complètement à sec , et nous avertirent, par conséquent, de prendre les plus grandes précautions et de nous approvisionner de manière à ne pas manquer d'eau jusqu'à Kilalou, où nous en rencontrerions après trois journées de marche.
La caravane se sépara en trois parties, le 23, au matin. Les Bédouins, qui composaient la plus considérable , se rendirent, avec leurs chameaux, à dix lieues à l'est-sud-est, où se trouvait leur kabile ; la seconde, la plus importante par les marchandises qu'elle emportait avec elle, prit la route d'Ilarrar; la troisième était la caravane de Toujourra , à laquelle
demeurèrent attachés quelques naturels de Rahiéta , et qui se composait de 32 individus, plus les esclaves, au nombre de 210, et 45 chameaux.
J'allai camper, ce jour-là, avec cette caravane ainsi diminuée à Quodhoté. Si je n'eusse été chargé, pour le roi des Français, de cadeaux que je craignais de compromettre, j'aurais suivi la caravane d'Harrar. Prévenu par l'immense renommée que je m'étais faite dans le royaume de Chua et les pays environnants , en fabriquant de la poudre, du sucre , et en révélant à ces peuples barbares quelques-uns des effets de la puissance scientifique, le chefd Harrar, qui prend le titre d'émir, avait voulu m'attirer auprès de lui, et m'envoya , à cet effet, lerasBidar, qui lit d'inutiles efforts pour me décider à aller lui rendre visite : en m'invitan t dans ses Etats, cet émir me faisait une faveur insigne, car tel est le fanatisme des habitants d Harrar, imbus de l'islamisme le plus sévère, qu'ils défendent aux chrétiens l'entrée de leur pays, et que l'Européen qui oserait s'aventurer au milieu d'eux, sur leur territoire , payerait de la vie sa témérité. Si j'en dois croire les informations que j'ai prises, le pays d'Harrar offrirait au voyageur un immense intérêt ; aussi je me promets bien de mettre à profit, à mon retour dans le Choa , les dispositions bienveillantes que Fémir m'a fait témoigner de sa part.
Harrar est situé à 15 lieues de Metta ; c'est une trèsjolie ville, dont les maisons, bâties en pierre et blanchies à la chaux, sont groupées sur le sommet d'une petite colline; elles sont hautes d'un étage, et terminées par des terrasses à la manière des maisons égyptiennes; des portes placées aux extrémités des rues en garantissent la sûreté. Harrar peut avoir de 12 à 14,000 habitants, mahométans de religion, apparte- nant à la race saumalie : elle est séparée de Barbara par une distance d'une cinquantaine de lieues , et éloignée de Zéila de 25 à 30 seulement; elle est à une distance à peu près égale de Tiannou. La contrée qui s'étend entre elle et la mer est habitée par plusieurs tribus indépendantes. Les Gallas-Itou-Tchier-Tchier, qui l'inquiètent fréquemment, habitent l'espace à l'ouest qui la sépare du royaume de Choa.
Le 24, à deux heures du matin, on alla recueillir de l'eau et faire abreuver les animaux à l'endroit ou l'on s'était arrêté la veille : il s'y trouvait par hasard un petit fossé rempli au quart par une averse qui était survenue quelques jours auparavant. C'est de cette eau déjà corrompue et infecte que l'on lit provision : a midi, tous les animaux furent de retour; à deux heures, ou se mit en route; à sept heures, on s'arrêta à OdcirDoura.
Nous en partîmes le 25 a minuit; nous arrivâmes
à onze heures du matin à lIasen-Déra, où nous restàmes quelques heures , afin de donner aux animaux le temps de manger. Déjà nous étions entrés à plein dans les déserts torrides et stériles de l'Adel; il faisait une chaleur ardente et intolérable ; par cette température embrasée, c'était pour nous une volupté délicieuse de boire un peu de cette eau corrompue dont nous supportions l'odeur avec peine; ses fétides exhalaisons répugnaient aux animaux eux-mêmes ; pour la faire boire au cheval et aux mules, je fus obligé d'y faire dissoudre une certaine quantité d'acide citrique : ils ne consentirent à toucher à cette limonade empoisonnée que lorsqu'on leur eut lavé le museau avec la dissolution préparée par mes soins.
Pour épargner à notre marche le supplice de la chaleur de la journée, nous nous mîmes en route pendant la nuit. Partis d'Odar-Doura à dix heures du soir, nous arrivâmes à Kïlalou le 2(33 à une heure après midi. La rivière était presque entièrement à sec; son lit n'offrait cà et la que des mares stagnantes d'une eau un peu saumâtre : quelques-unes renfermaient des crocodiles. En arrivant, je tuai un de ces hideux reptiles à l'endroit même où s'arrête la caravane et où la rivière prend sa source : il avait 4 pieds 3 pouces de longueur. Hommes, femmes et animaux, nous étions tous exténués de fatigue et mourants de soif,
lorsque nous parvînmes à Kilalou. Nous venions de subir les plus brûlantes ardeurs de ce cercle de feu dont la zone torride enveloppe les contrées intra-tropicales , ardeurs intolérables là où ne les tempèrent ni l'élévation des lieux, ni la fraîcheur de courants d'eau entretenus par des sources abondantes. Pour ma part, au milieu de la plus affreuse aridité , sous le poids des rayons enflammés que le soleil dardait sur ma tête et que répercutait de tous côtés une terre nue et embrasée, j'avais fait sans boire le voyage d'Hasen-Déra à Kilalou (11 lieues). Trois esclaves moururent de soif pendant ce trajet. Dès qu'il vit l'eau , le cheval que j'amenais se jeta à corps perdu, tout haletant, dans une mare ; il y resta pendant deux heures, sans qu'il fût possible de l'en tirer avant ce temps. Nous demeurâmes à Kilalou pour nous y refaire pendant la journée du 27. ��-
Je descendis la rivière jusqu'à 4 lieues de sa source; son lit était parsemé de grandes mares rapprochées les unes des autres, très-poissonneuses et pleines de crocodiles : il est même dangereux de s'en approcher, à cause de ces animaux ; quoique d'espèce moins grosse que ceux que l'on voit dans la haute Egypte, ils sont cependant tout autant à craindre.
De Kilalou jusqu'à l'endroit de la route où nous
devions trouver encore de l'eau, nous avions à faire une traite de trois jours.
Le 28, à midi, on se mit en route; on fit halte à Barouddàda; le 29, à trois heures du matin, on reprit la marche; on s'arrêta , à quatre heures du soir, à Omar-Goulouf; nous partîmes, le 30, à quatre heures du matin, nous étions arrivés à neuf heures et demie à Davoyeléka, où nous passâmes la journée du 31.
Le 1er avril, à midi, nous continuâmes le voyage; nous nous arrêtâmes à sept heures et demie du soir à Saguaguédâne; nous en partîmes le 2 à quatre heures du matin, et nous arrivâmes à onze heures à Gaubade.
La chaleur continuait à être accablante; dès que nos chameaux furent déchargés, les gens de la caravane et moi nous cherchâmes à nous procurer de l'eau.
Pour cela, nous nous mimes à creuser des trous dans le sable ; c'était un travail diiïicile par ce soleil brûlant et à travers ce sable mouvant qui s'éboulait sans cesse dans les fosses que nous approfondissions. Nous fûmes obligés d'aller jusqu'à 6 pieds , et nous persévérâmes dans cette œuvre pénible jusqu'à six heures du soir; ce ne fut qu'après des efforts inimaginables que nous parvînmes à nous procurer assez d'eau pour tout le monde.
Le 3, à trois heures du matin, la caravane se mit en marche; à onze heures , elle s'arrêta à Dada : là,
pour nous procurer de l'eau , nous fumes obligés de répéter le même travail qu'à Gaubade.
Nous nous mîmes en route, le 4, à deux heures du matin; nous fîmes halte à midi à Seggadara. he 5, nous commençâmes à marcher à quatre heures et demie; à neuf heures, nous arrivâmes à Karabtou.
Partis le 5, dès une heure du matin, nous atteignîmes Allouli à huit heures : là nous apprîmes qu'il n'y avait de l'eau qu'à Gongonta et Hédéita , lieu situé à 5 lieues au nord de Daffaré, et écarté de 2 lieues de la route habituellement suivie par les caravanes, ce qui donnait à parcourir sans eau une distance de 14 lieues par un chemin rocailleux, on ne peut plus difficile à pratiquer, et une chaleur excessive, auprès de laquelle celle que j'avais eue à supporter, et dont je me plaignais lorsque j'allais au Choa , me paraissait, comparée en souvenir, une agréable fraîcheur.
Nous avions perdu, pendant notre voyage, 7 chameaux, dont 2 m'appartenaient; ceux qui survivaient étaient épuisés et tellement surchargés, qu'il était impossible d'augmenter leurs fardeaux; j'offris jusqu'à 20 talari pour me transporter quatre outres d'eau que je destinais à mon cheval jusqu'à Gabtima (à 17 lieues), on en voulait quarante : ce prix exorbitant me contrariait beaucoup; peut-être aurais-je été forcé de le donner, si mon domestique, Danakile
nommé Dounna, de Toujourra, habitué à ces localités, ne m'eût offert de m'accompagner à Hédeita; il me fit espérer qu'en partant le lendemain de bonne heure et en marchant toute la journée, nous arriverions sûrement pendant la nuit à cet endroit, et qu'ainsi je pourrais sauver mon cheval, à la conservation duquel je tenais d'autant plus, qu'il était destiné à Sa Majesté le roi des Français.
Je me décidai à aller à la source où mon guide voulait me conduire ; je fis faire des galettes avec de la farine détrempée dans l'eau et cuite sur une plaque de fer; je pris avec moi le peu de biscuit qui restait, ainsi que de l'orge pour le cheval.
Le 7, à une heure du matin, je quittai la caravane ; à quatre heures, j'arrivai à Gongonta : je fis boire le cheval et lui donnai de l'orge; mon domestique emplit une petite outre d'eau qu'il portait, puis nous partîmes, enveloppés d'une atmosphère également brûlante, la poitrine et la tête en feu, le palais desséché, torturés par une soif mortelle. Enfin, à onze heures et demie du soir, après une journée d'angoisses dont je n'oublierai jamais les heures si longues et si affreuses, nous arrivâmes à Hédéita. Je fis boire sur-le-champ le che-
val : il n'y avait pas, aux environs de la source, un 1~)~)~
d'herbe qui pût lui servir de pâture; la sécheresse avait tout brûlé. Il me restait sept galettes, j'en donnai trois
à mon domestique, trois au cheval, et, comme je me sentais indisposé, je me réservai la dernière pour un moment plus opportun. Il était une heure du matin lorsque j'essayai de me reposer.
Mais à cinq heures je me remis en route. J'arrivai à midi à Douloulle, où je passai la nuit : je laissai le cheval brouter en liberté le peu d'herbe qu'il pourrait trouver. Mon domestique alla voir des Bédouins de sa kabile qui étaient aux environs; ils apportèrent du lait, dans lequel nous fimes détremper le peu de biscuit qui nous restait : ce médiocre repas me mit dans un tel état de joie, qu'il me fit oublier les cruelles privations que je venais de souffrir et les dangers que j'avais courus dans la fin de mon voyage. D'ailleurs j'étais arrivé à très-peu de distance de Toujourra : déjà je revoyais la mer; j'éprouvais ce sentiment de bonheur 1 que l'on ressent lorsque, après une traversée tourmentée par les tempêtes, on aperçoit à l'horizon le port ardemment désiré. Bizarre contradiction! c'était alors sous de si douces couleurs que m'apparaissait cette misé- rable bourgade de Toujourra, dont l'aspect, huit mois auparavant, avait pénétré mon âme de tristesse et de découragement.
Le 9, à huit heures du matin, je levai ma dernière étape ; je passai à Ambabo à onze heures, et à deux
heures après midi j'entrai à Toujourra. La caravane n'arriva que trois jours après.
Rien ne me retenait à Toujourra; j'avais hâte d'en partir : malheureusement une barque qui venait de Moka apporta la nouvelle que S. A. Méhémet-AliPacha retirait ses troupes du Yemen, et qu'il y avait embargo sur toutes les barques qui arrivaient, pour les employer au transport des troupes jusqu'à Suez.
Cette fâcheuse nouvelle effraya les patrons de barque de Toujourra ; aucun ne voulut noliser pour Moka; je fus obligé de fréter pour Aden ; j'espérais trouver dans ce port un bâtiment qui se rendît directement à Djedda. Après avoir fait embarquer le cheval et toutes les provisions nécessaires, je partis le 20, à cinq heures du matin, et le 21 , à une heure après midi, j'arrivai à Zeïla.
Zeïla est une petite ville plus grande, plus peuplée, mieux bâtie et mieux dotée à tous égards que Toujourra; elle est défendue par quatre pièces de canon en mauvais état, dont deux protègent le port ; les autres, placées à l'ouest de la ville, servent à faire peur aux Bédouins de l'intérieur. Zeïla a deux ports ; les barques viennent ancrer dans celui qui est placé sous la ville : le second est à dix minutes au sud ; il a de 4 à 5 brasses de profondeur, et offre un mouillage parfaitement sur à 8 ou 9 bâtiments de 3 à 400 ton-
neaux. 50 Bédouins, armés de fusils à mèche, forment la garnison de Zeïla. Pendant que l'Arabie appartenait à Méhémet-Ali, cette ville relevait de Moka; son gouverneur, nommé Mahamet-Elbar, en conservait le commandement moyennant la somme de 50 talari effectifs, qu'il payait annuellement à Ibrahim-Pacha, petit-fils de Méhémet-Ali. On trouve à Zeïla, grâce à ses rapports avec Harrar, du café, de la gomme, des peaux de bœuf, du doura, etc. Le bazar est ouvert tous les jours. A une lieue et demie au nord-ouest de la ville, il y a, dans un lieu nommé Quodhoté, de l'eau excellente, que l'on vend 4 piastres turques la charge du chameau.
Le 23 au matin, je fis voile pour Barbara. Je mouillai dans son port le 25 à six heures : ce port est un golfe où 100 vaisseaux de haut bord pourraient ancrer en sûreté.
Barbara est composé de 2,500 à 3,000 chaumières, qui demeurent presque entièrement désertes après la grande foire qui s'y tient depuis le mois d'octobre jusqu'au mois de février. Pendant ce temps, il y vient de 10 à 12 gros navires des Indes; et 10 barques chargées de marchandises y entrent ou en sortent journellement. Les Banians établis sur le golfe Arabique se rendent à Barbara à l'époque de la foire. La majeure partie du commerce passe entre leurs mains; ils cou-
vrent leurs opérations du plus grand mystère, et en tirent sans doute des bénéfices importants : il n'est sorte de supercheries qu'ils n'inventent pour voiler leurs fraudes, de sorte que, doublement dupés, les Bédouins les prennent pour de fort honnêtes gens.
Durant la foire, les articles commerciaux qui paraissent en quantité considérable sur le marché de Barbara sont le café, la gomme arabique, la myrrhe, l'ivoire, les plumes d'autruche, le musc de civette, la cire, le gros et menu bétail, les peaux de bœuf, de lion, de léopard et panthère, etc.
Liste des marchandises que l'on trouve annuellement sur le marché de Barbara, avec la désignation de leurs quantités et de leurs prix respectifs.
ire qté 3 talari 1/2 le far. fr. 0 83 le kil.
Café. 1500 balles éq4 à 2400 q" mét. 2e 3 — 114 0 75 id.
3e 2 - 112 0 58 id.
Gomme arabique.. 1200 2000 1 — 112 0 35 id.
Myrrhe. 600 1000 3 à 4 — 0 0 70 à 92 id.
Ivoire. 400 30 à 32 — 0 7 55 id.
Plumes d'autruche. » 2 2 à 6 — 0 la livre. 10 20 à 61 20 id.
Musc de civette » 112 1 — 112 l'once. 244 80 id.
Cire. » 1000 2 à 3 — 0 le far. 046à70id.
Beurre. » 1000 1 — 0 0 24 id.
Bœufs. 8000 peaux » 7 — olekoche 1 78 la peau.
Chèvre. 4000 » 1 — 0 JI Mouton. 5000 » 0 - 1fl »
Un bœuf se vend de 4 à 5 talari, une mule 10 à 12 talari, un chameau 7 à 8.
Il y a entre le farassel de Barbara et celui de Moka cette différence que celui-ci contient 400 drachmes, et celui de Barbara 420.
Les talari de toute sorte ont cours à Barbara. Il n'en est pas de même dans le Choa, où l'on n'admet que ceux de Marie-Thérèse d'Autriche, dont l'étoile et les sept pointes du diadème paraissent très-distinctement.
Je saisis cette occasion pour réparer un oubli. J'ai omis de dire que dans le Choa on se sert, comme monnaie, de pièces de sel d'environ un demi-pied de longueur, qui, amincies aux extrémités et renflées vers le milieu, ont à peu près la forme de fuseaux. Elles proviennent du Tigré, où on les fait cristalliser dans des formes spéciales. Il en faut 18 ou 20 pour représenter la valeur d'un talaro.
La mesure de capacité usitée dans le royaume de Choa se nomme Kéle. Elle équivaut à environ 6 litres.
Pour mesurer les longueurs, les naturels du Choa se servent de leur bras, depuis l'extrémité du doigt jusqu'au coude. Ils donnent le nom de Dhra à cette coudée, variable suivant la taille des individus qui mesurent.
Après avoir fait, à Barbara, de nouvelles provisions, je 6s voile pour Aden le 29 avril au matin ; j'y arrivai le 2 mai, à cinq heures du soir.
D'ADEN A SUEZ.
Fortifications d'Aden. — Situation des Anglais vis-à-vis des indigènes.Je m'embarque pour Moka. — Les troupes égyptiennes évacuent celte ville. — Je laisse à Moka le cheval destiné au roi des Français. — Je m'embarque pour Djedda. — M. Fresnel. — Je relàche à Hodeïda et à Confouda. — Particularités de l'opération épilatoire chez les Wahabytes. — Mon arrivée en Egypte. — Réflexions sur la position actuelle de Méhémel-Ali.
CHAPITRE XIV.
Une ceinture de montagnes de produits volcaniques, taillées à pic en certains endroits, forme, autour d'Aden, un rempart naturel. Le capitaine Henze, son gouverneur actuel, a couvert d'une muraille crénelée la partie septentrionale de la ville. Aden a deux ports : l'un, à une lieue au nord, est un mouillage suffisant pour une douzaine de gros navires qui peuvent s'y abriter en sûreté; l'autre, situé au sud, est celui où les bâtiments de peu d'importance viennent jeter l'ancre : une petite colline qui surgit du milieu de l'eau et que couronne une citadelle hérissée de canons en protège l'entrée.
La population d'Aden est d'environ 5 à 600 âmes : à l'époque de mon passage, la garnison était forte de 2,000 hommes de troupes indiennes. L'établissement des Anglais sur ce point est exclusivement militaire et maritime. Les Arabes du voisinage, leur opposant une hostilité intraitable, font quelquefois des tentatives sur la ville; mais leurs efforts impuissants viennent échouer contre la ligne de canons derrière laquelle s'abrite la garnison britannique. Le séjour d'Aden est
plein de difficultés pour celle-ci, je puis aflirmer, en dépit des assertions contraires que la presse anglaise s'efforce d'accréditer dans l'opinion publique, qu'elle est dans un état déplorable. Elle est décimée par les fièvres tropicales; la plaie du Yemen lui fait déjà sentir ses affreux ravages; elle a à souffrir les ardeurs d'une température toujours brûlante, que la pluie ne vient presque jamais modérer; la seule boisson qu'elle trouve à se procurer est une eau saumâtre détestable et malsaine; enfin aucun soldat ne peut s'écarter des fortifications sans s'exposer à être assassiné par les Bédouins. La persévérance anglaise, qui ne se laisse pas vaincre par ces obstacles, ne m'en paraît, du reste, que plus digne d'éloges.
Pendant le peu de jours que j'ai passés à Aden, j'ai eu à me louer de l'exquise politesse du capitaine Jenkins, commandant en second de la place : cet officier me fit des offres de service avec la généreuse courtoisie qui distingue les représentants de la nation anglaise à l'étranger; je crus devoir les refuser, tout en remerciant M. Jenkins de l'amabilité avec laquelle il s'était mis à ma disposition.
Comme il n'y avait point, à Aden, de gros bâtiments prêts à faire voile pour Djedda, je fus contraint de monter sur une petite barque qui se rendait à Moka, où j'arrivai le 8, à quatre heures du soir. C'était le
moment où, pressé par les circonstances menaçantes que la crise orientale avait amenées, Mehémet-Ali-Pacha rappelait, au cœur de l'Egypte, toutes celles de ses troupes qui étaient répandues en Arabie. Je trouvai Moka encombrée de soldats égyptiens, à la veille d'être embarqués pour Suez. Chérif-Husseyn devait les remplacer ave ses Bédouins; mais l'attente de ce nouvel occupant tenait les habitants de Moka en un pénible émoi. Ils avaient vivant encore dans leur mémoire les ravages que ces mêmes Bédouins avaient déjà commis une première fois dans leur ville, lorsque le turc Bilmèse l'évacua, et ils craignaient que leur retour ne fût signalé par de semblables excès. Mais heureusement leurs appréhensions ne se réalisèrent point : l'ordre le plus sévère présida au remplacement des Égyptiens par les Arabes ; ni les troupes qui partirent, ni celles qui arrivèrent ne fournirent le moindre motif de plainte. L'évacuation s'opéra dans la journée du 23 : les soldats de S. A. Méhémet-Ali-Pacha s'embarquèrent le matin; puis on ferma les portes de la ville et on les ouvrit, à deux heures après midi, à un parent du Chérif, qui vint, à la tête d'un corps de Bédouins, les occuper en son nom.
J'avais à cœur de conduire sain et sauf jusqu'au terme de mon voyage le cheval que le roi de Choa envoyait au roi des Français, mais les difficultés qui tra-
versèrent mon dessein, dans la mer Rouge, dépassèrent celles que j'avais surmontées pendant mon voyage dans le désert de l'Adel ; aucun moyen de transport ne s'offrit auquel je pusse confier le cheval; ce fut en vain que je m'adressai aux autorités de Moka, dans l'espoir d'en obtenir la permission de l'embarquer sur l'un des nombreux navires qui conduisaient à Suez les soldats du vice-roi : toutes mes instances furent infructueuses. Vainement encore je prolongeai mon séjour à Moka, afin d'attendre un navire où je pusse trouver passage pour le cheval et pour moi. Voyant que l'occasion que je désirais tardait à se présenter, je me décidai à le laisser, avec son harnachement abyssin, à un français, M. Arnaud, qui devait passer quelque temps encore à Moka ; je lui remis l'argent nécessaire pour le faire parvenir à l'agent consulaire français à Djedda par le premier navire qui consentirait à s'en charger; mais je n'en ai plus eu de nouvelles.
Pour moi, je m'embarquai, le 30, sur un brick qui venait de Surate, chargé de sucre, d'épiceries et de produits manufacturés pour Djedda. Nous cinglâmes le 31 au matin et nous eûmes bientôt gagné la haute mer; mais, arrivés à la hauteur de Gézane, nous fûmes assaillis par un vent contraire si violent qu'il cassa le mât de misaine et obligea le capitaine à retourner à Hodeïda, où je débarquai, pour monter sur une ha-
quela qui se rendait à Djedda. Le mauvais temps nous contraignit à relâcher à Confouda, village de cinq à six cents habitants, qui possède une rade assez sure.
> t ( * y.
J'allai y voir M. Castelly, ex-chirurgien dans l'armée française, aujourd'hui chirurgien-major au service de Méhémet-Ali-Pacha. Ce brave docteur me reçut de la manière la plus affectueuse; je passai quinze jours sous sa tente. Il me donna de nombreux détails sur les mœurs et les usages des Arabes, qu'un long séjour au milieu d'eux l'a mis à même de connaître à fond : ce qu'il me raconta d'une atroce superstition des Wahabytes me frappa d'horreur et mérite, je pense, d'être répété ici.
Ces musulmans schismatiques ont exagéré, jusqu'à la rigueur la plus barbare, l'opération épilatoire ordonnée par l'islamisme; les jeunes gens la subissent à l'époque où ils se marient : elle se pratique avec des cérémonies solennelles, au milieu du concours de tous les habitants des lieux voisins, curieux d'assister au supplice que l'époux est condamné à subir.
Un échafaud est dressé, pour cette lugubre fête, sur une place publique. Revêtu du plus superbe costume qu'il ait pu se procurer, le jeune homme y monte, et, du haut de cette tribune, raconte, à la foule avide, sa généalogie et les faits plus ou moins glorieux dont sa famille s'enorgueillit : l'assemblée lui fait souvent répéter son
discours à plusieurs reprises; lorsqu'il lui est permis de se taire, on le dépouille de son riche costume, et trois opérateurs, qui tiennent chacun un petit couteau à la main, se rangent en face de lui, sur la même ligne, à 30 pas l'un de l'autre; le jeune homme s'élance vers eux, entouré d'un grand nombre de ses concitoyens, qui brandissent, sur sa tête, des poignards, des sabres et des lances. Le premier opérateur lui enlève, d'un seul coup, le tiers de la peau qui recouvre l'organe de la génération, le second de même, et le troisième achève de le dénuder : malheur à la victime si la souffrance lui arrache une plainte ; aussitôt elle tombe sous les coups de sa fanatique escorte : comme ces Spartiates, dont l'impassible énergie défiait les tourments, il faut qu'elle oppose un front serein à la douleur. Par un raffinement de cruauté ironique, des paroles orgueilleuses, le récit des exploits de famille sont la seule manifestation que l'on permette à cet intolérable tourment. Le cri de la nature s'échappe avec rage par cette issue, et le malheureux supplicié semble se soulager en entonnant, à gorge déployée, l'affreux panégyrique de sa race.
Ainsi mutilé, l'époux se rend à sa maison, où la troupe armée l'accompagne : là, de nouvelles tortures l'attendent; elles sont exécutées en présence
de son épouse, et ordinairement par son père.
On lui enlève toutes les parties chevelues de la peau, depuis le nombril jusqu'à la marge de l'anus, et on finit en lui arrachant aussi la peau des aisselles.
Ces barbaries sont si douloureuses, que souvent les malheureux sur lesquels on les exerce meurent bientôt dans des convulsions tétaniques : on évalue à la moitié le nombre des opérés qui succombent. J'en ai vu moi-même une dizaine qui avaient subi le supplice depuis près d'un mois; ils marchaient péniblement, la ceinture entourée d'un cerceau qui empêchait le contact de leurs vêtements sur les parties de leur corps que le couteau épilatoire avait parcourues.
En arrivant à Djedda, j'y trouvai, pour agent consulaire de notre nation, un savant orientaliste français des plus distingués, M. Fresnel, au mérite duquel je me félicite de pouvoir rendre un hommage public : telles sont ses connaissances dans la langue arabe, que les chérifs des villes saintes viennent le consulter eux-mêmes sur les points du Koran dont le sens leur paraît douteux; on comprend l'influence qu'une pareille autorité scientifique donne à M. Fresnel en Arabie; il est, de plus , dans la meilleure intelligence avec les autorités et les principaux négociants de Djedda; aussi personne n'aura de peine à apprécier les services que M. Fresnel est à même, plus que
tout autre, de rendre à la France sur les côtes de la mer Rouge.
Je ne lis à Djedda qu'un séjour de peu de durée; je m'embarquai pour Suez. Je n'éprouvai, dans ma traversée, aucun accident digne de remarque; je fis seulement à l'Ouièche une rencontre qui eut pour moi tout le charme d'une agréable surprise. Une barque vint se mettre à l'ancre dans ce mouillage, peu de temps après la mienne; j'y aperçus plusieurs personnes qui me parurent Européennes : je les hélai; elles me répondirent, et nous nous rapprochâmes.
C'étaient trois jeunes gens : MM. Gallinier, Feret et Roger, officiers au corps royal d'élat-major, envoyés en Abyssinie par le gouvernement français; ils avaient appris, en Egypte, mon arrivée dans la mer Rouge, et me témoignèrent une vive satisfaction de m'avoir rencontré. Leur vue ne me procura pas un moindre plaisir : on s'imaginerait difficilement le bonheur que l'on éprouve à se trouver avec des compatriotes, lorsque depuis si longtemps on n'a vécu que dans la compagnie de grossiers barbares. Je passai la nuit dans la barque de ces messieurs : je leur livrai mes notes, où ils puisèrent de nombreux renseignements.
Nous ne nous séparâmes que le lendemain matin, au moment où mon patron mit à la voile.
Lorsque je rentrai en Egypte, après une absence de
près d'un ajn et demi, je trouvai ce pays bouleversé par les menaces de la coalition de l'Angleterre, de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse, contre l'établissement de Méhémet-Ali. Le vice-roi veillait avec une activité prodigieuse aux préparatifs de sa défense, que ses amis annonçaient devoir être désespérée, mais que les esprits réfléchis regardaient comme impossible, à moins qu'elle ne fût soutenue par un gouvernement européen. On apprit bientôt les premiers succès de la flotte anglaise sur le littoral de la Syrie. L'attention publique, vivement émue, se tournait, avec anxiété, tantôt vers les côtes syriennes, tantôt vers l'Europe : d'un côté, il semblait que l'on dût recevoir le signal de la guerre générale ; de l'autre, à chaque nouvelle des avantages obtenus coup sur coup par les alliés, on s'attendait à les voir paraître devant Alexandrie, et ce n'était pas sans inquiétude que l'on envisageait d'avance leurs canons victorieux braqués sur la métropole maritime du pacha. Si malheureusement, dans cette conjoncture, cet illustre vieillard, poussant l'énergie jusqu'à ses dernières limites, eût résolu de ne pas survivre à sa puissance et de ne succomber que sous les ruines de son empire , les Européens établis en Égypte auraient couru d'immenses dangers. Le fanatisme musulman, qui, sans faire acception des nationalités, enveloppe
dans une proscription commune tout ce qui porte le nom de chrétien, murmurait déjà sourdement. Que le pacha ouvrit aux tempêtes les outres d'Eole, et l'Egypte pouvait devenir le théâtre d'horribles vêpres siciliennes; mais heureusement la sagesse de cet habile homme ne se démentit pas : lorsqu'il vit qu'il ne lui était plus permis de compter sur l'appui de la France, il céda aux événements, et ne voulut pas jouer son avenir tout entier contre les dernières chances d'un présent désastreux.
Je ne prétends pas juger le traité du 15 juillet, qui faillit mettre l'Europe en feu l'année dernière. Fut-il conçu dans des vues de sécurité générale, ou dicté par la voix ambitieuse d'intérêts particuliers? A-t-il consacré l'intégrité et l'indépendance de l'empire ottoman, ou détruit ses dernières forces et désorganisé ses dernières ressources? A-t-il blessé la considération de la France et compromis ses intérêts? La France devaitelle, pouvait-elle s'y opposer? L'histoire seule décidera ces grandes questions qui nous touchent de trop près pour pouvoir être résolues impartialement aujourd'hui.
Mais je demande la permission de dire, en dehors de toute considération générale, quelques mots sur les conséquences que le traité de juillet me paraît destiné à avoir pour l'Egypte seule. Dix années de séjour dans
cette belle et malheureuse contrée me donneront peutêtre quelque droit à exprimer mon opinion à cet égard.
Il est possible que la puissance politique du pacha ait éprouvé un échec en perdant la Syrie et l'Arabie; mais je suis persuadé que l'Egypte ne peut que gagner à cet événement.
On n'aurait jamais dû se faire illusion sur la réalité ; la Syrie et l'Arabie épuisaient les dernières forces de 1 Egypte : c'était la misérable population égyptienne qui fournissait l'armée de 200,000 hommes nécessaire aux desseins politiques de Méhémet-Ali ; c'étaient les revenus de l'Egypte qui soutenaient cet appareil militaire et subvenaient à l'entretien d'une flotte qui, depuis la défection de celle du Grand Seigneur, ne comptait pas moins de quarante vaisseaux et frégates : aussi la population de l'Egypte, physiquement et moralement dégradée, diminuait avec une effrayante rapidité ; les bras manquaient à l'agriculture; les productions du sol devenaient, chaque jour, moins importantes, et chacun de ces violents efforts, qui paraissaient grandir la puissance extérieure de l'Egypte, augmentait d'autant sa faiblesse et sa ruine intérieures.
Avec le nouvel état de choses, il est évident qu'elle va bénéficier de tous les sacrifices ingrats qu'elle faisait pour la Syrie et l'Arabie. Les bras et les trésors de
l'Egypte n'appartiendront plus qu'à l'Egypte, et il n'est pas an monde de contrée où les bras soient plus utiles et qui puisse payer plus largement l'argent dépensé pour elle. Sa population est aujourd'hui d'un peu plus de 2 millions d'àmes seulement : elle devrait être doublée. Napoléon croyait qu'elle pouvait atteindre le chiffre de 5 ou 6 millions. Des travaux de canalisation, l'exécution du barrage du Nil augmenteraient considérablement les terres exploitables. On voit donc que, dans l'Egypte seule, un assez beau champ est laissé au génie et à l'activité de MéhémetAli : il peut, il doit y faire de pacifiques et solides conquêtes, des conquêtes qui ne seront pas achetées avec le sang des hommes et les périls des empires. La possession d'un État médiocre, assurée par les garanties des grandes puissances de l'Europe, n'est-elle pas préférable, pour Méhémet-Aii et sa famille, à une puissance géographiquement plus étendue, il est vrai, mais ruineuse et sans cesse contestée? La sagesse dit oui, je ne crois pas que la vraie gloire dise non ; et ce n'est pas moi qui blâmerais Méhémet-Ali, ni personne, d'avoir été, en fin de compte, de l'avis de la sagesse et de la vraie gloire.
CONSIDÉRATIONS SUR L'IMPORTANCE POLITIQUE ET COMMERCIALE DU ROYAUME DE CHOA.
CHAPITRE XV.
Depuis le xvie siècle, toute relation avait cessé entre l'Europe et le royaume de Choa. Mon voyage dans une contrée demeurée si peu connue jusqu'à ce jour me semblait avoir, en quelque sorte, la nouveauté et l'importance d'une découverte : j'ai dû rechercher tout de suite les résultats que l'on pourrait en tirer et me demander quelle espèce d'intérêt la France trouverait à satisfaire, en établissant des rapports suivis avec cette partie de l'Abyssinie.
A mon avis, trois intérêts, un intérêt de civilisation, un intérêt de commerce, un intérêt de politique, devraient attirer l'attention de notre pays sur le royaume de Choa.
Isolé, le premier de ces mobiles, je suis loin de me le dissimuler, ne serait pas suinsant pour éveiller l'activité de la France. Répandre la civilisation partout où il est possible de la faire arriver est un noble but, bien digne assurément d'exciter le zèle des nations qui marchent à la tête de l'humanité; mais aujourd'hui, moins que jamais, on songerait à se dévouer au rôle ingrat d'un apostolat chevaleresque et désintéressé. En
parlant ici de civilisation, je ne prétends faire allusion qu'aux heureuses dispositions morales avec lesquelles la population du Choa accueillerait les avances des Européens. On sait au prix de quels efforts et de quels sacrifices l'Angleterre travaille à se frayer une route vers le centre de l'Afrique, cet Eldorado si longtemps inabordable. Aussi sérieuse qu'habile, elle ne dédaigne pas de faire marcher de front les intérêts moraux et matériels, et, parmi les conséquences qu'elle se promet de son expédition actuelle dans le Niger, elle place en première ligne la possibilité de détruire la traite des nègres à son origine même, en civilisant les sauvages tribus qui se livrent à cet infâme trafic. L'œuvre de la France, dans le Choa, pourrait-elle produire des prolits réels, aussi grands que ceux que l'on prédit à l'entreprise de l'Angleterre sur la côte occidentale de l'Afrique? je l'ignore; mais je suis certain que ses succès seraient bien plus faciles et bien plus rapides. Au lieu d'avoir affaire à des tribus grossières et indisciplinées, cupides et cruelles, la France s'adresserait à un peuple qui a déjà avec nous un point de contact bien grand, la religion; à un peuple de mœurs douces et polies, auquel l'antiquité de son origine a imprimé un certain caractère de noblesse; à un peuple qui réunit à cette rectitude de jugement l'un des traits les plus saillants des nations de 1 antiquité, cette laborieuse
activité que l'on trouve chez les hommes, lorsque, aux prises de plus près avec les difficultés de la nature, les commodités que procure une civilisation avancée n'ont point encore émoussé leur énergie et endormi leur vigueur. Ce peuple possède une organisation politique régulière; il obéit à l'autorité royale, transmise héréditairement dans la même famille. Le pouvoir absolu, déposé entre les mains du souverain, donne une influence irrésistible à son initiative; les progrès de ses sujets dépendent de lui. Or le roi actuel, Sahlé-Sallassi, remarquable par la maturité de sa raison, va audevant de la civilisation, car il démêle avec perspicacité les avantages qu'il en pourrait retirer au profit de sa puissance, el son vœu le plus ardent est d'établir avec la France des rapports suivis.
C'est au commerce qu'il devra ces résultats matériels de la civilisation, qu'il sait si bien apprécier ; c'est aussi le commerce dont les bénéfices nous indemniseront des services généraux que nous aurons rendus à l'Abyssinie. Deux considérations suffisent pour faire deviner l'importance de ces bénélices : d'abord le mar ché du Choa, qui compte un million et demi de consommateurs et offre de très-riches produits, est un marché entièrement nouveau que personne encore n'a exploité; ensuite le roi, qui favoriserait de tout son pouvoir les tentatives commerciales, y consacrerait
parlé à l'occasion de mon passage de l'Aouache, ils transportent sur la rive opposée leurs bagages et leurs marchandises. Il n'est pas étonnant qu'ils n'aient pas profité des bénéfices que les cours d'eau procurent au commerce , puisqu'ils ignorent encore la manière de les utiliser. Peut-être si les Harrarguis, entre les mains desquels est placée l'exploitation commerciale de l'Ahyssinie méridionale , n'eussent pas été conduits , par la situation de leur ville , à suivre une direction qui diverge beaucoup de celle de l'Aouache, ces industrieux brocanteurs en auraient déjà tiré parti. Cette tache est réservée au commerce européen. Il ne m'est permis, pour le moment, que de lui en indiquer l'importance. Je me promets , en retournant dans le pays d'Adel et le royaume de Choa, de porter sur l'Aouache
l'attention la plus scrupuleuse et de recueillir tous les renseignements possibles sur ce qui concerne le cours de ce fleuve. Je ferai entrevoir aussi au roi de Choa les avantages qu'il pourra retirer de cette navigation qui , à cause de la position des sources de FAouache dans le voisinage du Nil, devra centraliser un jour dans ses États le commerce de l'Abyssinie septentrionale et d'une partie de l'intérieur de l'Afrique.
Je ne doute pas qu'il ne s'efforce de la fonder solidement ; il a tous les matériaux nécessaires pour la construction des barques, et il trouvera , parmi les habi-
tants de Toujourra , des charpentiers et des matelots suffisamment habiles.
Mais le royaume de Choa ne présente pas seulement un attrait aux spéculations mercantiles ; je suis convaincu que notre politique aurait à se féliciter, dans l'avenir, des rapports suivis qui établiraient notre influence sur cette contrée. Il suffit de jeter un coup d'œil sur sa position géographique pour apprécier le rôle qu'elle peut être appelée à jouer dans les affaires de l'Afrique. Protégée ici par de hautes montagnes , là par des déserts , elle est inexpugnable contre toute entreprise européenne ; mais les régions qui l'avoisinent, l'Egypte, par exemple, ne jouissent pas vis-a-vis d'elle d'une immunité semblable. Par sa frontière septentrionale , l'Abyssinie touche au Sennàr Y qui n'est autre chose que le prolongement de l'Egypte : or celle-ci, pays plat et complètement ouvert, n'est garantie au sud par aucune défense naturelle ; rien n'arrêterait une armée d'Abyssins et de Gallas qui se précipiteraient sur elle ; on peut prévoir , sans témérité , que sa population dégradée , énervée par une oppression séculaire , ne saurait opposer de sérieuse résistance à des masses d'Abyssins endurcis à toutes les fatigues, intrépides et passionnés pour la guerre. Si l'on songe qu'il suffirait de l'appel d'un conquérant pour soulever en un instant toute l'Abyssinie, la faire
refluer sur l'Egypte et renouveler cette grande invasion éthiopique si fameuse dans l'antiquité, sous le nom d'invasion des rois pasteurs ; si l'on considère, en outre , que l'Abyssinie est maîtresse des sources du Nil et d'une partie considérable de son cûurs, on se convaincra que ses destinées pourront peser un jour sur celles de lÉgypte; et, puisque celles-ci occupent une si grande place dans les préoccupations politiques de l'Europe , on regardera comme un point très-important pour une puissance européenne de préparer longtemps d'avance les fondements de son influence sur l'Abyssinie.
Or, qui aura du crédit dans le royaume de Choa dominera l'Abyssinie tout entière. Le Choa a été de tout temps à la tête de l'Abyssinie. Parmi les royaumes dont elle se compose aujourd'hui , il est le seul qui jouisse d'un gouvernement régulièrement organisé et dont la puissance soit en voie de progrès continu. On a vu avec quelle facilité son- roi pourrait réunir des corps immenses de cavalerie, prêts à le suivre partout où les conduiraient les caprices de son humeur ambitieuse. Disposant de forces si dévouées, attirant sur sa personne la considération et le respect voués par ses compatriotes à la race de Salomon dont il est le dernier représentant, ce souverain n'aurait qu'à le vouloir pour reconstituer à son profit l'unité de l'em-
pire abyssin. Le jour où il aura réalisé ce grand projet et où il aura donné à sa puissance l'appui de ressources empruntées à la civilisation occidentale, il est certain que son alliance sera regardée comme très-précieuse par les nations qui ont des intérêts en Afrique ; alors ceux qui auront songé, les premiers, à s'assurer son amitié seront les premiers aussi à en recueillir les avantages.
RECUEIL DE MOTS ARABES, AMHARRAS ET GALLAS EMPLOYES USUELLEMENT DANS LA CONVERSATION.
CHAPITRE XVI.
ARABE.
Adroit Chather.
Aiguille. Hebrè.
Aimer Hebbhé.
Allons, allons. Hialla, hialla.
A la volonté de Dieu Ilallah kerim.
Amadou Soufâne.
Ami Hâbibi.
Année. Sennèh.
Après. Bâden.
Après-demain Badhé-boukra, A présent. Dhélouacti.
Argent (métal). Feddhâ.
Armurier. Haddatte belhad.
Assez. Ilékaffi, ou basta.
Assieds-toi Hogoute.
Assurément. Ouallhâ.
A ta volonté Hallah kéfak.
Attache. Horboute.
Attends-moi Hestannhé, ou osbour.
Attends-moi là. Hestannhé inake.
Aucune fois Mafiche nobbé ouâhette.
Aujourd'hui. Eliyouen, ou nhardè.
Auparavant. Men gablhé.
Autre endroit. Mathra rhêre.
Autrefois. Zamâne.
Avant Couddam.
Avant-hier Haoul en barhâ, Bain Hammahm.
Balle de plomb. Roursase.
Barque Marqueb.
Beurre. Shemmhen.
Blé. Gham.
Blé de maïs. Doura.
Bien, grâce à Dieu. Tahibe el ham doulilâh.
Bœuf. Bagar.
Bois Hâtap.
Bon Tahibe.
Bonjour Sabalkaire.
Bonne odeur. Rhé tahibe.
Bonsoir Sacoumbalkaire.
Boucher Gazar.
Bourse Khise.
Cadeau Backchiche.
Café en grain. Boun.
Cafetier Kaouadji.
Cafetière. Bakrhé.
Camp Hordi.
Celui-là. Hâdha.
Carotte. Gaza.
Chaise Courçi.
Chameau. Gamel.
Chandelle. Kandile.
Changer.
Changeur.
Saraf.
Chapeau. Bournète.
Charbon Fhâmé.
Chat Gotha.
Château Hasser.
Chaud Hâmi, ou hâr.
Chef du village. Cheik el beled.
Chemin Sekkhé, ou tarigue.
Chemise Kamise.
Chercher Davoîr.
Cheval Khosan.
Cheveux. Char.
Chien Kelb.
Chou Courhomb.
Chrétien. Noustrâne.
Ciseau. Mongassé.
Citerne Sakie.
Clef. MoufthaClou Mousmar.
Cochon Kanzir.
Cœur Galbi Commandant Aga.
Comme cela. Khédhé.
Comprends-tu? Esma, ou famh-té?
Concombre Krheyar.
Conseil Divàne.
Corde Hâbel.
Courage. Hafi, ou hafié.
Courageux. Guédha, ou guéd'ham.
Court Sougayer.
Couteau Sékine.
Couvent Dher.
Couvercle. Rhata.
Cruche pour l'eau. Ballase, ou zir.
Cuiller Malaga.
Cuisinier. Tabar.
Cuivre Nahâsse.
Cuvier. Madgiour.
Danse Orgouse.
Débauché Felati.
Derrière Men vouara.
Descends. Enzel.
Désert Sarah.
Dessous Tahtte.
Dessus. Fauk.
Devant. Goddam ou gouddam.
Dieu Robené, ou ballah.
Dieu le sait. Soubanhalla.
Donne-lui cela. Dillé di.
Donne-moi cela. Hale di.
Eau ; Moyé.
Eau-de-vie Arakui.
Écoute. Esmah.
Ecrire. Hectub.
Écrivain Mâlem.
Église. Kenise.
Encore un peu. Caman choueyé.
Encre Hebré.
Ensemble. Saouhais.
Ensuite Baden.
Entends-tu? Famh-té?
Faim. Guiane.
Farine. Dagigue.
Faveur. Marouffe.
Femme Mara.
Femme jolie. Ennessouan tahib.
Fer. Hadite.
Ferme. Roude.
Fève. Foul.
Feu Nar.
Fille Benthe.
Fils. Ebetiel.
Fleuve Bhar.
Fort bien. Melhé.
Foudre. Rahad.
Froid. Berd.
Fromage. Guibenet.
Garçon. Sabin.
Garçon (petit). Oualet.
Garder Souni.
Gardien Gafir.
Gazelle. Gazai.
Grand chemin. Sekkeh soultane.
Grand Kebire.
Gras. Sèmin.
Grenade. Roumâne.
Hache. Balta.
Herbe. Achiche.
Heure. Suhat.
Homme. Raguel.
Huile. Zèthe.
Hyène Dabah.
Ile. Gezire.
Imbécile. Kâchim.
Industrieux. Châtré.
[voire Senam filhe.
Jardin. Guenille.
Jaune. Asfar.
Jour Ioum.
Juge. Cadi.
Labourer Elmoaratte.
Laboureur. Fellah.
Lac. Berqui, ou Berké. N Lait. Labenne.
Langue. El lessan.
Lapin. Hernep bèti.
Léger Ilâfif.
Lentille. Adhèsse.
Lièvre. Ilernep.
Lion Acad.
Lire. Egra.
Lit Farche.
Livre Quetabe.
Long Taouyl.
Loup Dyb.
Lune. Camar.
Maçon Benan.
Maigre. Rafif.
Maison. Bhête, ou Bioute.
Malade Dayf, ou Michaouche.
Mange Akoul.
Marchand Khaouadgi.
Marche. Machi.
Mari Gos.
Marmite en cuivre. Deste.
Marmite en terre. Bourmé.
Marteau Kadoum.
Matin. Saubh, ou Bédri.
Mauve Koubbèse.
Méchant Charani.
Médicament. Davoua.
Meilleur Macsen.
Menteur Caddab.
Menuisier Nadgar.
Mère. Hommo.
Miel. Assal.
Miroir Merayhé.
Moi Hène.
Monnaie Filouz.
Monsieur. la khaouadge.
Montagne. Dgebel.
Monte Iletela fauc.
Montre Sah.
Mouche. Doubane.
Mouton Kharouf.
Mule Bakela.
Musulman Mousulmin.
Nation Natroun.
Navire. Markab.
Noble Cherif.
Nouveau Guedid.
Nouvelle Kabar.
Novice. Khachime.
OEil. Ayeni.
OEuf Bedha.
Oignon Baçal.
Oie.. Ouèz.
Oiseau. Asfour, ou Thêr.
Olive. Zéitoum.
Or Dahâb.
Orage. Rahâde.
Orange. Portougan.
Oui. loua.
Où vas-tu? Enté roufen ?
Païen Cafre.
Paille Thébenet.
Pain. Aîche, ou raguife.
Palais. Sérail.
Palefrenier Sayhis.
Pantalon Charoual.
Papier. Vouaraka.
Parasol Chemchie; Par derrière. Men vouaira.
Par-dessus. Men fauc.
Par devant. Men goudam.
Parle vrai Kalem dougri.
Passe Foute.
Passe-port Teskére.
pas un. Mafiche aouâet.
Pas une fois A la bade vouâet.
Patron de barque. Raysse.
Pauvre takir.
Pavillon. Bandiera.
Pavs Bèlete.
Pêcheur Sayadin.
Père Abou.
Pesant. Tackil.
Peste Coubbé Petit Sougaïre.
Petits pois Hommous.
Peu Chouyé, ou gleyé.
Peu à peu Chouyé be chouyé Peur Kaf.
Pigeon Hamam.
Pipe Chibouke.
Pistolet Tabangiat.
Planche Lohh.
Plateau. Senié.
Plâtre. Guibs.
Plein Méliâne.
Pleurer Ebequè.
Plomb Roursase.
Plume. Riche.
Poignard. Khandjiar.
Poison Soummi.
Poisson Samâke.
Poivre Filfele.
Pomme de terre. Patathes.
Pompe Troumba.
Pont. Cantera.
Port Merset.
Porte. Bab.
Porteur d'eau Sackah.
Portier Bhouabe.
Poudre à canon. Baroute.
Poule Farkah, ou farouq.
Pourpier. Riglé.
Pourquoi? Lé quédé ?
Premier. Avouael.
Prends Khot.
Prêtre. Kassis, ou bouna.
Prince. Soltane, émir.
Propre Natif.
Puits Briqué, ou byr.
Quart Roubh.
Que me dis-tu? Ente kalam étaéné?
Que veux-tu? Maleckxente, ou ente aouseh?
Qui es-tu ? Ente mine ?
Quintal Quentar. ,
Ragoût Tabhir.
Raisin. Heneb, ou haneb.
Raisin sec. Zébibe.
Rassemble Moïtamet.
Rave Figle.
Remplis. Hémele.
Renard Taleb.
Riz Rouze.
Rouge Hacmar, ou homrou.
Rue Derb, oudarb.
Sable. Ramleh.
Sabre. Séf.
Sacoche Courdgi.
Safranon. Cardam.
Salpêtre. Melba baroude.
Salpêtrière Baroudie.
Salut à vous Salam aleykoum.
Sang. Dham.
Sanglier. Hallouf.
Santon. Cheykh.
Satan. Chietane.
Savant. Aalem.
Savon Saboun.
Scie Mechar.
Scorpion Agrab.
Sec Nâchef.
Sel. Melha.
Semer Azera.
Séné Senamaquine.
Séparément Bel tef aryq.
Serpent. Tabâne.
Serviette Fouta.
Sofa Divane.
Soldat Asker.
Soleil. Cheinche.
Soufre Kebryte.
Soûl, ivre. Sacrane.
Soulier Markoube.
Soupe Chourba.
Sucre Soukkar.
Surveillant Nazir.
Tabac à fumer. Doukane.
Tabac à priser. Nichouk.
Tailleur Kayate.
Tais-toi. Oscoute.
Tamarin. Tamar hindi.
Tamis. Gourbane, ou gourbal.
Tasse à café. Findgean, ou finjane.
Teinturier Sabar.
Témoin Achad.
Tête. Rase.
Tiens. Khote ou hemsek.
Tiers Tulte.
Toi Ente.
Toile Goumache.
Torrent Sail.
Tortue Thercé.
Tout Coullou.
Tout à la fois. Coullou a la badé.
Tout de bon. Coullou dougri.
Trop. Quetir, ou ziada.
Trou Boura.
Va vite. Rou gavam.
Vas-y seul Rou ouadéck.
Vends Hebiou.
Venin Sem.
Vent. Rieh.
Vérité Dougri.
Verre. Coubaye.
Vert. Hacdar.
Viande. Lahême.
Vide Coube.
Vieille. Agouze.
Viens à ma maison. Tali bêti.
Viens avec moi. Taliouyaye.
Viens ici Thali éné.
Viens vite. Thaligavam.
Vieux. Agouze.
Village Belette.
Village abandonné. Belette karbane.
Ville Médine.
Vin. Nébîle.
Vinaigre. Kchral.
Vite Gavam.
Vois Chouf.
Vois combien il y en a.. Choufté fi kam.
Voisin d'un endroit. Graïbe, Vois-tu ? Choufté ?
Voiture. Arabiâte.
Voleur Aramie.
Vous portez-vous bien ? En toun tahibine ?
Exemples de déclinaisons.
Maison ma Bet i.
Maison ta Bet ac.
Maison ta (fém.) Bet ec.
Maison sa. Bet on.
Maison sa (fém.) Bet a.
Maison notre. Bet na.
Maison votre Bet koum.
Maison leur Bet houm.
Livre mon Gitab i.
— ton. Gitab ac.
— ton (fém.) Gitab ec.
— son Gitab on.
Livre son (fém.) Gitaba.
— notre. Gitab na.
— votre Gitab koum.
— leur Gitab boum.
La maison. El bet.
De la maison. El bet.
A la maison Lel bet.
La maison. El bet.
De la maison. Men el bet.
Exemples de conjugaisons.
J'étais Ana kount.
Tu étais (masc.). Inte kount.
Tu étais (fém.). Inti kounti.
Il était. Onekaan.
Elle était Eiékanet.
Nous étions Nackna kouna.
Vous étiez Entou koumstou.
Ils étaient. Oume kaannom.
Il frappe moi. Darab ni.
Il frappe toi Darab ac.
Il frappe toi (fém.) Darab ec.
II le frappe. Darab on.
Il la frappe. Darab a.
Ils nous frappent. Darab na.
Ils vous frappent. Darab koun.
Ils les frappent. Darab boum.
J'écris. Ana akteb.
Tu écris. Ente tekteb.
Tu écris (fém.). Enti tektebiè.
Il écrit One jekteb.
Elle écrit Eié tekteb.
Nous écrivons. Nakna nekteb.
Vous écrivez. Entou tecktebou.
Ils écrivent. Oume jacktoum.
Phrases et locutions diverses.
A côté, tout droit. Gambbo, dougri.
Assure-toi de cette nou- Estak barkam ahda el kavelle. bar.
As-tu du papier? Andekfi vouaraka?
Bois le café. Achirope el kahoué.
Bride du cheval. Ligam ta lhosan.
Cela est honteux pour vous Hada hayb alèck.
Cela est très-bien, grâce à Di tahîbe quetir hamdelliDieu lah.
Cela m'appartient. Hadabitayie.
Cela va tant bien que mal. Rhâ alababallâ.
Ce n'est pas comme cela. La mous quédeh.
C'est assez. Ek fi.
C'est bien par surprise.. Machalla.
C'est mal, cela ne vaut rien. Batail, di min fâche.
C'est peu Mous keetir, ou Gleyel.
C'est peu, mon maître.. Ya sidi mous ketir.
C'est un homme de bonne Hada raguel saleti, ou foi Saleh.
Combien me donnes-tu le mois? Enté dillé kam el char?
Comment t'appelles-tu? Esmoukéenté?
Comment te trouves-tu à présent? Zeyhiack délouacti?
Conçois-tu? Araf-té?
Couverture du lit. Hieram ta el farche.
Demander pardon. Fiardeck.
Dieu le sait Sabanallah.
Dieu le veut. Robéné aouse.
Dieu m'en préserve. Esthafrallah.
Dieu merci;, tu es bien.. Hyéchalla ente tahib.
Dieu te conserve. Allah iésallémaque.
Dieu te donne une longue vie. Allah yétaouel omerack.
Donne-moi à boire. Hatte a chirop.
Donne-moi de l'eau pour me laver. Hatte moyé kan gaselle.
Donne-moi du pain Hatte hêche.
Ecoute, combien vends-tu cette poule? Esma, kam abiou il farka?
Es-tu content? Ente kathraque ?
Fais bonne mesure. Quel tayb.
Fais la même chose. Amelte zéibadè.
Fais-le-moi savoir Ate el kabar.
Fais-moi ce plaisir. Bel maroûffe.
Grâce à Dieu, nous le fe- Hamdelillah naamel el rons aujourd'hui. ioum.
Grande barque. Maàche, dabih.
Grand homme Raguel taouil.
Il a passé par là. Fat ménéné.
Il est plus âgé que moi Houehectyarhactarmenni.
Il est parti d'ici. Safar men hom, ou houm.
Il veut ainsi. Aoûze kédé.
Il est vif comme la poudre Hay zey el baroûd.
Il n'a pas écrit. La katabbé.
Il ne sait pas faire la cuisine. Ombyaraf il tabhirk.
Il reste trois heures à faire Biekad talatah sahat hacta une chose. quanelchi.
Il y a longtemps que je vous attends. L'y zamân ené estanake.
Il y a longtemps que nous Ené zamâne machoufte nane vous avons vu. koum.
J'ai assez mangé. Enè chabâne, ou coul bésiada.
J'aime beaucoup ta sœur. Heb ketyr hocti bitaié.
J'ai oublié ce quetum'asdit Ra men ras il ka lem bitake.
J'ai plaisir de cela, tous les Ené kéfe mendi, coullé jours. youm.
J'attends inutilement.. Ene augoute balache.
Je jure sur la tombe de Ouàlla fok tourba abou béton père. take.
Je m'en moque. A la bérdum.
Je n'ai pas d'argent. Mandi felousse, ou mardiche felousse.
Je n'ai pas besoin Ene mouche aoùsse.
Je n'ai plus d'argent.. Mafiche filousse.
Je ne le savais pas. Ené mouche kabar.
J'en veux plus que cela.. Ené aousse hactar mendi.
Je suis prêt à t'obéir Hatrak a léi.
Je te souhaite du bonheur. Hala barafieue.
Je viendrai demain ou Ené géi boukra, oulla badé après-demain. boukra.
Je vous attendrai demain. Esbour aleyei houkra.
Jours heureux à toi. Nahardé abiate aenté.
L'air est agréable aujourd'hui El youm haoua thaybe.
L'as-tu vu ? Ente chouflé?
Le coucher du soleil.. El magrèb.
Lejourne paraît pas encore El fégre hâdo.
Le jour s'en va. El youm Rha.
Le temps est froid aujourd'hui El youm berde.
Lève-toi avant l'aurore.. Goumi gablé el fégre.
L'homme n'est pas venu Il raguel magâche.
Ma femme m'a quitté.. El harem bitai seib ni.
Mettre le prix à une chose. Amelte el bazar.
Mon ami, viens avec moi. la bibi, tâli ouiake.
Nouvelle mariée. La rouze.
Pourquoi fais-tu cela?.. Menchané enté a melte di ?
Pourquoi ne veux-tu pas? Lè enté mous aoùsse ?
Que fais-tu là? Vraiment, Amelto hé? Divoillah ente tu es méchant. bataille.
Quel homme es-tu? Enté mine?
Qu'est-ce que cela me fait? Ené malèh ?
Que tes souhaits s'accomplissent Barakate hellah.
Que veux-tu? Malak, ou ente aousse hé ?
Retire ta parole, cela ne vaut rien. Irga el kalam, di batal.
S'il avait dû venir, il serait arrivé. En kan iégui, le kan ouiai.
T'a-t-il donné beaucoup? Hâto ketir?
Touche-moi dans la main. Yat minéck.
Tous ensemble. Coullé savoua savoua.
Tout à la fois Coullé a la badé.
Tout de bon. Coullé , doviffri.
Tu contraries ma volonté. Cassar el hadre betai.
Tu n'as pas vu du pain Macouftou hêche hacsen plus beau que celui-ci. men di.
Viens à ma maison. Taali bêti.
Viens, je veux te parler.. Taali ene tékallém.
Viens parler avec moi.. Taali kallém ouyake.
Vous portez-vous bien? Ente tahibe,ou entoun tahibine ?
AMHARA.
Abeille Nïve.
Agneau. Tebôt.
Amer. Memurar.
Ami. Ouadadjé.
Ane Kiyah.
Arbre Zaf.
Aujourd'hui. Zaré.
Aveugle Ouer.
Barbe Tim.
Beaucoup EjigBeau, bon Malkam.
Blanc Netch.
Bleu clair Soumai.
Bleu foncé Tukkor.
Bois. Ango.
Bouche. Af.
Bœuf Bérai.
Bras Edjekind.
Brun Bulla.
Cent Meto.
Chaud. Mok.
Cheval. Faras.
Chèvre. Chef.
Chevreau. Goulgoul.
Chien Ouisa.
Coeur. Lib.
Corne Kound.
Court Aouhir.
Cuisse. Tchin.
Dent. Ters.
Derrière. Hououala.
Dessous Taieh.
Dessus Lai.
Devant Fit.
Dieu Igzer.
Dos Chounka.
Doux. Taf.
Eau Ouah.
Éclair Mabrouk.
Épaule Tekousha.
Faible Dek.
Femme Sétte.
Fer Berut.
Feu. Asat.
Fleur. Abbeva.
Fontaine Mintch.
Frère Ouandimé.
Froment Siudé.
Fruit Fré.
Garçon. Lidgé.
Grand. Tollak.
Grande chaumière. Adérash.
Herbe Sar.
Homme Ouand.
Humide Ertoub.
Jour Kan.
Laid Kouffono.
Léger Kalil.
Lion. Ambasa.
Loin Rouk.
Long Rejoum.
Lune Tckerka.
Matin Taouat.
Midi Akoulkan.
Mère Enâte.
Miel Mar.
Minuit Memfak lélite.
Mois Ouar.
Montagne Amba.
Mouton Boug.
Mule Bakelo.
Nuage x Démana.
OEil Ain.
Oiseau Oues.
Or Ouerké.
Orge Goufs.
Oreille. Djôro.
Pain Enjéra.
Paille. Goulleva.
Pauvre Douha.
Peau Corvette.
Pesant. Koubdal.
Père. Abâte.
Petit Tanache.
Pierre. Denga.
Plaine Méda.
Petite chaumière. Beit.
Pluie Zinam.
Poisson Assa.
Prés Kérib.
Profond. Talak.
Puits. Azoukt.
Riche Balet ouga.
Rivière Bahr.
Ruisseau. Ouanze.
Sang Doum.
Sauterelle. Ambata.
Sec Derruk.
Semaine Samint.
Sœur. Utea.
Sombre. Tcheléma.
Soleil. Tsai.
Sourd. Dounkoro.
Terre Mider.
Tête Ras.
Taureau Oura.
Tente Doukan.
Vache Fréda.
Vallée Guddel.
Viande Siga.
Vent Néfas.
Voix. Dimtz.
Noms de nombres.
Un. And.
Deux. Killet.
Trois. Soste.
Quatre Arroute.
Cinq. Aumiste.
Six Sédiste.
Sept. Subhate.
Huit. Séminte.
Neuf. Zetti.
Dix Assir.
Onze. Assir and, etc.
Vingt. Hah.
Trente. Sélassa.
Quarante. Herbah.
Cinquante. Comsa.
Soixante. Sitza.
Soixante-dix. Subbah.
Quatre-vingts Sémomijah.
Quatre-vingt-dix. Zeette nah.
Cent Méto.
Deux cents. - Killet méto, etc.
Mille Shé.
Dix mille. Half.
Un million. Ilef.
Phrases et locutions diverses.
Bonjour Dénader.
Bonjour à tous Dénader atchiou.
Comment vous portez-vous? Indiétader?
Comment vous portez-vous? tndiëtadérou?
(Au pluriel.) Grâce à dieu, je me porte bien Igzer mesquine.
Il n'y en a pas. Yellem.
Y a-t-il de la bière? Bouza allé ?
Y a-t-il de l'hydromel? Tadgi allé ?
Y a-t-il de la viande?.. Siga allé?
GALLA.
Substantifs.
Abeille. Cannissa.
Abîme. Ballessa, hallaya.
Acreté. Hadd*oftore (1).
Agneau. Hoea (2).
Aigle Rissa.
Aile Balle.
Aîné. Hangatfa.
Aisselle Banba.
Aliment Gnata.
Ame Lonbon.
Ami Milchou.
(1) Le d et les doubles d que j'ai fait suivre d'un astérisque se prononcent en appuyant la langue au palais et en ouvrant la bouche.
(2) Les h qui se trouvent dans les mots suivants sont très-aspirés : les doubles consonnes doivent être fortement prononcées.
Ane. Ouadala.
Anesse. Harré.
Animal Binenssa.
Antilope Ouorabbo.
Arme Ouarana.
Aveuglement. Djamouma.
Bague. Amarti.
Beau-frère. ,, ,, Sodda.
Beau-père. ) Beau temps. Hiemagari.
Belle-mère Amâti.
Berger. Tixa.
Bergère. Tixitou.
Bisaïeul. Ababahiou.
Blé Kamadi.
Blessure Mada.
Blessure guérie. Godannissa.
Bois à brûler Corane.
Boisson. D*ongati.
Boisseau. Coufan.
Bonnet Goufo.
Bouche. Afané.
Boucher. Tchoucalé.
Bras Ii ré.
Brave guerrier. Djaggna.
Bride Fonlo.
Brouillard. Hourri.
Buffle Gafarssa.
Café Kaha.
Café en grain. Bouna.
Caillou. Bâltchi.
Canard Dahie.
Caractère Amala.
Ceinture. Sabbata.
Cendre. Dara ramatchi.
Cerf Bessonou.
Chant (1) Oueddou.
Charbon. Tcholatti, ou cassala.
Chat, Chatte. Hadoursé.
Chaumière. Godau, ou Godjo.
Cheval. Farda.
Chevaux. Fardené.
Chèvre. Rée, ou Retté.
Ciel Ouak.
Cloche Bibbila.
Cochon Oyé.
Colère. Dallane.
(1) Il y a trois espèces de chants : 1° celui où les femmes chantent se nomme chant de la danse Oueddou.
2° Le chant d'amour se nomme. Ouahi.
3° Le chant guerrier se nomme. Guerarssa.
L'homme qui chante se nomme. Guerara.
Colique Gara d*onkoubbi, ou d*onkouhbigara.
Combinaison. Makama.
Compatriote. Ouarrabya.
Commencement. Djalkabouma.
Conseil Gorssa. ,
Corne. Gafa, ou Douda.
Cou. Morma.
Coude. Tchihilé.
Courage. Coppoumma.
Cœur. Lâppe.
Course. Arda.
Couteau. Hadou.
Crapaud Ratcha.
Crime Tchoubbou.
Crochet. Houo.
Crocodile. Natcha.
Croupière. Ouddéla.
Cuisse. Gondeda.
Dame. Nadd*ene.
Danse. Cirbi.
Déménagement. Godanssa.
Dent. Ilcane.
Désir. Fed*a, ou Abbala.
Dieu. Aouaque, ou Ouaka.
Dimanche. Sambala.
Distribution. Hirmata.
Domestique. Sounkoulle, ou Gabaré.
Dos. Dougda.
Eau. Bissane.
Ecorce Countché.
Égratignure. Hacokssa, ou Tararssa.
Eléphant Arba.
Enceinte. Nanno.
Enfant Moutcha.
Enfants. Moutcholé.
Entrailles Marroumane.
Épaule. Gatytti.
Esclave mâle. Garbitcha.
Esclave (féminin). Garbitti.
Esclaves (pluriel). Garba.
Esclave (singulier). Garboumma.
Espèce (genre). Sagni.
Etoile Ourdji.
Étriers Fana.
Faim Bela.
Farine Dacou.
Fatigue, faiblesse. Houmna, ou Dabissa.
Femme Nadd*itti.
Femme (ma). Nitiko.
Femme (ta) Nitiké.
Femme (sa). Nitisa.
Femme (notre). Niti kineya.
Femme (leur; Niti sani.
Fer. Çibila.
Fesse. Fagara, ou Ouddou.
Feu Ibidda.
Feuille. Bala, ou Obenssa.
Fille Intello.
Fils. Ilma.
Fleuve Galana.
Fontaine. Bourka.
Forêt Daggala, ou Tchacca.
Fourmilière. Aouabdignetti.
Frère. Obbolessa.
Fumée Ara.
Garde. Égou.
Gardien. Éga.
Gazelle Courouppé.
Grand'mère Acaya.
Grand-père. Acacayou.
Génie Hayana.
Genou. Djilba.
Grêle Tchabbi.
Guerre. Fola.
Guerrier. Lolta.
Guerrière. Lolout.
Hache. D*agara.
Herbe Marga.
Hippopotame. Robi.
Hiver Ganna.
Homme Nama.
Hypocrite. Laouatchi.
Ivoire. Ilca, ou Dagaga.
Jalousie. Ynaffa.
Jambe. Hadja.
Jour. Gouya.
Jugement. Farda, ou D*ala.
La nuit Hallan.
Lait Annane.
Langue. Arraba.
Larme Imimmane.
Le jour prochain. Iftané.
Le matin Dirama.
Le soir Galgala.
Lentille. Mieira.
Lézard Dotchou.
Limaçon. Tchilallou.
Lin. Talba.
Lion. Nêitcha.
Loup OuarabessaLumière Ipsa, ou lfa.
Lundi Dafino.
Lune. Morada.
Mâchoire. Mangaga.
Madame Guiftiko.
Mal Hama.
Maladie Douccouba.
Mâle. Corma.
Maître Gofta.
Maîtresse Guifti.
Main Haraca.
Maison Mana.
Mémoire Kalbi.
Mépris Toufli.
Mère Hada.
Miel Dagma.
Moitié Onalacca.
Montagne. Gara.
Mort Doua.
Mule Gangota.
Nom Mané.
Nuage Dumesa.
OEil Idja.
OEuf Hamacou.
Oignon. Kouloubbidima.
Oiseau Cimbira.
Olive D*ala, ou Edjerssa.
Olivier. Mouca edjerssa.
Oncle Essouma.
Ongle Kinsa.
Or Ouarké.
Oreille. Gourra.
Orge. Garbou.
Pain. Bouddena.
Papier. Ouarakata.
Pâte Bouco.
Peau Goga.
Père Abba.
Peur Soda.
Pied Mila.
Pierre Dacca.
Pluie Bocca, ou Roba.
Poisson Kourmmi.
Porte Babbula.
Pou Hendjirane.
Poule Handaco.
Prix (d'une chose). Gati.
Propriété. Hand*oura.
Puce Tacfi.
Race Sagni.
Racine. Houndé.
Rasoir. Hadoumata.
Rat. Hantonta.
Rein Calé.
Revers. Abdjoté.
Riche (masc.) Douressa, ou bad*ad*a.
Riche (fém.) Douretti, ou bad*atou.
Roi. Moti.
Rhume Koufà.
Rue Cara, ou dandy.
Sabot Cotté.
Sable. Tchirratcha.
Sabre. Billa, ou sotala, ou goradé.
Salut. Naga.
Sandale Copé.
Sang. D*iga.
Sangsue Oulanhoula.
Sauterelle. Konronppessa.
Sel Soguidda.
Selle Cora.
Serpent Befa.
Sœur Oboleti.
Soif (la). Debou.
Soldat. Onattaddara.
Soleil Adou.
Songe. Abdjou.
Soufflet Caballa.
Source Bourka.
Sourcil. Gara, ou idja.
Tabac. Timbo, ou timbacou.
Temps Ienna.
Terre Lapha.
Tête. Mata.
Tigre. Kerransa.
Tout. Houndouma.
Veau. Ouati.
Vent. Killença.
Visage. Foula.
Voix. Sagalé.
Exemples de déclinaisons.
Maître. Gofta.
Du maître. Goftad*a.
Au maître. Goftafi.
Le maître. Goftan.
0 maître. Goflako.
Maîtres. Goftaoun.
Des maîtres. Goftaouni.
Aux maîtres. Goftaounifi.
Les maîtres. Goftaoun.
O maîtres. Goftaounko.
Adjectifs.
Acre. Hadd*a.
Avare Koutchatchi.
Aveugle Djama.
Blanc Blanche
Adi.
Bon Gari.
Bonne. Gariho.
Brutal Galessa.
Brutale Galetti.
Brutaux. Galota.
Chanteur. Oueddissa.
Chanteuse. Oueddiftou.
Chauve. Molon.
Clair. Yfa, ou coulcoullou.
Courageux Coppé.
Courageuse. Coppitti.
Court. Gababa.
Courte. Gabald*ou.
Danseur Cirba.
Danseuse. Cirbitou.
Délicat. Kamani.
Droit Kagéla.
Droite. Kagéltou.
Étroit. Dippa.
Faible. Hoununa.
Folle. Marattou.
Fou Maratou.
Fraîche Kabbana.
Frais. .Djid*a.
Grand Goudila.
Grande. Gouddo.
Gros Fourda.
Grosse. Fourdo.
Gourmand Gotcha.
Haut. D*era.
Haute. D*ertou.
Humide Djid*a.
Ignorant Goena.
Jaloux. Ynaftou.
Joli. Bareda.
Jolie Bareddou.
Laid. Godessa.
Laide. Godetti.
» Large. Balla.
Léger. Salpa.
Légère. Salpo.
Long D*era.
Longue. D*erfou.
Lourd. Oulfata.
Lourde. Oulfattou.
Malade Douccouhssata.
Marchand. Gourgoura.
Marchande Gourgouratou.
Noir Gourhatcha.
Noire Gourhatti.
Nu. Houlla.
Obscur. Douecana.
Pauvre. Hiessa.
Perdu Badé.
Poltron. Dabessa, ou Dota.
Poltronne. Dabetti.
Propre. Coulconllou.
Sale. Touri.
Savant Gamna.
Sec Goga.
Sèche. Gogdou.
Seul Koba.
Solide Djaba.
Vieille. Djarsa.
Vieux Foula.
Voleur Hatta.
Voleuse Hattou.
Noms de nombres.
Un. Tok.
Une Tak.
Deux. Lama.
Trois Sadi.
Quatre.. Afour.
Cinq. Chané.
Six Tchâk.
Sept. Torba.
Huit. Saddèté.
Neuf Sagâl.
Dix Koud*ane.
Onze. Koud*a tok.
Douze. Koud*a lama.
Treize Koud*a sadi.
Quatorze. Koud*a afour.
Quinze. Koud*a tchané.
Seize. Koud*a tchàh.
Dix-sept. Koud*a torba.
Dix-huit Koud*a saddèté.
Dix-neuf Koud¥a sagâl Vingt Diktama.
Vingt-un. Diktami tok.
Vingt-deux Diktami lama.
Vingt-trois. Diktami sadi.
Vingt-quatre Diktami afour.
Vingt-cinq. Diktami chané.
Vingt-six. Diktami tchâh.
Vingt-sept. Diktami torba.
Vingt-huit. Diktami saddèté.
Vingt-neuf. Diktami sagâl.
Trente. Sodomé.
Quarante. Afourtama.
Cinquante. Tchantema. Soixante. Tchâtema.
Soixante-dix. Torbatema.
Quatre-vingts. Saddètéma.
Quatre-vingt-dix. Sagaltema.
Cent. Dibba.
Deux cents, etc Dibba lama, etc.
Mille Kouma.
Deux mille, etc Kouma lama, etc.
Premier Toka.
Second. Lamafa.
Troisième. Sadefa.
Quatrième Afrafa.
Cinquième. Chanefa.
Sixième. Tchèfa.
Septième. Torbafa.
Huitième. Sadèfa.
Neuvième. Sagalefa.
Dixième. Koudanefa.
Onzième. Kouda toko.
Douzième Kouda lamafa, Treizième. Kouda sadefa.
Quatorzième. Kouda afrafa.
Quinzième Kouda chauafa.
Seizième. Kouda tcbêfa.
Dix-septième Kouda torbafa.
Dix-huitième Kouda sadêfa.
Dix-neuvième Kouda sagalafa.
Vingtième Diktamifa.
Trentième Sodomifa.
Quarantième. Afourtamafa.
Cinquantième. Chantamafa.
Centième. Dibbafa.
Millième Koumaffa.
Pronoms.
Je. Ana.
Moi. Ana, ou na.
A moi Anâfi.
Te. Na.
Toi. Ati.
A toi. Sifi.Il Issa.
Elle Issi.
A elle Essefi.
Lui. Issa.
A lui Issafi.
Nous. Nou.
A nous. Noufi.
Vous. Essaïni.
A vous. Essaïnifi.
A eux Issénifi.
Ils Issén.
Envers nous Garra kenin.
Envers vous. Garra kessani.
Envers eux Issani.
Celui-ci, ceux-ci. Inni kouni.
Celle-ci, celles-ci Ichini tonui.
Mon, mien. Kiaïa.
Ton, tien. Kankiteh.
Sa. Kanisetêh.
Son Kanisate.
Nôtre, nôtres Kineya.
Vôtre, vôtres Kounike sani.
Leur, leurs. Kanisaniteh.
Qui? lequel? quoi? Enou?
De qui? duquel? de quoi? Enouti?
A qui? auquel ? à quoi? Enoufi?
Verbes.
Abaisser Gadiboussé.
Abandonner. Gaté.
Abandonne Gala.
Abîmer Ballessé.
Accaparer. Nagedé.
Accapare (qui) (masc.) Nagada.
Accapare (qui) (fém.).. Nagadou.
Accélérer. Ciéssé.
Acheter Bité.
Achète (qui) (mase.).. Bita.
Achète (qui) (fém.) Bittou.
Achète. Biti.
Agiter. Rassé, ou Solchosé.
Aimer. Djalala.
Ajouter Daballé.
Ajoute. Daballi.
Ajoute (qui) (masc.) Daballah.
Ajoute (qui) (fém.). Dabaltou.
Ajoutez Dabalah.
Altérer Déboubaé.
Arracher. Bouchâce.
Arrache (qui) (masc.).. Bouchâssah.
- Arracher (qui) (fém.). Bouchâftou.
Ai roser Bifé.
Arrose Bifi.
Arrosez Bifah.
Aspirer. Afoura, ou bafaté.
Attendre Touré.
Aveugler. Djamssé.
Avaler Lihimssé.
Baisser. Gadjed*é.
Baisse (qui) (masc.) Gadjed*a.
Baisse (qui) (fém.). Gadjettou.
Balayer Maré, ou farté.
Brûler Goubé.
Brûlé (il est) Goubaté.
Casser Tchapssé.
Cède. Gargarssa, ougargari.
Cédez Gargarah.
Cédons. Gargarra, ou gargarna.
Chanter. Oueddissé.
Combiner Maké.
Commence Djalkabi.
Commençons. Djalkabna.
Comparer. Akeké.
Comparons Akekna.
Compte Lackabi.
Compter Lackaé.
Conseille. Gorssi.
Conseiller. Gorssé.
Conseillez. Gorssah.
Cracher Toufé.
Crachez Toufah.
Croire. Sea.
Cuire. Biltchessa.
Dansez. Cirbah.
Déménager Godané.
Descendre. Boué.
Descends Bouhi.
Descendez. Bouhah.
Descendant. Bouha.
Désire. Abbali.
Désirer Abbalé, fed*é, cagelé.
Désirez Abbalah.
Distribue. Hiri.
Distribuer. Hiré.
Donne Kemi.
Donnez Kemé.
Ecrire. Kataba.
Égratigne Hacoki.
Égratigner Hacoké, ou tara ré.
Égratignez. Hacokah.
Entendre. D*agnetti.
Entends. D*agahi.
Entendez. D*agaha.
Fabriquer. Teltché.
Fâcher. Dallansa, ou dallansou.
Fâchez Dallanah.
Fâchons. Dallama.
Faire. God*é.
Faisons Gossa.
Fais God*i.
Fait. God*a.
Faites. God*ah.
Fatiguer Dadd*abssé.
Fends Bacakssi.
Fendre Bacaessa.
Fendu Bacaké.
Ferme. Tchoufi.
Fermer. Tchoufe.
Fermez. Tchoufala.
Fumer la pipe Gaya toutga.
Grandir Gouddina.
Gratte. Hoki.
Gratter. Hoessa.
Grattez. Hokah.
Habiller Ouffaté.
Joue Maddy.
Jouer Madda.
Lire. Karaha.
Mange. Gnata.
Manger Gnaté.
Mangez Gnad*ah.
Manque. Haneakssa.
Manquer. Haneaké.
Marche. Adémi.
Marcher Adémé.
Marchons. Ademma.
Méprise Touffad*ou.
Mépriser. Touffad*é.
Méprisez. Touffad*ah.
Mesure. Safari.
Mesurer. Safara.
Mesurez. Safarah.
Mesurons. Safarré, ou safarné.
Nage. Daka.
Nagez Dakah.
Nager. Daké.
Qui nage. Daktou.
Ouvert. Banama.
Ouverte Banamtou.
Ouvre. Bani.
Ouvrez. Banah.
Ouvrir. Banà.
Passer Darbé.
Peignér. Filé.
Perdre Ballessé.
Piquer Hadde. Porter. Bate ou baa.
Portez. Badd^ah.
Pousser D*ibé.
Poussez D*ibah.
Prendre. Fonda.
Qui porte (fém.). Battou.
Qui porte (masc.). Bata.
Rassasier. Koufé.
Refuser Didé.
Remuer Sautchossé.
Remuant (en) Ato sautchossou.
Repentir. Gaba; Réunir. Oulingaa.
Réveiller. Dammaké.
Rêver Abdjoté.
Saigne D*igué.
Saigner. D*igssé.
SalirTouresa.
Sécher Gogssé, ou gogssa.
Sentir. Founfala, ou founfou.
Souffler Afoufé.
Suivre. Kakaba.
Tomber Confati.
Touchant. Touka.
Toucher. Touké.
Qui touche (fém.). Touktou.
Traire. Éléma.
Travailler. Hodjaté.
Tremblement Hollauma.
Tremble (qui) (masc.).. Hollata.
Tremble (qui) (fém. Hollatou.
Trembler. Hollatë.
Tuer. Adjécé.
Vendre Gourgoura.
Voler Haté.
Vomir. Diddiga.
Exemples de conjugaisons.
Je suis Ané.
Tu es Ati.
Il est Issa.
Nous sommes. Nou.
Vous êtes Aissini.
Ils sont Aïsen.
J'étais ou je fus Ani tchira.
Tu étais ou tu fus Ati tcherta.
Il était ou il fut Eni tchera.
Nous étions ou nous fûmes. Nou tchirra.
Vous étiez ou vous fûtes. Aïssini tchirtou.
Ils étaient ou ils furent. Aisentchira.
Je serai. Ana tâh.
Tu seras. Ati tata.
Il sera Isa tâha.
Nous serons. Nou tâhna.
Vous serez. Aïssini tatena.
Ils seront Isen tahâna.
Sois ou soit. Tai.
Soyons ou soyez Tàha.
Ne sois pas Hentein.
Ne soyez pas Henteina.
Faire. Godou.
Faisant. Kan godou.
Fais. Godé.
Faites. Goda.
J'ai fait Ani godé.
Tu as fait Ati godé Il a fait Ini godé.
Nous avons fait Nougonné.
Yous avez fait Aïssini godana.
Ils ont fait Isen godden.
Je parais. Ani illelaini.
Tu parais Ati illalamta.
Il paraît Ini illalami.
Nous paraissons. Nou illalamni.
Vous paraissez. Aïssini illalamtena.
Ils paraissent. Isen illalamna.
Il a paru. Illalame.
Je ne suis pas Ana moti.
Tu n'es pas Ati moti.
Il n'est pas Isa moti.
Nous ne sommes pas Nou émoli.
Vous n'êtes pas. Aïssini émoti.
Ils ne sont pas. [sen émoti.
Je n'étais pas Ani hintchirou.
Tu n'étais pas Ati hintchirtou.
Il n'était pas Ini hintchirou.
Nous n'étions pas.. Nou intchirrou.
Vous n'étiez pas Aïssini hintchirten.
Ils n'étaient pas Isen hintchiren.
Je ne veux pas Ani hintchalatou.
Tu ne veux pas Ati hintchalatou.
Il ne veut pas. Ini hintchalatou.
Nous ne voulons pas Nou hintchalatou.
Vous ne voulez pas Aïssini hintchalatou.
Ils ne veulent pas Isen hintchalatou.
Je ne voudrais pas Ani hintchaléne.
Tu ne voudrais pas Ati hintchaléne.
Il ne voudrait pas Ini hintchaléne.
Nous ne voudrions pas Nou hintchaléne.
Vous ne voudriez pas Aïssini hintchaléne Ils ne voudraient pas Isen hintchaléne.
Je ne peux pas Ani hindendô.
Tu ne peux pas Ati hindendisou.
Il ne peut pas Ini hindendô.
Nous ne pouvons pas Nou hindendiniou.
Vous ne pouvez pas Aïssini hindendisana.
Ils ne peuvent pas. Isen hindendiven.
Je ne pourrais pas. Ani hindendenaï.
Tu ne pourrais pas Ati hindendenaï.
II ne pourrait pas Ini hindendenaï.
Nous ne pourrions pas. Nou hindendenaï.
Vous ne pourriez pas Aïssini hindendenaï.
Ils ne pourraient pas Iseo hindendenaï
Il m'abattu Eni nadai.
Il t'a battu Eni si dai.
Il l'a battu Eni issa dai.
Il l'a battue.. Eni issi dai.
Il nous a battus Eni nou dai.
Il vous a battus. Eni issini dai.
Il les a battus. Eniissandai.
Je t'ai battu. Z Ani si dai.
Tu m'as battu. Ati na dai.
Il me battra. Eni ne dai.
Il me donne. Eni na kenne.
Donne-moi. Na kenni.
Moi qui viens Ana kan andouffou.
Toi qui viens Si kan douffou.
Lui qui vient Eni kan douffou.
Ceux qui viennent. Kantchalatou.
Nous qui venons. Nou kan douffenou.
Vous qui venez Essaïni kan doufféna.
Eux qui viennent. Issen kan douffina.
Pronoms possessifs.
Ma maison Mana kiaya.
Ta maison. Manaka.
Sa maison (à lui) Manassa.
Sa maison (à elle). Manissila.
Notre maison. Manakineya.
Votre maison. Manikesani.
Leur maison Manisani.
Adverbes.
A droite Garra mirga.
A gauche. Garra bëta.
Ailleurs. Soun douba.
Après-demain. Iftane.
Au bout Fité.
Aujourd'hui. Anda.
Autrement Akanamoté.
Avant-hier. D*engadda.
Beaucoup. Gonda.
Beaucoup plus Attami goudo.
Bien Garéda.
Combien. Meka, ou Hammame.
Comment Attam.
Certainement. Dougga, ou douggouma.
D'abord Tok.
Dedans Késas.
Dehors Didaté.
Demain Boron.
De partout Bak handou.
Dernièrement Tchenfou.
En bas Garra Tchala.
Entièrement. Dour.
En vain Hamtou.
Environ. Homa gôté.
Éternellement. Saouané.
Fermement Dengatida.
Fraîchement. Kabbanouma.
Plier Kalisa, ou Calessa.
Ici. Baktancté.
Journellement. Gafagofa.
Là Bakesanité.
Maintenant Amma.
Partout Bake hundahti.
Peu. Tenno.
Peu à peu Tenno tenno.
Plutôt Illeh.
Pourquoi? Malif.
Principalement. Houndouma irra tcliirra Secrètement. Dokati.
Seulement. Doua.
Souvent Gofa, goudouma.
Toujours. Gafa houndouma.
Très Goudo, goudouma.
Vraiment. Douga.
Prépositions.
Après. Douba, ou égnéré.
A cause de Mékinaïeta.
Au-dessus. Garrara.
Au lieu de Koda.
Au milieu Oddouté.
Autour Mirs.
Avec. Outchine, ou ouadjine.
Contre. Irraté'.
Dans. lté.
De. Irra.
Devant. Doura.
Entre. Bira.
Excepté Atom.
Loin. Fagôda, ou fagô.
Par. Bira.
Parmi Oddouté.
Près D*ioda, ou d*io.
Sans. Déda, ou malèh.
Sous. Gourra tchala.
Sur Garrâra.
Vers Garra.
Conjonctions.
Ainsi. Akana.
A moins que. Dabati.
Aussi. Ammo.
C'est-à-dire. Akana tcheddan.
C'est pourquoi. Hêga.
Comme. Aka.
Lorsque. Ioummou.
Mais. Tchiman.
Néanmoins Atonhasen.
Ou. Hoken.
Peut-être. Hokau.
Quoique. Aka.
Sinon. Aïo.
Si Io.
Phrases et locutions diverses.
A cette époque. Aïo sani.
A moi Na bira.
Asseyez-vous Dafi-tai.
Autant que nous pourrons. Esïo nou dcndinaïa.
Avant ce jour. Gaonité.
Avez-vous bien dormi? Nagam bultani ?
(Réponse) Boullé boulta, ou énagaganaga.
Avez-vous bien passé la journée ? Naga oltani?
(Réponse) Ollo olté.
Avez-vous bien passé la soirée? Nagouma galgaleseïte?
(Réponse). Nagouma atigalgaleseïte.
Bien. Étis feyouma.
Bonjour. Naga amboutté.
Bonne nuit Nagouma galgaleséte.
(Réponse; Negaï amboula.
Brave homme Nama gari.
Cela n'est pas. Kiouna isa mot.
Celui qui aime. Kan tchalatou.
Cette maison est plusgrande que celle-ci Tounimanakanairratchira Combien cela coûte-t-il? Gadi maka?
Combien donc?. Aïomêka?
Comment allez-vous aujourd'hui ? Anda atame tcherte?
Comment appelle-t-on ce village ? Goudi kuni imekan eniou?
On l'appelle Angolola.. Angolola tchiddan.
Comment se portent-ils ?. Naga tchiddané ?
Comment vous portez-vous? Naga tchiddé?
De la part de Dieu. Aouaque irra.
De quelle espèce? Atami tchirou?
Dites-moi où il est. Na hime esa isa tcherra.
Donnez-moi. Na Kenna.
D'où? Isaï?
D'où vient-il? Esei douffe?
Elle est meilleure que celle-ci. Issi kana ouaïa.
Empêche-le de périr Sonna edgi aka hinbâne.
Fais-le venir. Godé aka douffou.
Grâce à Dieu. Boulla boulté nagouma.
Grande maison. Mana ghiouda.
Grandes pierres. Daga Ghioudaoun.
Il a reçu de moi. Na irra foudéte.
Il lui a donné une pierre Daga kinuafe.
Il doit savoir. Eni bekoufi.
Il doit venir. Eni Doufoufi.
Il n'a pas. Hin kahné.
Il ne me donne pas. Eni na henkemou.
Il ne peut pas parler Eni hem ur hindendô.
Il ne peut pas venir Eni douffou hindendô.
Ils n'ont pas Hin kaban.
Je désire savoir. Ani bikou thaiata.
Je savoir désire.
Je n'ai pas Hin kabou.
Je suis tombé malade Dioukiouba na biva gai.
Je veux aller. Ani adimou tchalata.
Je aller veux.
Jusqu'où? Hamme issa gôte?
La maison de mon père Mana abakiaya.
Le fils du roi Il ma gofta.
Levez-vous Haï.
Le vivant et le mort. Kan douf kan tchira.
Méchants hommes. Nama hémaonn.
Nous n'avons pas Hin kabne.
Or et argent. Ouorkef meté.
Où. Isa.
Où allez-vous? Esa doukte ?
0, je vous prie? Maeh issa ?
Pierre et bois Daga Maka.
Porte-toi bien Marabatis, nagana oli.
Portez-vous bien. Marabatis, nagaïa ole.
Pourquoi? Mekineyata malefi?
Quand? Acomêh?
Qu'est-ce que c'est?. Kouni maliné?
Qui vient? Eniou douffe?
Quoi donc? Malisseini ?
Regarde. Hodou.
Tu n'as pas. Hin kablou.
Un homme qui n'a pas de maison. Nama kan mané hinkabné.
Une grande et une petite maison. Mana ghoudaf mana tenna.
Venez Kod.
Venez ici Ak kod.
Vois-tu? Ilodou ati?
Vous n'avez pas. Hin kabtan.
Vous portez-vous bien? Assinis feyouma ?
Voyez Hoda.
Voyez-vous? Hoda issini?
FIN.
TABLE
DES CHAPITRES CONTENUS DANS CE VOLUME.
Préface Rapport sur des Observations de M. Rochet, trait des Comptes rendus des séances de j/ sciences, séance du 24 mai 1841.) « xv
CHAPITRE PREMIER.
COTE. ORIENTALE DE LA MER ROUGE DEPUIS SUEZ JUSQU'A MOKA.
Route du Kaire à Suez. — Approvisionnement d'eau de cette ville. —
Sources de Kuerguedeh et d'El-Bir, fontaines de Moïse. — Nivellement du port de Suez. - Facilité de conserver cette ville. — Tableau de ses importations. — Explication naturelle du passage de la mer Rouge par les Hébreux. — Eltorra. — Importance de sa position. — Son avenir.
— Bain de Moïse. — Caractères géologiques des golfes de Suez et de Lakaba.—Iles de Thérân, de Barkam et de Némân. — Mouillage de l'Ouièche. — Ile de Merouma. — Gebel-Hassenine. — Pêche des perles.
— Baridi. —Yambo. — Djedda, son commerce, sa navigation, revenus de la douane, son hôpital, M. Chédufau, tombeau d'Ève. — Ile de Camérân. — Origine du titre d'iman que prennent les gouverneurs de Sâna. -Hodeïda, son port, son commerce, revenus de la douane.Moka, son commerce. —Le capitaine Bustoh ; procédé employé par lui pour s'assurer de la qualité d'un chargement de café. —M. Chimper, voyageur bavarois. —Observations sur le commerce de la côte asiatique de la mer Rouge. — Tableau des exportations annuelles d'Hodeïda et.de Moka et du prix ordinaire des marchandises dans ces deux villes, poids et mesures qui y sont employés. — Cause de la diminution des revenus des douanes. — Les négociants de la mer Rouge. —Sa navigation. - Importance politique de ses ports 1
CHAPITRE Il.
TOUJOURRA.
Traversée de Moka à Toujourra. — Aspect de ce village et de ses environs; sa rade, ses chaumières et sa population. - Occupations de ses habitants, leurs mœurs. — Gouvernement de Toujourra et du pays d'Adel. — Le sultan de Toujourra.- Une noce à Toujourra. — Singulière manière dont un voleur est puni. — La vendetta chez les Danakiles. —Description géologique des environs de Toujourra, leur végétation; arbre empoisonneur; animaux que l'on y rencontre.
— Montagne Débenet. — Observations thermométriques recueillies àr Toujourra 33
CHAPITRE III.
LE PAYS D'ADEL.
Physionomie générale du pays. — Ambabo. — Douloulle. — Socti. — Description géologique de la route. — Gabtima. — Boullata. — Daffaré. — Orages quotidiens. — Alexitâne. — Laves.— Lac Salé.
Gongonta. — Allouli. — Vallon de Gagadé.—Aoussa; sa population, son agriculture et son commerce. — Source d'eau chaude de Néhellé. — Mine de cuivre de Ségadarra. — Marhâ. — Abaytou.
Le ras Mahamet-Loéta, de la kabile Débenet. — Pâturages d'Arabedoura. — Les Danakiles et les Saumalis. — Vallée de Sagaguédâne. - Sources d'eau chaude de Hâoulle.— Amadou. - Léopards.
Plaine de Baroudâda.— Le ras lbraim-Amadou. —Les loups-tigres du Cap.- Les Bédouins; manière dont ils font du feu. — Rivière de Kilalou. — Source d'eau chaude d'Oiram-Melé. —Ouais-Agaïo, ras de la kabile Débenet-Buéma. — Hasen-Déra. — Craintes et délibérations de ma caravane. — Danses des Bédouins. — Quodhoté. — — Metta. — Le ras Bidar. — Coummi. — Montagne et sources d'eau chaude d'Amoïssa.— Plaine fertile de Moullou.- Omar-Bata, ras de la kabile Takaïde. — Férocité des Hasen-Maras ou Modeïto.
— Terreur que les armes à feu inspirent aux Bédouins de l'intérieur du pays d'Adel. — Laves qui se trouvent entre Aroiéta et Dabita.-
Je tue trois loups-tigres.—L'Aouache; ses rives.—Rugissements des lions. — Passage de l'Aouache par notre caravane. — L'Haoudhé, rivière. — J'arrive à Tiannou, premier village de la province d'Éfat-Argouba. — Observations générales sur la population du pays d'Adel.- Énumération des Kabiles qui la composent. — Les habitants de Toujourra. —Caractères physiques et mœurs des Ad-Hali et des Asouba, des Débenet, des Achemali, des Débenet-Buéma, des Takaïdes, des Saumalis, des Basen-Maras ou Modeïto. — Costume et armes des Danakiles.—Leurs femmes.—Leur origine.-Rapports des diverses Kabiles entre elles.— Elles craignent le roi de Choa et ont une haute idée du sultan de Constantinople. — Énumération des stations de caravanes entre Toujourra et Tiannou, avec l'indication de leurs distances de l'une à l'autre.. 59
CHAPITRE IV.
ROYAUME: DE CHOA.
DE TIANNOU A ANGOLOLA.
Paysage de Tiannou. — Tiannou ; ses habitants, ses chaumières, — Mine de houille à 3 lieues de Tiannou. — Route de Tiannou à Aleyou-Amba.— Montagne de Métatite.— Angolola.—Maisons du roi.— Je suis présenté à Sahlé-Sallassi.— Ma seconde entrevue avec le roi. — Sa conversation. — Je lui offre mes présents. — Cadeaux qu'il m'envoie. — Je fais préparer l'achèvement d'un moulin à poudre que j'avais donné au roi. — Sahlé-Sallassi se dispose à aller lever les tributs dans l'ouest-nord-ouest de son royaume, et m'invite à l'accompa- , gner aux bords du Nw. — Description des festins royaux. — Observations thermométriques recueillies à Angolola. 123
CHAPITRE V.
D'ANGLOLOLA AUX BORDS DU NIL,
Disposition et marche de l'armée, — Rivière de Tchia-Tchia. — Campement. — Le roi rend la justice, — Arbres sacrés des Gallas. — Leurs
cérémonies religieuses.- Leurs tributs.- Les Montagnes Moguères.
—Allitéra. — Les singes moissonneurs. —Notre arrivée sur les bords du Nil. —Les Gallas. —Leurs femmes. — Stations de l'armée depuis Angolola jusqu'au Nil. 159 CHAPITRE VI.
RETOUR DES BORDS DU NIL A ANGOLOLA.
Monastère de Devra-Libanos. — Couvent de Séné-Marquos. — Sources miraculeuses. —Notre arrivée sur le territoire de la kabile Abitiou.— Rentrée solennelle de Sahlé-Sallassi dans Angolola. — Croyances religieuses des Abyssins. — Leurs pratiques. — Les prêtres. — Les églises. — A mon arrivée à Angolola, je fabrique de la poudre. —
Observations thermométriques recueillies à Angolola 177 CHAPITRE VII.
SÉJOUR A 4NGOBAR.
Description d'Angobar. — Maisons de Sahlé-Sallassi. — Je fabrique du sucre. — Le roi s'efforce de me fixer auprès de lui. — Il me fait proposer en mariage une de ses parentes. —Repas chez Ayta-Sartevolte.— Histoire du royaume de Choa.- La race de Salomon expulsée du nord de l'Abyssinie se réfugie en Choa. — Invasion des Gallas au xvie siècle. — Conquête des Adels sous la conduite de Mahamet-Gragne. —
Défaites de l'empereur David. — 500 Portugais arrivent au secours de son fils Claudius. — Mahamet-Gragne est tué et les Adels sont chassés de l'Abyssinie. - Négassi, chef de la dynastie de SahléSallassi; ses successeurs Habié, Sebesti, Ossa-Oisen, OisenSegguède, père de Sahlé-Sallassi. — Sahlé-Sallassi. — Tombeau d'Oisen-Segguède. — Je vais à Aléyou- Amba. — Chasse aux gourézas.— L'indot, arbre saponifère. —Les petites pluies. — Je vais visiter la reine en qualité de médecin. — Le roi m'invite à l'accompagner dans une expédition au sud-ouest de ses États. — Ses deux fils. —Je les conduis à Débrabrame. — M. Graphfe, missionnaire anglais. — Je me rends à Angolola. — Cérémonie du baptême annuel du 18 janvier. 1 93
CHAPITRE VIII.
LE GOURAGUÉ ET LES SOURCES DE L'AOUACHE.
La rivière de Tchia-Tchia. — Vallée de Maguel-Ouanze. — Rivière de Sana-Robie. — Montagnes de Garagorfou. — Un nuage de sauterelles. — Tombeaux gallas. — Vallon de Souloulta. — La kabile Moullo-Falladas gouvernée par une amazone.—Forêt de coussotiers.
—Les Mettas-Robie auxquels le roi vient faire la guerre. —Un combat avec les Gallas. — L'émasculation. — Les hameaux des MettasRobie sont pillés et livrés aux flammes.- Les Mettas-Robie viennent faire leur soumission. — Distinctions honorifiques accordées au guerrier qui a acquis le trophée de l'émasculation. —Chasse aux buffles.Montagnes de Gorba. — Province de Zameltia. — L'Aouache. —
Découverte de ses sources. - Soumission des Zamettias. — Retour à Angolola. —Montagne de l'Indotto. — Guermaman. — Rogué. — Arrivée. 231
CHAPITRE IX.
GÉOGRAPHIE DU ROYAUME DE CHOA.
Sa forme, son étendue et ses limites. — Systèmes de montagnes qui coupent sa surface. — Les cours d'eau. — Les lacs. —Sources d'eau chaude. —Le volcan de Dôfàne. — Population. —Division du territoire entre les chrétiens, les musulmans et les païens. — Districts qui composent la province d'Éfat-Argouba.— Énumération des principales kabiles Gallas 257
CHAPITRE X.
MOEURS, USAGES, ETC.
Caractères physiques des Abyssins. — Leur costume. — Les femmes.
— Caractère moral. — Considérations sur les aptitudes des Abyssins à la civilisation.- Curiosité qu'ils manifestent pour tous les objets d'origine européenne. — Leurs occupations ordinaires. — Penchant à la
volupté.- Mariage. — Divorce. — État social. — Le clergé. — Instruction. — Le pouvoir du roi. — Son trésor. — Ses principaux officiers. 267
CHAPITRE XI.
AGRICULTURE, INDUSTRIE, COMMERCE.
Saisons des pluies. — Productions agricoles du royaume de Choa. —
Moissons bisannuelles. — Procédé employé pour la trituration du grain. — Industrie. — Tissage des toiles. — Commerce, café, ivoire, musc, monnaie. — Caravanes. — Difficultés actuelles des rapports commerciaux du royaume de Choa avec la mer 291 CHAPITRE XII.
LES MALADIES LES PLUS FREQUENTES DANS LE CHOA.
La lèpre, la syphilis, la variole, le ténia. - Propriété du cousso pour extirper le ver solitaire 305
CHAPITRE XIII.
RETOUR DU ROYAUME DE CHOA A TOUJOURRA.
Une caravane se dispose à traverser le pays d'Adel. —Je forme le dessein de profiter de cette occasion pour revenir en France. — J'en fais part au roi. — Cadeaux dont il me charge pour S. M. Louis-Philippe. — Sa lettre au roi des Français.- Je prends congé de Sahlé-Sallassi. — Je pars.- Gontchio.- Farré ; j'y rencontre un voyageur écossais mourant. — Station de Dathâra. — Importance de la caravane. — Has- bouta. — Je vais visiter le volcan de Dôfdne; lac de Léado. — Lacs d'Ellobelo. — Hippopotames. — L'Aouache. - Malkakouial; éléphants. — Rugissements des lions. —Vallées de Dettaqualaïta, Dabillé, Alaguedagui, Béléne. — Chasse aux zèbres ; j'en tue un. —
Moiéguerré. — Coummi. — Metta. — Notre caravane se divise en deux parties qui se séparent, l'une pour Harrar, l'autre pour Tou-
jourra.—Harrar; sa population, son importance; son émir veut m'attirer auprès de lui. — Odar-Doura. — Hasen-Déra. — Nous manquons d'eau. — La rivière de Kilalou presque à sec. — Chaleur intolérable. — Nouvelle disette d'eau à Allouli. — Je quitte la caravane pour aller à Hédéita, où je trouve de l'eau. —J'arrive à Toujourra.Je pars pour Aden. — Zéila, Barbara; ports de ces deux villes, leur commerce. - J'arrive à Aden. 311
CHAPITRE XIV.
D'ADEN A SUEZ.
Fortifications d'Aden. —Situation des Anglais vis-à-vis des indigènes.Je m'embarque pour Moka. — Les troupes égyptiennes évacuent cette ville. — Je laisse à Moka le cheval destiné au roi des Français. — Je m'embarque pour Djedda. — M. Fresnel. — Je relâche à Hodeïda et à Confouda. — Particularités de l'opération épilatoire chez les Wahabytes. — Mon arrivée en Égypte. — Réflexions sur la position actuelle de Méhémet-Ali 345
CHAPITRE XV.
Considérations sur l'importance, politique et commerciale du royaume de Choa. 359
CHAPITRE XVI.
Recueil de mots arabes, amharas et gallas employés usuellement dans la conversation. 371
FIN DE LA TABLE.